1 Ohadata D-10-29 L’HARMONISATION DU DROIT DU TRAVAIL DANS LE CADRE DE L’OHADA

1 Ohadata D-10-29 L’HARMONISATION DU DROIT DU TRAVAIL DANS LE CADRE DE L’OHADA : LA MESURE D’UN CHANGEMENT EN PERSPECTIVE Par TCHAKOUA Jean-Marie Agrégé de droit Maître de Conférences à l’Université de Yaoundé 2 Si harmoniser c’est mettre en harmonie des éléments différents1, il faudrait dire que l’idée d’harmoniser le droit du travail en Afrique francophone est relativement récente2. En revanche, sous la colonisation, les pays de l’Afrique francophone ont connu une expérience au résultat plus achevé que l’harmonisation3. Dans un premier temps, il fut question, pour la France, puissance colonisatrice, d’étendre aux territoires d’Afrique des textes4 en vigueur en métropole5. Cette approche n’apporta que des solutions fragmentaires. Puis, on a rapidement évolué vers une autre, plus globale, qui a connu son aboutissement6 dans le cadre du Code du travail des territoires français d’Outre-mer en 1952. On doit se garder de sous-estimer l’ampleur des débats7 et autres difficultés ayant précédé l’adoption du Code du travail des territoires d’Outre-mer ; il faudrait, cependant, reconnaître que ces difficultés sont mineures comparées à celles qui jonchent aujourd’hui la voie vers l’harmonisation du droit du travail dans le cadre de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA)8. A cela on peut esquisser au moins deux explications. En premier lieu, l’expérience coloniale d’introduction en Afrique de solutions uniformes intervint à une époque où la conscience des problèmes du droit du travail était encore très faible chez les principaux destinataires des textes, en l’occurrence, les Africains. Ni le Code du travail de 1952, ni les textes fragmentaires qui l’ont précédé, ne résultaient d’une démarche véritablement interne. Ils ne répondaient pas non plus à un besoin clairement exprimé par les forces sociales authentiquement africaines. Voulu par le colonisateur commun, le Code de 1952 a pu s’imposer du Gabon au Sénégal et de la Guinée au Tchad, sans aucune résistance interne. Les résistances à telle ou telle solution ne se sont montrées qu’à l’Assemblée nationale ou au Sénat français9, et les discussions étaient rarement 1 C’est le sens que suggère le dictionnaire Hachette. Dans l’art musical, il définit « harmoniser » comme « composer, sur l’air d’une mélodie, une ou plusieurs parties vocales ou instrumentales ». 2 Elle apparaît, au plus tôt, après les indépendances, car avant cet événement, la puissance colonisatrice avait imposé la même solution partout. 3 Même si le résultat est l’application de la même règle partout, on ne peut dire qu’il s’est agi d’une entreprise d’unification du droit. D’abord, ce ne fut pas une œuvre d’intégration juridique à partir de droits différents puisque avant n’existait pas véritablement un droit du travail dans les territoires africains. Ensuite, les territoires concernés étaient sous domination, ce qui leur enlevait la possibilité d’une participation consciente à un « processus d’unification » comme on en connaît aujourd’hui. En vérité, il s’est agi d’une imposition de normes. 4 Cette extension était faite moyennant, souvent, quelques adaptations. 5 P. Lampué, préface dans Le droit africain du travail de M. Kirsch, Travail et profession d’Outre-mer, Paris, Tome 1, p. 1, 6 Il y a eu, entre-temps, l’échec du Code Moutet du 17 août 1947. 7 Ces débats sont retranscrits dans le Journal officiel de la France, des 15 et 16 décembre 1952, p. 11544, avec le rectificatif au Journal officiel du 29 janvier 1953, p. 853. 8 L’article 2 du traité OHADA cite le droit du travail parmi les matières à harmoniser. 9 Pour ces résistances à l’Assemblée et au Sénat français, lire P. Huguet, « Code du travail d’Outre-mer, Texte et commentaire » , Recueil Sirey, 1953, pp.1 et s. 2 animées par des Africains. Sans rien exagérer, il faudrait dire qu’on était, dans une certaine mesure, dans une sorte d’octroi ou d’imposition de législation. On ne peut certes pas dire que le projet d’harmonisation du droit du travail dans le cadre de l’OHADA échappe à toute emprise externe à l’Afrique10 ; mais au moins, l’Afrique semble aujourd’hui plus consciente des problèmes du droit du travail et, d’un point de vue technique, sans doute plus outillée qu’hier pour comprendre et discuter de ces problèmes. En second lieu, la technique d’intégration juridique choisie par l’OHADA ne peut laisser indifférent compte tenu du contexte. En effet, au lendemain des indépendances, les jeunes Etats africains ont voulu mettre un point d’honneur à défendre leur souveraineté internationale, ce qui promettait des solutions s’éloignant de l’héritage colonial commun. Même si parfois ces Etats ont accepté d’évoluer conventionnellement vers des solutions communes dans telle ou telle matière, notamment dans le cadre de l’OIT, la formule souvent utilisée fut celle des conventions programmatiques dont les dispositions doivent être transcrites dans la législation interne. Ils pouvaient