CITE LIBRE Vol. 1, no 3 Mai 1951 SOMMAIRE Positions sur la présente guerre . CI
CITE LIBRE Vol. 1, no 3 Mai 1951 SOMMAIRE Positions sur la présente guerre . CITE LIBRE Le sort fait ù la révolution P. VADBONCŒUR Le procès Rocquc: une abstraction J.-P. GEOFFROY Réhabilitation tic l'autorité Charles LUSSIER Poèmes Anne HEBERT Pierre TROTTIER Résinait! BOISVERT Réflexions sur le dialogue . Robert ELIE Trois bulles duns lu nuque Andrée DESAULTELS FAITES VOS JEUX Le diagnostic «lu R. P. «l'Anjou, s.j. . . Gérurd PELLETIER CHRONIQUE DU TEMPS PERDU FLECHES DE TOUT BOIS Quatre fois l'an t _ j ) 50 cents le numéro Cité libre Administration: 3192 Prud'homme, Montréal Vol. 1, no 3 Mai 1951 Positions sur la présente guerre La guerre n'est pas le plus grand des maux, et nous ne tenons pas non plus la paix pour l'ultime bienfait. Car ce qui importe avant tout, c'est la justice; et il faut parfois prendre les armes pour la défendre. Mais le but alors n'est pas la victoire propre- ment dite, ni la seule paix; c'est la préservation ou le rétablisse- ment de la justice. On ferait bien d'examiner celte dernière proposition avant de la déclarer "lieu commun", car nous ne sachons pas qu'on s'en soit souvent inspiré. Si l'histoire nous donne en spectacle une humanité qui titube de guerre en guerre, cela est pour une bonne part dû à ce (pie chaque nouvelle victoire, par son contenu d'ini- quité, est directement cause d'un nouvel holocauste. Le Canada lui-même s'engagea dans le dernier conflit au cri de "Plus rien n'importe sauf la victoire!". Ce sophisme obligea effectivement les Canadiens à considérer la victoire comme une fin en soi, et autorisa le gouvernement à transiger, vis-à-vis de ses citoyens, avec l'honneur, la liberté et le respect de la parole donnée. (Faut-il rappeler les incarcérations sans procès, l'enrôlement volontaire forcé, etc.?) La victoire qui s'ensuivit fut totale; mais quand les vainqueurs tentèrent de s'installer dans leur paix, leur paix s'effondra. Car ayant négligé de se mettre préalablement d'accord sur la justice, ils ne purent ensuite en définir les termes que les armes à la main. Ils ont ainsi mis en branle de par le monde des forces qui dépassent peut-être leur pouvoir de les contrôler. Nous ne savons pas encore à quoi aboutira la logique impla- cable de cette guerre "froide", mais c'est déjà trop que des mil- lions d'hommes, de femmes et d'enfants souffrent et meurent actuellement en Corée. Hommes de la CITE LIBRE, nous ne pouvions indéfiniment réserver notre jugement sur de tels fratricides. D'ailleurs cela nous concerne d'autant plus que notre cite légale est déjà sur un pied de guerre et que le gouvernement pourrait bien nous 2 CITÉ LIBRE convier nous aussi à mourir pour de nouvelles et grandes vic- toires. Avant donc que la censure ne bâillonne encore une fois tout droit d'interroger, nous voulons éclaircir quelques positions. Nous croyons trop à la puissance du mal et à la nécessité de le combattre activement pour être passivistes. Nous ne nous sen- tons pas non plus de vocation précise pour le pacifisme, car nous ne voulons pas affirmer à priori que le juste peut toujours être défendu sans recours à la force. Nous sommes pacifiques plutôt que pacifistes. C'est-à-dire que nous accordons à la paix le béné- fice du doute : nous voyons en elle un aspect au moins partiel de justice (ce que la guerre n'est jamais) ; et si l'on veut nous la faire rompre, ce ne pourra être qu'au nom d'une justice plus grande. Or, au nom de quelle justice supérieure nous adjurc-t-on aujourd'hui de fourbir nos armes? Voilà exactement le problème. La Corée du Nord ayant envahi la Corée du Sud, les nations droites devaient s'unir pour soutenir avec force ce principe pri- mordial de paix : le respect dû aux frontières d'un Etat, quel qu'il soit. Cette proposition nous parait irréfutable et, pour autant que la conduite des Nations Unies s'en inspirait le 27 juin dernier, elle est le signe d'un instinct qui les honore. Mais hélas! nous avons la preuve que cet instinct, venu tard au secours d'une cause qu'il avait déjà plusieurs fois trahie, s'est adjoint bien des motifs impurs. 1. La justice fut une première fois piétinée quand les grandes puissances violèrent les frontières de la Corée, en acceptant qu'elle fût arbitrairement divisée à la ligne où les armées soviétiques et américaines s'étaient rejointes. Cela constituait une trahison fla- grante de la déclaration du Caire du 1er décembre 1943, qui promettait la souveraineté à la Corée. 