Les raisons du développement du soft law en droit international: choix ou néces
Les raisons du développement du soft law en droit international: choix ou nécessité? Alain PELLET 1 Professeur émérite de l'université Paris Nanterre Ancien président de la CD I Membre de l'IDI Autant être carré - mais en un balancement qui m'est aussi cher qu'à notre président de la République: le recours à la soft law (mais ne vaudrait-il pas mieux dire AU soft law? car ce n'est pas de loi, mais de droit qu'il s'agit) en droit international2 relève d'un choix souvent dicté par la nécessité. Mais, avant d'en venir là, quelques remarques générales qui constitueront le cadre de ma réponse. I - ATTRAITS ET DÉSAGRÉMENTS DU SOFT LAW A. Le dégradé normatif international Contrairement à mon maître admiré mais critiqué, Prosper Weil3, je tiens que la normativité - ou la juridicité, mais le droit est par essence 1. Avec mes remerciements à Jean-Rémi de Maistre, doctorant à l'université Paris- Nanterre; chercheur en droit international (CEDIN), pour son aide dans la préparation de cette contribution. 2. Je m'en tiens au droit international public au sens étroit de droit interétatique, mais on ne saurait ignorer que le droit transnational par exemple constitue aussi un domaine privilégié dans lequel le soft law est particulièrement vivace (v. not. TttÜRER D., «Soft Law», Max Planck Encyclopedia of Public International Law, 2009, par. 35; LATTY F., « La diversité des sources du droit de l'Internet», in SFDI, Internet et le droit international, Colloque de Rouen, Paris, Pedone, 2014, p. 57-61; DE Bo1ssÉSON M., «La "Soft Law" dans l'arbitrage», Cahiers de l'arbitrage, 1er oct. 2014, n° 3, p. 519). 3. WEIL P.,« Vers une normativité relative en droit international?», RGDIP 1982, n° 1, p. 5-47, 178 APPROCHE GÉNÉRALE normatif - est relative4. Entre le non-droit et le droit impératif existe tout un dégradé de normes plus ou moins contraignantes qui vont de celles auxquelles on ne peut déroger à peine de nullité et, dans certains cas au moins, de sanctions coercitives et répressives, à celles qui exposent ce que devrait être un comportement« normal» sans que puisse résulter une quel- conque affliction d'une conduite non conforme. En d'autres termes, je suis de ceux qui considèrent résolument que « it is excessively simplistic to dive written norms into those that are binding and those that are not »5. Dans ce dégradé, le soft law se situe par hypothèse vers le bas de l'échelle de la normativité sans qu'il soit toujours facile de déterminer où il s'arrête et où commence le hard law, le bon vieux droit positif fait de commandements et d'interdictions6• Et cela est vrai même si l'on s'en tient à une approche classiquement volontariste. A priori, dans cette perspective, le droit résulte del' expression de la volonté de l'État: s'il entend se lier, la règle ainsi posée sera réputée «juridique»; s'il n'exprime pas de volonté en ce sens, la norme énoncée, reléguée hors du droit, fera l'objet d'une excommunication juridique. Mais c'est là que le raisonnement est abusivement simyliste: lorsque, dans un traité en bonne et due forme et en vigueur, les Etats parties « cherchent à parvenir »7, « devraient prendre des mesures pour conserver et, le cas échéant, renforcer ... »8, « reconnaissent que certaines Parties décident d'agir volontairement en concertation »9, « sont encouragés à faciliter la coopé- ration internationale »10, « œuvrent en vue de promouvoir »11, « devraient 4. PELLET A., « Le droit international à l'aube du xxr< siècle (La société internationale contemporaine - permanences et tendances nouvelles)», cours fondamental in Cours euro- méditerranéens Bancaja de droit international, vol. I, 1997, Aranzadi, Pampelune, 1998, p. 32-34; « Cours général: le droit international entre souveraineté et communauté interna- tionale - La formation du droit international», Anuario Brasileiro de Direito I nternacional, vol. Il, 2007, p. 14; également reproduits in Le droit international entre souveraineté et communauté, Paris, Pedone, 2014, p. 21-23 et 119 et disponible sur http://alainpellet.eu/ bibliographie/ articles/. 5. BAXTER R. R., « International Law in Her Infini te Variety », ICLQ, vol. 29, oct. 1980, p. 552. 6. Pour une présentation gaillarde de la difficulté à distinguer le hard du soft, v. BoDEAU.- LrvINEC P., « Hard Law: érection durable», in Dictionnaire des idées reçues en droit international, Paris, Pedone, 2017, p. 287-292. 7. Accord de Paris, 6 déc. 2015, entré en vigueur le 4 nov. 2016, article 4, par. 1. 8. Ibid., article 5, par. 1. 9. Ibid., article 6, par. 1. 10. Traité sur le commerce des armes, adopté à New York, 2 avr. 2013, entré en vigueur le 24 déc. 2014, article 15, par. 2. 11 "1'1 ......... ~ ..~ ~u..- 1... rt.. ...-.,. ...L,. 1,~..... .,.,,-......:.0. .... ..-1 .....