alors, pour une raison ou une autre, renier insidieusement leurs engagements internationaux ou, au moins, en moduler le respect. Or, la technique d’« harmonisation » du droit retenue par l’OHADA ne permet pas ce jeu. On a souligné que contrairement au nom de l’Organisation, la technique qu’elle met en œuvre n’est pas celle de l’harmonisation mais bien celle de l’unification11. Les actes pris pour l’adoption des règles communes sont appelés « Actes uniformes »12 et sont directement applicables et obligatoires dans les Etats Parties nonobstant toute disposition contraire de droit interne, antérieure ou postérieure13. La volonté d’unifier les solutions est tellement forte que les Etats- Parties au traité OHADA ont créé une cour commune chargée de contrôler l’application de ces solutions par les juridictions nationales14. Et pour ne rien laisser au hasard, la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage, lorsqu’elle casse une décision, évoque et statue au fond15. Le dispositif juridique et institutionnel est donc bien préparé pour l’unification du droit. Les remous qu’on a observés dans les Etats membres de l’OHADA au lendemain de l’entrée en vigueur de certains Actes uniformes16 montrent que certaines matières se prêtent difficilement à l’unification. Le droit du travail serait de ces matières qu’on n’uniformise pas sans risque17. Encore faut-il qu’on s’entende sur le sens d’une telle affirmation. S’il s’agit véritablement d’uniformisation, on peut en effet redouter de graves difficultés. En revanche s’il s’agit d’harmoniser, ces difficultés peuvent être relativisées dans le contexte africain. En fait, sur les plans aussi bien formel que substantiel, le projet d’harmonisation du droit du travail en Afrique évolue sur un terrain bien balisé18. Pour autant, on ne peut pas parier sur la réussite de l’entreprise d’harmonisation du droit du travail. A cet égard, l’erreur serait de 10 Ce serait négliger injustement le poids des bailleurs de fonds internationaux qui sont les premiers demandeurs d’harmonisation du droit du travail. 11 J. Issa Sayegh, « L’intégration juridique des Etats africains de la zone franc », Penant 1997, n° 823, pp. 5 et s. ; J. Issa Sayegh et J. Lohoues-Oble, Ohada, harmonisation du droit des affaires , Bruxelles, Bruylant, 2002, p. 93. 12 Voir article 5 du traité OHADA. 13 Voir article 10 du traité OHADA. 14 Voir article 14 du traité OHADA. 15 Voir article 14 alinéa 5 du traité OHADA. 16 L’exemple le plus symptomatique reste sans doute celui de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution. 17 J. Issa Sayegh, « Questions impertinentes sur la création d’un droit social régional dans les Etats africains de la zone franc », Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale, Université Montesquieu-Bordeaux IV, 1999, p. 170 et s. 18 En témoignent les ouvrages consacrés au droit africain du travail : Le droit du travail africain de M. Kirsch, op.cit et Le droit du travail en Afrique francophone de R. Lemesle, Paris, EDICEF/AUPELF, 1989. 3 penser qu’elle peut consister seulement en l’adoption de textes communs. Les textes sont certes importants dans notre système juridique ; encore faut-il qu’ils soient de qualité. En droit du travail africain en particulier, reste à conjurer le démon de l’ineffectivité des solutions, entre autres par l’adoption d’un droit compréhensible, adapté et praticable. L’harmonisation du droit du travail ne peut en effet être réussie que si des réponses pertinentes et techniquement bien traduites sont données aux problèmes communs des pays africains. Heureusement une partie du parcours est faite, reste à prendre les précautions suffisantes pour avancer. Dans les lignes qui vont suivre, nous tâcherons d’indiquer successivement les acquis (I) et les requis (II) de l’harmonisation du droit du travail dans le cadre de l’OHADA. I. Les acquis de l’harmonisation du droit du travail Au regard du grand taux d’ineffectivité du droit et en particulier du droit du travail19 en Afrique, il faudrait relativiser l’importance des textes dont se dotent les Etats africains. On a parfois le sentiment que l’objectif des Etats est d’avoir une législation, son application n’étant pas la préoccupation principale20. Pour autant, et tout au moins dans les pays de tradition juridique romano-germanique, l’adoption des textes apparaît comme une étape nécessaire dans l’établissement d’un droit sûr et facilement repérable. Il ne faudrait donc pas sous- estimer l’importance des solutions communes que contiennent déjà les codes africains du travail. Plusieurs facteurs entrés en jeu successivement ou simultanément ont contribué à l’émergence de cette plate-forme commune. On rappellera uploads/S4/ d-10-29-l-x27-harmonisation-du-droit-du-travail-dans-le-cadre-de-l-x27-ohada-la-mesure-d-x27-un-changement-en-perspective.pdf

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  • Publié le Nov 14, 2022
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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