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1 www.lautreprepa.fr Corrigé proposé par Christophe André CONCOURS ENM 2015 Droit civil Cas pratique Enoncé : Monsieur Richard, qui est commerçant, gère habituellement ses économies en souscrivant des bons anonymes. C’est ainsi qu’entre le 1er février et le 1er novembre 1994 il a souscrit auprès de la Caisse nationale du Crédit agricole un total de quinze bons « Prédicis » de 10000 francs chacun pour une durée minimale de huit ans reconductible. Seize années plus tard, lorsqu’il les présente, courant 2010, à la caisse régionale de la banque, celle-ci, invoquant une opposition faite par un tiers le 15 décembre 2007, refuse de les payer et les saisit, l’attestation de saisie précisant que le présentateur M. Richard autorisait le Crédit agricole à donner à l’opposant ses nom et adresse en vue d’un règlement amiable ou judiciaire. En effet, M. Legendre, l’ancien conjoint de la fille de M. Richard, avait formé cette opposition à une époque où le couple, désargenté, vivait au domicile de ce dernier. Aux termes du document d’opposition signé par lui, qui mentionnait qu’il ne pourrait recevoir le règlement des bons avant 10 ans après leur échéance, Monsieur Legendre autorisait la banque à donner ses nom et adresse au porteur des bons en vue d’un règlement amiable ou judiciaire. Question 1 : Que peut faire M. Richard, auquel la banque n’a pas donné les coordonnées de l’opposant ? Question 2 : Dans l’hypothèse où il envisagerait une action en justice, contre qui l’engagerait-il ? Sur quel fondement ? Devant quelle juridiction ? Selon quelle procédure ? Finalement, tous les protagonistes ont été attraits en la cause courant 2011 à la demande du tribunal saisi initialement par M. Richard. Monsieur Legendre revendique la propriété des bons litigieux, mais Monsieur Richard lui opposant la prescription de son action en revendication, il pense à engager, à titre subsidiaire, la responsabilité de la banque. Question 3 : Pensez-vous que l’action de Monsieur Legendre est forclose ? Expliquez pourquoi. Question 4 : Dans l’affirmative, sur quel fondement Monsieur Legendre peut-il rechercher la responsabilité du Crédit agricole et avec quelles chances de succès ? Question 5 : Dans la négative, exposez qui de Monsieur Richard ou de Monsieur Legendre a les meilleures chances d’obtenir gain de cause sur le fond. Avant-propos : Nombreux sont les candidats qui ont été désarçonnés par ce sujet. Il faut dire que son libellé est pour le moins approximatif, avec des phrases ambigües, et un vocabulaire juridique parfois flottant (prescription puis…forclusion). Quant au nœud du problème, le moins que l’on puisse 2 www.lautreprepa.fr Corrigé proposé par Christophe André dire est que cette opposition du gendre paraît fumeuse et que les questions sont posées de façon assez étrange au regard d’un décalage temporel évident. Les questions 1 et 2 suggèrent de se replacer dans la situation des protagonistes avant qu’ils aient été attraits à la cause ; les questions 3 à 5 intéressent en revanche le contentieux né à partir de 2011. Il fallait toutefois relever le défi et ne pas se laisser intimider par certains éléments du cas qui relevaient du droit des valeurs mobilières (« bons anonymes ») ou du droit bancaire. Ce qui importait avant tout, c’était de faire valoir des réflexes convenables au regard du programme de l’ENM, qu’il s’agisse du droit des obligations, du droit des biens, de la procédure civile et des procédures civiles d’exécution. C’est avec le bénéfice de ces quelques remarques que nous pouvons proposer un corrigé. Corrigé : Monsieur Richard, commerçant, a souscrit en 1994 auprès de la Caisse nationale du Crédit agricole quinze bons anonymes de 10000 francs chacun pour une durée minimale de huit ans reconductible. Seize années plus tard, lorsqu’il les présente, courant 2010, à la caisse régionale de la banque, celle-ci, invoquant une opposition faite par un tiers le 15 décembre 2007, refuse de les payer et les saisit. Afin de répondre aux questions soulevées par ce cas, il convient au préalable de qualifier la situation juridique litigieuse. En effet, les bons anonymes sont des titres financiers, ce qui suggère de distinguer entre les droits substantiels, autrement dit le negotium, et leur support formel, autrement dit l’instrumentum. Au regard du droit commun des obligations et des biens, seul concerné par le programme du concours, le litige intéresse donc à la fois les rapports contractuels et extra-contractuels de M. Richard (negotium) et les choses corporelles que constituent les bons anonymes (instrumentum). On supposera en effet que les bons anonymes ont un support papier, ce qui en fait du reste de véritables dinosaures au