M.A. BENABDALLAH 1 Doctrine et droit administratif (∗) Mohammed Amine BENABDALL

M.A. BENABDALLAH 1 Doctrine et droit administratif (∗) Mohammed Amine BENABDALLAH Professeur à l’Université Mohammed V Rabat-Souissi 1- "Le droit administratif est d'origine essentiellement jurisprudentielle". Cette assertion que l'on rencontre au seuil de l'étude de la matière et que les enseignants inculquent à leurs étudiants en l'entourant de toutes les explications éclairantes (1), relègue en second plan un fait et une réalité que l'on met peu en évidence: c'est une matière où la doctrine sans constituer une source directe n'y a pas moins joué un rôle déterminant. Lorsque l'on parle des sources du droit administratif au sens des sources de la légalité administrative, on les classe traditionnellement en deux rubriques distinctes où la doctrine, à juste titre, ne bénéficie d'aucun droit de cité (2). Ceci est un fidèle reflet du vécu quotidien de la matière dans la mesure où jamais on n'a relevé une annulation d'un acte administratif pour cause de non-conformité à un point de vue doctrinal. La hiérarchie des normes peut certes varier d'un pays à l'autre, mais nulle part l'on ne verra une telle attitude dans la mesure où même lorsque le juge adopte une orientation à l'occasion d'un litige sous l'influence d'un courant de pensée quelconque, il ne le mentionne pas dans les visas ou la motivation de son arrêt. Cette position, en parfaite harmonie avec la logique juridique, inspire la certitude que la doctrine ne s'impose nullement au juge mais peut exercer sur lui une influence difficile à éviter et encore moins à ignorer. Dans son pays natal, le droit administratif, tel qu'il existe aujourd'hui, doit sans aucun doute, sa naissance aux principes proclamés au lendemain de la Révolution (3), mais ne demeure pas moins affilié à une imagination jurisprudentielle extrêmement féconde qui s'est employée à combler, au long des années, les vides juridiques laissés par l'absence de recours au droit privé pour le règlement des litiges opposant l'Administration aux citoyens (4). ∗ REMALD, Thèmes actuels, n° 1, 1995, p. 9 et suiv. 1 Dans la quasi totalité des ouvrages de droit administratif, il est expliqué que l'on entend par caractère jurisprudentiel. C'est non point le fait qu'il y aurait absence de textes législatifs ou réglementaires régissant les relations Administration et administrés mais plutôt que la plupart des règles contenues dans ces textes-là sont d'origine jurisprudentielle. Le caractère jurisprudentiel de la matière ne tient donc pas à un facteur quantitatif mais structurel. 2 R.Chapus, Droit administratif général, Montchrestien 1985 p. 27 et s.; J. Moreau, Droit administratif, PUF 1989 p. 503 et s. 3 C.Goyard, La compétence des tribunaux judiciaires en matière administrative, Montchrestien 1962 ; M.Gjidara, La fonction administrative contentieuse, LGDJ 1972. 4 G.Vedel, Le droit administratif peut-il être indéfiniment jurisprudentiel ? EDCE 1979-1980 p 31 - Voir spécialement, p. 33 et s. où l'auteur explique avec la clarté qui lui est coutumière combien il aurait été difficile au législateur d'écrire un code administratif, qui serait le pendant du code civil, ou même de poser quelques textes-clés. On lira aussi, pour davantage d'explications, l'article du même auteur "Discontinuité du droit constitutionnel et stabilité du droit administratif: le rôle du juge" Mélanges M.Waline, 1974, T.II, p.778. M.A. BENABDALLAH 2 Et si on peut dire que dès les deux premières décennies de ce siècle, tous les grands principes, gouvernant encore de nos jours cette branche du droit, ont été posés (5), c'est tout aussi grâce au dynamisme et à l'audace des juges qu'à l'éveil et la vigilance de la doctrine (6). Les vues émises par celle-ci, sans s'imposer avec la force d'une norme juridique émanant d'une autorité investie de l'organisation étatique, ont dans une large mesure, fini par exercer un "ministère d'influence" (7) par le fait qu'un grand nombre d'entre elles s'est infiltré dans les considérants de tel ou tel arrêt par le truchement des conclusions des commissaires de Gouvernement. Qu'en est-il au Maroc? 2- L'apparition du droit administratif issue d'une interdiction faite aux tribunaux d'entraver l'action administrative est incontestablement liée au début du protectorat (8). Son évolution depuis lors a traversé plusieurs étapes, points de repères permettant de mesurer l'attachement à l'idée et au développement de la protection du citoyen contre les maladresses, l'arbitraire ou les errements de l'Administration (9). Cette période qui s'étale sur une quarantaine d'années a été déterminante dans l'histoire juridique marocaine. Sur le plan doctrinal, elle fut assez faste et l'on se limitera à deux domaines qui constituent en fait les deux pièces maîtresses de la matière: la responsabilité administrative et le recours pour excès de pouvoir. En matière de responsabilité, on sait que le législateur s'était limité à en poser le principe dans les articles 79 et 80 du DOC en laissant au juge toute possibilité d'interprétation. Précisément dans ce cadre, la doctrine de l'époque avait joué le rôle d'appoint qui lui revenait (10). Tantôt reflet des décisions des tribunaux, tantôt critique de leur orientation, les auteurs ont eu une grande influence sur l'attitude finalement adoptée par le juge. Dans un article de fond, extrêmement fouillé, paru dans la Gazette des tribunaux (11), A. De Laubadère avait mis les pendules à l'heure en proposant une interprétation tout à fait convaincante que les tribunaux finirent par adopter (12). 