2. Le pays une fois divisé, la deuxième injustice fut de favo- riser en Corée du Sud l'éclosion d'un gouvernement corrompu et réactionnaire, dont les desseins agressifs sur la Corée du Nord n'étaient nullement voilés. Le 15 août 1948, le général MacArthur avait déclaré à Séoul: "Une barrière artificielle a divisé votre pays. Elle doit être renversée et elle le sera". 3. Quand il s'est agi d'intervenir militairement en Corée (nous ne ferons pas grief aux Etats-Unis d'avoir devancé de six heu- res l'ordre des Nations Unies, mais nous trouvons le fait signi- ficatif), la troisième injustice fut de violer les frontières de la Chine neutre : Formosc en faisait partie d'après la même déclara- tion du Caire. 4. Une fois rétablie l'intégrité de la Corée du Sud, la qua- trième injustice fut de substituer à la notion de sécurité collec- tive celle de vendetta: pouvons-nous qualifier autrement les repré- CITÉ LIBRE 3 saillcs politiques et les atrocités qui suivirent le franchissement du 3Se parallèle? 5. La cinquième injustice fut de déclencher la grande offen- sive pour atteindre la rivière Valu, au moment précis où les émissaires chinois se rendaient aux pourparlers de Lake Succcss : on intimait ainsi à une Chine encore chancelante, après trente- neuf ans de guerres et de révolutions, qu'elle devrait accepter sur sa frontière éminemment stratégique de Mandchourie les armées d'un pays dont l'hostilité lui avait été démontrée au sein des Nations Unies, puis à Formose. 6. Après que cet .acte insensé eut été suivi de la meurtrière contre-offensive prédite par l'Inde et promise par la Chine même, la sixième injustice fut de fermer la porte aux négociations qui eussent pu abréger les souffrances du peuple coréen. La réso- tion de trêve proposée le 25 janvier par les douze nations asiati- ques fut repoussée, et quarante-trois nations naguère libres furent obligées de marquer leur vassalité au Congrès américain en décla- rant la Chine pays agresseur. 7. Et le plus inquiétant, c'est qu'il n'y a aucune raison de croire que cette série de crimes aura une fin. Encore, le 23 mars, le général MacArthur (qui n'est pas encore mort à la politique américaine) déclarait: "S'il arrivait que les Nations Unies se départissent de leur décision actuelle de limiter le conflit à la Corée elle-même, une campagne militaire étendue aux régions côtières et aux bases militaires de la Chine propre amènerait sans aucun doute l'effondrement de ce pays à régime communiste". Mais le problème précis qui se pose ici est de savoir pourquoi, après les première et deuxième injustices, les Nations Unies ont cru bon d'intervenir au troisième temps, et pourquoi elles ont compromis aussitôt leur cause par de nouvelles iniquités. La première injustice — le partage de la Corée — est due à ce que la dernière grande guerre fut livrée avec des égards seu- lement pour la victoire. La paix ne fut pas fondée sur le droit des gens mais sur la personnalité de quelques chefs d'Etat, et sur un échange de quiproquos entre les grandes puissances. A Yalta, en février 1945, l'Occident sacrifia à l'U.R.S.S. la Chine de Tchiang Kai-shek. (On s'étonna ensuite que ce dernier eût perdu l'appui du sentiment national.) A Potsdam, en juillet 1945, on acheva de mutiler le territoire polonais et de démembrer l'Alle- magne. On se partagea ensuite l'Autriche, Tricstc et enfin la Corée. Et à San-Francisco, on s'accorda à subordonner toute notion d'équité au droit de veto des cinq grandes puissances. Les deuxième et quatrième injustices sont dues à ce que, entre deux Corées à régime policier, les Etats-Unis étaient bien obliges de préférer celle de Syngman Rhee à celle de Kim Ir Sung: ce_ 4 CITÉ LIBRE dernier avait en effet fait preuve d'un radicalisme intolérable en bouleversant le système féodal par une réforme agraire. Les troisième, cinquième et sixième injustices viennent de ce que les Etats-Unis ne peuvent pardonner au peuple chinois d'avoir chasse ignominieusement le Kuomintang, dont la corruption hon- teuse n'avait rien d'incompatible avec les intérêts de la haute finance internationale. Il ressort donc de cette analyse que les Occidentaux, et surtout les Etats-Unis, ont peur de voir l'Asie se développer hors de l'orbite capitaliste. Mais ils ne peuvent quand même pas encore risquer l'immolation de l'humanité entière (et singulièrement l'américaine) en engageant le combat avec leur unique adversaire. Ils font donc une guerre haineuse et vengeresse contre deux peu- ples coupables de déviâtionisme antiaméricain, espérant démon- trer par une hécatombe exemplaire ce qu'il en coûtera aux pays qui voudraient changer de zone d'influence. Politique réaliste, afïirtue-t-on. C'est regrettable que uploads/S4/ cite-libre-1-3.pdf
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- Publié le Jui 11, 2022
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