1 ANALYSE DE L’AVIS N° 002/20 DU 18 MARS 2020 DE LA COUR CONSTITUTIONNELLE TOGO
1 ANALYSE DE L’AVIS N° 002/20 DU 18 MARS 2020 DE LA COUR CONSTITUTIONNELLE TOGOLAISE FAISANT DU CHEF DE L’ETAT LE PRESIDENT DU CONSEIL SUPERIEUR DE LA MAGISTRATURE (CSM) 2 INTRODUCTION L’organisation politique d’un Etat moderne repose sur un certain nombre de principes dont celui de la séparation des pouvoirs. Ce principe qui n’a cessé d’alimenter les débats depuis la publication de « De l’Esprit des lois » par Montesquieu en 1748, renferme l’idée que dans un Etat, le pouvoir devrait arrêter le pouvoir. « Il n’y a point de liberté, a écrit-il, si la puissance de juger n’est pas séparée de la puissance législative, et de l’exécutif. Si elle était jointe à la puissance législative, le pouvoir sur la vie et la liberté des citoyens serait arbitraire car le juge serait législateur. Si elle était jointe à la puissance exécutive, le juge pourrait avoir la forme d’un oppresseur »1. Pour garantir et renforcer l’indépendance du pouvoir judiciaire, la plupart des pays de tradition juridique de Code civil en Europe, mais également en Amérique latine, en Afrique, en Asie et au Moyen-Orient ont mis en place une institution dont le rôle est de garantir l’indépendance de la justice. Cette instance, qui peut avoir des dénominations diverses et qui sera appelée ici « Conseil supérieur de la magistrature» (CSM), est un organe constitutionnel, indépendant des pouvoirs exécutif et législatif, chargé essentiellement des décisions clés en matière de carrière judiciaire et d’administration de l’autorité judiciaire. L’article 115 de la Constitution togolaise exprime, en des termes ambigus, le vœu de pouvoir respecter le principe de l’indépendance de la magistrature, en ces termes : « le président de la République est garant de l’indépendance de la magistrature. Il est assisté à cet effet par le Conseil supérieur de la magistrature ». Cet article soulève plusieurs questions : d’abord, qu'est- ce au juste qu'un garant ? Au sens juridique du terme, être garant suppose un pouvoir, soit négatif, consistant à empêcher ou à sanctionner une atteinte à cette indépendance, soit positif, c'est-à-dire une compétence à cet effet, un pouvoir d'agir. Ensuite, s’il faut ici un garant, peut- il être le président de la République, c'est-à-dire le chef de l'exécutif ? Le principe de séparation des pouvoirs conduit à une réponse négative. Seul un organisme indépendant, tel le Conseil supérieur de la magistrature, devrait avoir cette responsabilité. Or, aux termes de l’article 115 précité, « il (le président de la République) est assisté à cet effet par le Conseil Supérieur de la Magistrature ». Le contenu d'une telle « assistance » est loin d'être clair. Le CSM serait alors en quelque sorte le « co-garant » de cette indépendance et non le garant originel et principal. Enfin, que signifie l’indépendance dans ce contexte ? La notion d'indépendance2 judiciaire est définie de façon constante comme étant la liberté de chaque juge de décider des litiges dont il est saisi conformément à son appréciation des faits et à sa compréhension du droit, sans influence ni ingérence quels qu'en soient l'origine et le motif. L’indépendance de la justice, c’est à dire l’absence de toute soumission des magistrats à des pouvoirs extérieurs dans l’exercice de leur fonction juridictionnelle doit être une constante préoccupation. Cette nécessité est solennellement proclamée par la Constitution du Togo qui dispose en son article 113 que « le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif…». 1 Montesquieu, De l’Esprit des lois, 1748. 2 L’indépendance du juge, a précisé de son côté l’éminent magistrat italien M. Ernesto Battaglini, est « le centre et le foyer de toute institution judiciaire : elle est même le support essentiel de la fonction judiciaire elle-même », « elle a un triple aspect, ajoute-il, indépendance constitutionnelle, indépendance de la fonction et indépendance de l’institution.». 3 Au Togo et dans d’autres Etats, il existe un débat récurrent sur l’implication de l’exécutif dans le judiciaire en ce qui concerne notamment la présidence du Conseil supérieur de la magistrature par le président de la République. Cette présence de l’exécutif s’accommoderait mal avec les exigences de la séparation des pouvoirs et d’indépendance du pouvoir judiciaire. Cependant, saisi3 sur la question de savoir si le président de la République pouvait présider le CSM face au silence de la Constitution sur cette question, le juge constitutionnel, régulateur du fonctionnement des institutions de la République, a émis un avis le 18 mars 2020, aux termes duquel il considère qu’« il ressort de l’esprit de la révision constitutionnelle de l’article 116 intervenue le 08 mai 2019, que le constituant a voulu, sans le dire expressément, donner la