5 M.Waline, Cinquante ans de jurisprudence, Dalloz 1950 ch.p.21. 6 J.Rivero, Apologie pour les faiseurs de systèmes, Dalloz 1951, ch.p.99 ; Jurisprudence et doctrine dans l'élaboration du droit administratif, EDCE, 1955 p.2. 7 L'expression est de J.Rivero qui parle aussi de "chambre de réflexion" loc. cit., EDCE, p.28. 8 Dahir sur l'organisation judiciaire, 12 août 1913, les articles 79 et 80 du DOC, 12 août 1913. 9 1957, création de la Cour Suprême et institution du recours en annulation pour excès de pouvoir; 1994, création de tribunaux administratifs dans chacune des sept régions économiques du Royaume. 10 A.Regnier, Le contentieux administratif marocain, GTM 1927, n° 297 p.363 ; P.Louis Rivière, note sous CA Rabat, 2] janvier 1928, Société des Arts marocains, S.1930-11-25 ; R.Monier, le contentieux administratif au Maroc, Sirey, 1935 p.137. 11 A. De Laubadère, Le fondement de la responsabilité des collectivités au Maroc ; la faute ou le risque? GTM 1943 n° 923 p. 25 et GTM 1943 n° 926 p.49. 12 Cour de Rabat, 9 déc.1947, Lanepaban, S.1949 -11-24, note De Laubadère et Cour de Rabat, 13 mars 1951, succession Pichon, RACAR 53-54 p. 34. M.A. BENABDALLAH 3 En matière de recours pour excès de pouvoir, la question s'était présentée tout autrement. Interdit par le dahir du 12 août 1913 (13), le recours en annulation, comme on le sait, ne fut possible en 1928 (14) qu'aux fonctionnaires du protectorat mais uniquement quant à l'application de leur statut. Les tribunaux avaient alors adopté une position très favorable à l'administré (15). Par l'exception d'illégalité, ils avaient trouvé le moyen de se prononcer sur la légalité des actes administratifs. Le fait est que dans ce domaine particulièrement, la doctrine avait non seulement loué la position très courageuse des juges, mais elle lui avait trouvé un fondement juridique absolument imposant (16). 3- L'indépendance recouvrée, le Maroc a opté pour un système de contrôle juridictionnel de l'Administration très apparenté à celui qui avait été institué par le protectorat, caractérisé cependant par une unité de juridiction que certains auteurs préconisaient avec force (17). Le droit administratif prit un nouveau départ avec la création de la Cour Suprême. C'est à partir de là que l'on propose de situer notre réflexion. Aussi dans les lignes qui suivront s'attachera-t-on à réfléchir sur ce que l'on pouvait attendre de la doctrine marocaine, s'arrêter sur sa contribution et s'interroger sur les raisons des résultats de celle-ci. - I - 4- D'abord, une précision quant à la définition! La doctrine au Maroc comme du reste ailleurs, ne se limite pas au corps enseignant qui fait part de ses impressions dans des écrits destinés à des étudiants ou à un public averti, suivant l'évolution de la discipline. Elle comprend également tous ceux qui en ayant une formation juridique émettent des points de vue susceptibles d'enrichir la matière en lui fournissant des éléments de débat aussi infimes soient-ils. De cette doctrine, le droit administratif attend beaucoup. Principalement la systématisation de la matière et le suivi continu de l'évolution de jurisprudence, son impulsion par des commentaires explicatifs mettant en relief sa cohérence, sa conformité aux textes, ses 13 Article 8 du dahir du 12 août 1913. 14 Dahir du 1 septembre 1928. 15 Cour de Rabat 19 avril 1924, Balazun, Penant 1925 p.50; Cass. crim. 14 janvier 1928, Foucherot, S. 1929- I- 385 note Louis Rivière. 16 A. De Laubadère, Le contrôle de la légalité des actes administratifs par les tribunaux judiciaires au Maroc, GTM 1943 p.124; F. Luchaire, La séparation des autorités administratives et judiciaires au Maroc, Penant 1946 Doct. p. 9; G. Messonnier, Le contrôle juridictionnel de la légalité des actes administratifs au Maroc, RMD 1949, Doct. p.136. 17 G. Liet-Veaux, Réflexions sur la séparation des contentieux, R.A. 1956 p.369; J.C. Groschens, Réflexions sur la dualité de juridiction, AJDA 1963 p. 538. M.A. BENABDALLAH 4 revirements et, si besoin est, ses erreurs. 5- uploads/S4/ doctrine-et-droit-administratif.pdf

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  • Publié le Jan 19, 2022
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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