regard du mouvement de dématérialisation des valeurs mobilières. Quant à la saisie effectuée par la banque à la suite de l’opposition de M. Legendre, elle s’apparente à une saisie- conservatoire. Question 1 : Que peut faire M. Richard, auquel la banque n’a pas donné les coordonnées de l’opposant ? De 2007 à 2010, M. Richard a été tenu dans l’ignorance de l’opposition qui avait été formée par son gendre, ce qui le privait naturellement d’une possibilité de trouver un règlement amiable ou judiciaire au litige qui se nouait à son insu. En d’autres termes, la banque s’en est tenue au silence alors qu’elle a procédé au séquestre de ses bons anonymes à la suite de l’opposition exercée par M. Legendre. Monsieur Richard et la banque étant liés par un contrat, il serait possible d’arguer que cette convention, qui intéresse la gestion du patrimoine, impliquait un devoir de mise en garde de la banque sur les conditions de conservation et de paiement des bons anonymes. Le devoir de mise en garde a pour objet de prévenir un risque de dommage en attirant l'attention de l'autre partie sur les précautions à prendre. L'arrêt fondateur sur cette question est l'arrêt "Buon" (Cass. com., 5 novembre 1991) aux termes duquel, quelles que soient les relations contractuelles entre un client et sa banque, celle-ci a le devoir de l'informer des risques encourus dans les opérations de placement, hors le cas où il en a connaissance par lui-même, auquel cas il sera considéré comme un investisseur averti. 3 www.lautreprepa.fr Corrigé proposé par Christophe André En l’espèce, Monsieur Richard a beau être un commerçant, il ne saurait a priori être considéré comme un professionnel averti, rompu aux spécificités des bons anonymes. En outre, il s’agit d’un placement à long terme, puisque les bons étaient souscrits pour une durée de huit ans reconductible. Cela dit, outre l’achat de 15 bons entre février et novembre 1994, il est précisé que M. Richard gère habituellement ses économies par l’achat de ce type de produits financiers. Il y a donc une incertitude sur le point de savoir si M. Legendre peut être considéré ou non comme un investisseur averti. Dans l’hypothèse où il ne serait pas considéré comme un investisseur averti, un devoir de mise en garde incombe à la banque. Or, en vertu de l’article 1315 alinéa 2 du Code civil, c’est à la banque qu’il appartient de prouver qu’elle a satisfait à cette exigence de mise en garde. La Banque pourrait certes arguer d’une obligation de discrétion et de confidentialité qui lui incombe, mais dans la perspective d’une action judiciaire – notamment pour obtenir devant le JEX la mainlevée de l’opposition – il serait bon de recourir à la production forcée des coordonnées de l’opposant en se fondant sur l’article 145 du Code de procédure civile. L’autonomie de ce référé probatoire permet une action probatoire et préventive sans qu'il soit nécessaire de prouver l'urgence. Rappelons du reste que l'intérêt principal de la procédure de production ou de communication de pièces procède du fait que le juge peut tirer toute conséquence de l'abstention ou du refus de communiquer les pièces visées. En l’espèce, soit M. Richard obtiendrait par cette voie la communication des coordonnées de l’opposant, soit cette communication lui est serait refusée, mais cela pourrait être mis en avant lors d’un contentieux à venir. Question 2 : Dans l’hypothèse où il envisagerait une action en justice, contre qui l’engagerait-il ? Sur quel fondement ? Devant quelle juridiction ? Selon quelle procédure ? Si M. Richard envisage une action en justice, il peut agir soit contre la banque, soit contre son gendre. >>>> L’hypothèse d’une action de M. Richard contre la banque Outre la possibilité de demander la mainlevée de l’opposition devant le juge de l’exécution en arguant du caractère injustifié de l’opposition, Monsieur Richard peut chercher à engager la responsabilité du Crédit agricole. Monsieur Richard et le Crédit agricole sont liés par un contrat dont l’existence pourra être prouvée par tous moyens. En effet, bien que les bons aient une valeur supérieure à 1500 euros, la règle de l’article 1341 du Code civil prescrivant une preuve par écrit doit être écartée. D’une part, M. Richard et la banque sont commerçants, et l’on sait que le Code de commerce privilégie la liberté de la preuve. D’autre part, quand bien même M. Richard ne serait pas commerçant, le caractère anonyme des bons se concilie mal avec l’exigence d’un écrit, ce qui milite ici encore pour la liberté uploads/S4/ civil-cas-pratique-2015.pdf

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  • Publié le Jul 17, 2021
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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