possibilité au président de la République, « garant de l’indépendance de la justice » et chargé de « veiller à l’impartialité , au professionnalisme, à la probité, à l’intégrité et à la dignité de la magistrature »4, de présider le Conseil supérieur de la magistrature. La réforme du Conseil supérieur de la magistrature reste un enjeu crucial, surtout par rapport aux éventuels risques d’immixtion du pouvoir exécutif dans la nomination des magistrats et partant de sa mainmise sur les postes clés du système judiciaire5. La Constitution togolaise actuelle ne précisant pas expressément, comme celle antérieure6, la personnalité compétente devant présider le CSM, c’est de l’interprétation du juge constitutionnel togolais qu’il ressort que le chef de l’Etat, chef de l’exécutif, est également le président de cette institution du pouvoir judiciaire. En effet, Devant cette tentative d’inféodation du pouvoir judiciaire par le pouvoir exécutif à travers la présidence du CSM par le chef de l’Etat, dans un régime jugé démocratique, plusieurs interrogations se soulèvent : Cette décision est-elle conforme aux principes qui régissent un Etat démocratique ? Le président de la République, chef de l’exécutif, au regard des principes de la séparation des pouvoirs et de l’indépendance de la justice, peut-il être admis à présider le Conseil supérieur de la magistrature, un organe du pouvoir judiciaire ? Pourrait-il répondre aux exigences d’édification et de consolidation d’une justice indépendante ? Un Conseil supérieur de la magistrature présidé par le président de la République, chef de l’exécutif, constitue non seulement un obstacle de taille dans l’administration de la justice (I) mais aussi une réforme à reculons (II). 3 Saisie par requête en date du 02 mars 2020, adressée au président de la Cour constitutionnelle, l’ancien président du Conseil supérieur de la magistrature, Akakpovi GAMATHO a demandé à la Cour de bien vouloir examiner les dispositions des articles 113 alinéa 1er, 115 (nouveau), 116 et 117 (nouveau) de la Constitution et de dire si le président de la République doit présider ou pas le Conseil supérieur de la magistrature 4 Cour constitutionnelle du Togo, avis N° av-002/20 du 18 mars 2020. 5 « Le Conseil supérieur de la magistrature : l’indispensable réforme », Ibrahima H. DEME, Magistrat Substitut Général Cour d’Appel de Dakar, Sénégal. 6 Avant cette révision, le président de la Cour de suprême était le président du Conseil supérieur de la magistrature. Article 116 alinéa 2 ancien de la Constitution disposait expressément que : « il (le CSM) est présidé par le président de la Cour suprême ». Selon la cour constitutionnelle, en supprimant l’alinéa 2 de l’article 116, le constituant a entendu ne plus faire de ce dernier (président de la Cour suprême) le président du CSM. 4 I- Le président de la République, président du CSM : une gangrène dans la justice Si le président de la République est aussi président du Conseil supérieur de la magistrature, les principes démocratiques de séparation des pouvoirs et de l’indépendance de la justice seront inéluctablement remis en cause. 1.1 La remise en cause du principe de la séparation des pouvoirs Selon Montesquieu « Tout homme qui a du pouvoir est tenté d’en abuser. Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. »7 Le principe de séparation de pouvoirs est une condition essentielle de l’Etat de droit. C’est grâce à la séparation des pouvoirs que les droits et libertés des citoyens sont garantis. En effet, cet avis du juge constitutionnel faisant du président de la République, le président du CSM, intervient à l’heure où la plupart des institutions de la République font l’objet d’une vague de réforme en vue d’instaurer un Etat de droit. Ce qui remet en cause les efforts antérieurement consentis dans le cadre de la modernisation de la justice par l’Etat togolais. Pour ce faire, « placer le pouvoir judiciaire sous le joug du pouvoir exécutif équivaudrait à la neutralisation du principe de la séparation des pouvoirs et à une absence de Constitution »8. Lorsque le sacro-saint principe de la séparation des pouvoirs est piétiné par les pouvoirs publics eux-mêmes, il en résulte une violation des droits et libertés fondamentaux des citoyens. Comme le soutient le professeur Abdoulaye Soma, « le principe de la séparation est inséparable de la protection des droits et libertés…La distribution organique du pouvoir entre plusieurs institutions et le contrôle que celles-ci s’exercent mutuellement a pour finalité de sauvegarder l’individu des atteintes à ses droits uploads/S4/ document-de-recherche-portant-sur-l-x27-avis-de-la-cour-constitutionnelle-du-togo-pdf.pdf
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- Publié le Sep 25, 2021
- Catégorie Law / Droit
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