-t-~;; T 1chnnnP 17 ...t~.... 1 00,.f -- ....-~ -- --~- ......-u..- lP ALAIN PELLET 179 toujours respecter les principes qui suivent »12, peut-on encore parler de droit dur, voire de droit tout court? La réponse la plus simple, mais décidément simpliste, consiste à dire: ~ Oui, la norme est juridique puisqu'un traité constitue indiscutablement une source de droit.» Mais on voit bien qu'une telle analyse n'est pas satis- faisante: certes, il s'agit bien de normes; le traité expose des attentes, des expectatives, de la part des autres parties; mais il est à peu près impossible d'apprécier l'existence ou l'importance d'une violation de telles normes, et, dès lors, d'en tirer les conséquences qui s'attachent en principe à la violation d'une règle obligatoire, à commencer par l'engagement de la responsabilité de son auteur. Formellement dures, car incluses dans un traité, ces normes sont matériellement molles: elles relèvent de la normati- vité puisqu'elles énoncent un comportement attendu de leurs destinataires; mais elles échappent au corollaire tenu pour habituel en cas de non-respect du droit: la responsabilité de l'auteur du fait illicite qui se traduit, lorsque le manquement a causé un dommage, par l'obligation de réparer. Cela ne revient nullement à dire que les normes en question, qu'elles soient molles formellement ou matériellement, ne produisent aucun effet au plan juridique. On peut, d'une manière générale, leur appliquer les constatations que faisait le juge Hersch Lauterpacht à propos de la ques- tion de la valeur juridique des résolutions non obligatoires de l'Assemblée générale des Nations unies à laquelle il refusait de répondre «parle seul énoncé du principe qu'elles ne sont pas juridiquement obligatoires». Ce que le grand juge contestait en revanche était le droit du destinataire d'une norme recommandée « de l'ignorer purement et simplement( ... ) et de s'abstenir de fournir des raisons pour ne pas leur donner effet ou pour ne pas les soumettre à examen en vue de leur donner effet. Ce qu'on a contesté, c'est l'opinion qu'une recommandation est sans aucun effet juridique quelconque. Une résolution recommandant à un État adminis- trant une mesure déterminée crée une certaine obligation juridique qui, si rudimentaire, souple et imparfaite qu'elle soit, est cependant une obligation juridique et constitue une mesure de surveillance. L'État en question, s'il n'est pas tenu d'accepter la recommandation, est tenu de l'examiner de bonne foi. Si, eu égard à sa propre responsabilité en dernier ressort pour ~a bonne administration du territoire, il décide de ne pas en tenir compte, il doit donner les raisons de sa décision» 13• C'est que, «de par leur nature même, les recommandations ne créent pas d'obligations juridiques de passer 12. Convention relative à l'assistance alimentaire, adoptée à Londres, 25 avr. 2012, entrée en vigueur le 1er janv. 2013, art. 2, al. a). 13. Opinion individuelle de M. Lauterpacht, jointe à CIJ, avis consultatif, 7 juin 1955, P~,.,,,.,,:,,J •.•. _ J _ ___ ... _ ___ ..._,: __ LI ... .... u ..... nuort;,n,,..,:, t-nu,.L.-.,,..,. 1-- --........ ,,... .. .,.,. ,,...,. ""',,{,.;-,.,;,..,.,..r 'll"DJ,,,t;r~ /1.U à exécution, bien qu'en certaines circonstances appropriées elles constituent une autorisation légale pour les membres décidés à s'y conformer soit individuellement, soit collectivement »14. Et d'ajouter: « Quelle que soit la teneur de la recommandation, et quelles que soient la nature et les carac- téristiques de la majorité qui l'a votée, la recommandation n'en reste pas moins un acte juridique de l'organe principal des Nations unies, que tous les Membres de l'Organisation sont juridiquement tenus de considérer avec le respect qui est dû à une résolution del' Assemblée générale »15• En d'autres termes, ces normes molles permettent ( en tout cas dans les relations entre les parties prenantes), mais n'obligent pas. J'ajoute en passant que la «mollesse» du droit peut se nicher à des endroits inattendus. On peut la déceler par exemple dans la jurisprudence des cours et tribunaux internationaux, y compris celle de la CIJ. On pense tout de suite à ses avis consultatifs qui, par définition, ne sont obligatoires ni pour l'organe qui les a demandés ni même pour les destina- taires de la norme faisant l'objet de la demande. Comme la Cour l'a relevé: « Une distinction doit ainsi être établie entre le caractère consultatif de la fonction de la Cour et les effets particuliers que les parties à un différend existant peuvent souhaiter attribuer, dans leurs relations mutuelles, à un avis consultatif de uploads/S4/ les-raisons-du-developpement-du-soft-law-en-droit-international-choix-ou-necessite.pdf
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- Publié le Aoû 12, 2022
- Catégorie Law / Droit
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