RFDA RFDA 2020 p.173 La proportionnalité des sanctions administratives dans la

RFDA RFDA 2020 p.173 La proportionnalité des sanctions administratives dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel Carole Gallo, Maître de conférences à l'Université de Rouen, Centre universitaire rouennais d'études juridiques (CUREJ), (équipe d'accueil 4703) « Si vous montez trop haut, vous brûlerez la demeure céleste, si vous descendez trop bas, vous réduirez en cendres la Terre : n'allez point trop à droite, vous tomberiez dans la Constellation du Serpent ; n'allez point trop à gauche, vous iriez dans celle de l'Autel : tenez-vous entre les deux » (1). La proportionnalité n'est pas de nature à satisfaire les esprits trop profondément rationnels. Résolument fuyante, elle fait partie de ces abstractions sur lesquelles le droit se repose pour adapter la règle juridique à la réalité sociale. Rétive à toute définition précise, elle rejoint le « raisonnable », « le normal » ou encore « l'équité », dans sa capacité à « entourer d'un mur de mots un terrain vague d'idées » (2). Les plus téméraires se risqueront à dire que la proportionnalité exprime, dans le domaine du droit, l'idée d'un juste milieu, le respect d'un rapport de grandeur entre plusieurs éléments, la balance placée entre les mains du législateur et du juge pour trouver le point d'équilibre entre des intérêts antagonistes (3). La proportionnalité, pourtant, est partout. Formant l'« ossature inapparente du droit » (4) elle présente la particularité de ne pas se laisser enfermer dans l'une de ses branches. Si l'exigence de proportionnalité est apparue très tôt en Europe, dès la fin du XVIIIe siècle, comme un fondement du droit pénal moderne (5), elle s'est propagée depuis à l'ensemble des branches du droit - que ce soit le droit international, européen des droits de l'homme, de l'Union européenne, administratif ou constitutionnel - au point que tout juriste est, à un moment ou à un autre de sa pratique, confronté à la notion de proportionnalité. Plus généralement, la proportionnalité a évolué, au cours du XXe siècle, d'une simple idée devant guider l'action du législateur (l'État ne doit pas agir de manière disproportionnée) à un principe explicitement consacré par le droit positif (l'État doit mettre en oeuvre des moyens proportionnés pour fonder son action) (6), ce que confirme tout à fait l'examen du droit français. Dans ce contexte, le choix de cantonner l'étude de la proportionnalité à un domaine spécifique - celui des sanctions administratives - tel qu'appliqué dans le contexte du droit constitutionnel par un juge spécifique - le Conseil constitutionnel - pourrait paraître, sinon arbitraire, du moins inapproprié. Il ne résulte pourtant pas d'une envie d'aller à contre-courant, ni du besoin de circonscrire un champ trop vaste d'étude, mais plus certainement de la conviction que le principe de proportionnalité trouve, en la matière, une application des plus emblématiques. Deux raisons soutiennent cette idée. La première est liée au fondement même de l'exigence de proportionnalité (7). Celle-ci est empruntée au discours sur l'État libéral, au sens où elle vise à limiter le pouvoir des autorités publiques par le respect des droits et libertés fondamentaux et ne restreindre ceux-ci que dans la mesure où cela est nécessaire à la réalisation de l'intérêt général (8). C'est d'ailleurs sur cette philosophie qu'est fondée la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (DDHC) de 1789. Plusieurs dispositions de la DDHC exigent en effet la nécessité, donc la proportionnalité, des restrictions apportées aux droits des personnes (9). L'exigence de proportionnalité, en tant que corollaire du principe de nécessité, constitue tout autant le fondement et la limite de l'exercice du pouvoir étatique (10). En ce sens, elle exprime moins une technique juridictionnelle qu'une véritable philosophie qui irrigue l'ensemble du droit public et, à plus forte raison, le droit constitutionnel (11). Aussi la proportionnalité s'impose-t-elle avec d'autant plus de force que la mesure se situe dans un domaine particulièrement sensible pour les libertés individuelles. Le pouvoir répressif de l'administration n'est pas des moindres. Toute répression, qu'elle soit administrative ou pénale, comporte une atteinte à une situation individuelle. Or dans un État libéral, ce qui peut seul justifier une telle atteinte, c'est la nécessité. L'administration ne peut détenir ce pouvoir que parce que et dans la mesure où cela lui est nécessaire pour réaliser ses missions d'intérêt général. Comme toute prérogative de puissance publique, la sanction administrative n'est jamais qu'un instrument au service d'une finalité. Une sanction administrative est donc disproportionnée lorsqu'elle dépasse ce qui est strictement nécessaire pour parvenir à l'objectif poursuivi et s'en trouve, par là-même, privée de fondement (12). La seconde raison qui justifie le champ de l'étude concerne l'existence même d'un principe de proportionnalité en droit constitutionnel français. La question offre une alternative : le droit positif consacre-t-il un principe général de proportionnalité valable pour l'action publique toute entière, comme c'est le cas par exemple en droit de l'Union européenne (13) ? Ou au contraire, en l'absence d'un tel principe général, pose-t-il un principe de proportionnalité qui soit propre à l'action répressive ? Longtemps débattue, la réponse à apporter à cette question ne souffre, en l'état actuel du droit positif, guère de discussion. Entre le principe général du droit et le principe spécifique à la matière répressive, la jurisprudence constitutionnelle a tranché en faveur du second. C'est uniquement sur le terrain de la nécessité des délits et des peines, formulé à l'article 8 de la Déclaration de 1789, que se matérialise le passage d'une simple exigence de proportionnalité à un principe explicitement consacré en droit positif français. En effet, dans sa décision Liberté et Sécurité de 1981, le Conseil constitutionnel déduit pour la première fois de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, aux termes duquel « la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires », l'existence d'un principe de proportionnalité des sanctions pénales (14). Cette décision laissait toutefois dans l'ombre la question de l'application des principes constitutionnels à caractère pénal à ce que l'on appelle couramment les sanctions administratives. Ce n'est qu'au cours des années 1980 que, s'inspirant des évolutions marquées de la jurisprudence administrative (15) et de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) (16), le Conseil constitutionnel va appliquer à l'ensemble des sanctions administratives, y compris disciplinaires et fiscales, les principes issus du droit pénal, à condition toutefois que celles-ci présentent bien le caractère d'une punition. Par sa célèbre décision du 30 décembre 1982, il franchit une étape décisive vers l'assimilation des sanctions administratives à la « matière pénale », en considérant que les principes issus de l'article 8 de la Déclaration de 1789 ne concernent « pas seulement les peines appliquées par les juridictions répressives mais s'étend(ent) nécessairement à toute sanction ayant le caractère d'une punition, même si le législateur a cru devoir laisser le soin de la prononcer à une autorité non judiciaire » (17). En 1987, il reprendra la formule pour y inclure le principe de proportionnalité des peines (18). Le raisonnement est le suivant : si les sanctions prononcées par les autorités administratives ne sont pas pénales, mais administratives, en ce sens qu'elles sont prononcées par une autorité administrative, les garanties constitutionnelles entourant les sanctions pénales leur sont toutefois applicables. Le Conseil constitutionnel admet donc, sous certaines limites (19), le principe même des sanctions administratives (20). Une précision supplémentaire s'impose à ce stade. Une fois admis l'existence d'un principe constitutionnel de proportionnalité encadrant la répression administrative, toute la question est de savoir quel est le champ d'application de ce principe. Autrement dit, à quelles sanctions s'applique-t-il ? Il convient ici de préciser ce que l'on entend par « sanction » et par « administrative ». En premier lieu, la notion de « sanction » peut être définie, au sens étroit du terme, comme une mesure ayant pour but de réprimer une faute, c'est-à-dire la méconnaissance par un sujet de droit, de ses obligations. Cette mesure répressive comporte, par définition, une atteinte à une situation individuelle, qu'elle soit matérielle ou morale. La notion de sanction suppose donc la réunion de trois éléments : un contenu (l'atteinte à une situation matérielle ou morale), un motif de fait (une faute, soit un manquement à une obligation préexistante) et un but (réprimer un comportement) (21). Encore faut-il préciser que le but punitif n'est que le « but direct » de la sanction ; son « but final » est de « protéger le ou les intérêts publics qui constituent le fondement des obligations méconnues » (22). Par exemple, la sanction de l'inexécution des engagements en droit des concentrations économiques a pour but direct de réprimer le comportement de l'entreprise défaillante, mais vise également une finalité plus lointaine, qui est d'assurer la « préservation de l'ordre public économique » (23). De même, la répression des fautes commises par les agents publics poursuit un but punitif, mais également la protection du bon fonctionnement du service, qui est d'intérêt général. Ainsi définie, la notion de sanction conditionne le régime juridique de la répression. En effet, pour le Conseil constitutionnel, la qualification de « sanction ayant le caractère d'une punition » est suffisante, en elle-même, pour imposer uploads/S4/ document-20200504-023638.pdf

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  • Publié le Mar 27, 2022
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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