Droit et société Le droit comme activité sociale : pour une approche wébérienne
Droit et société Le droit comme activité sociale : pour une approche wébérienne des activités juridiques Pierre Lascoumes, Évelyne Serverin Citer ce document / Cite this document : Lascoumes Pierre, Serverin Évelyne. Le droit comme activité sociale : pour une approche wébérienne des activités juridiques. In: Droit et société, n°9, 1988. Max Weber. Réception, diffusion de sa sociologie du droit. pp. 165-187; doi : https://doi.org/10.3406/dreso.1988.999 https://www.persee.fr/doc/dreso_0769-3362_1988_num_9_1_999 Fichier pdf généré le 15/05/2018 Abstract French scholars and researchers on law are often unaware of Weber 's sociology of law. For them, this book seems to be too historical, comparatist and theoritical also, they find it hard to relate it with Gurvitch 's or Durkheim 's problematics. One of the biggest reproach, t'a the place given to the dogmatical approach on law in Weber's analysis. Moreover, during the same time, no sociologist ever tried to apply his comprehensive approach to legal practices. This paper emphasizes on the fact that it is possible to use Weber's sociology of law in two ways : to overtake internal/external point of view dispute, wich often opposes lawyers and sociologists, and, also, to analyse legal activities as social interactions. Résumé La sociologie du droit de Max Weber est encore très mal connue des spécialistes français. Trop historique, trop comparatiste, trop théorique aussi, elle s'inscrit mal dans les "écoles" françaises, que ce soit celle de Gurvitch ou celle de Durkheim. On lui reproche surtout d'avoir trop respecté la science juridique dogmatique. De plus, pendant longtemps, on n'a trop su comment appliquer au secteur juridique sa sociologie compréhensive. Nous montrerons cependant que l'on trouve dans ses travaux les instruments nécessaires pour, d'une part, dépasser la querelle des points de vue "interne/externe" qui oppose encore souvent juristes et sociologues et, d'autre part, pour analyser les activités juridiques en tant qu'interactions sociales. Droit et Société N° 9, 1988 Le droit comme activité sociale : pour une approche wébérienne des activités juridiques Pierre LASCOUMES* - Evelyne SERVERIN** SUMMARY French scholars and researchers on law are often unaware of Weber 's sociology of law. For them, this book seems to be too historical, comparatist and theoritical also, they find it hard to relate it with Gurvitch 's or Durkheim 's probïematics. One of the biggest reproach, t'a the place given to the dogmatical approach on law in Weber's analysis. Moreover, during the same time, no sociologist ever tried to apply his comprehensive approach to légal practices. This paper emphasizes on the fact that it is possible to use Weber's sociology of law in two ways : to overtake internai/ external point of view dispute, wich often opposes lawyers and sociologists, and, also, to analyse légal activities as social interactions. RESUME La sociologie du droit de Max Weber est encore très mal connue des spécialistes français. TVop historique, trop comparatiste, trop théorique aussi, elle s'inscrit mal dans les "écoles" françaises, que ce soit celle de Gurvitch ou celle de Durkheim. On lui reproche surtout d'avoir trop respecté la science juridique dogmatique. De plus, pendant longtemps, on n'a trop su comment appliquer au secteur juridique sa sociologie comprehensive. Nous montrerons cependant que l'on trouve dans ses travaux les instruments nécessaires pour, d'une part, dépasser la querelle des points de vue "interne/externe" qui oppose encore souvent juristes et sociologues et, d'autre part, pour analyser les activités juridiques en tant qu'interactions sociales. La parution de la traduction française, si longtemps attendue, de la Sociologie du droit de Max Weber(l), a été pour la revue Droit et Société l'occasion du numéro que nous présentons aujourd'hui. Si cette publication a tant tardé est-ce seulement pour des raisons éditoriales? Ne peut-on également considérer que la méconnaissance généralisée de cette partie de l'immense entreprise que constitue Economie et société(2), s'explique aussi * Chargé de recherche au CNRS, GAPP, Paris 1, France. ** Chargée de recherche au CNRS, CERCRID, Université de Saint-Etienne, France. par le désintérêt des responsables des sciences juridiques françaises? On peut avancer sans grand risque d'être démenti qu'il s'agissait en quelque sorte d'un livre jusque là "inutile" . La position de M. Weber dans le champ intellectuel français a été longtemps marginale. Cet auteur a, en effet, été maintenu à distance. Ses problématisations furent traitées comme si elles étaient dépourvues de pertinence particulière pour nos débats. Dans le champ de la sociologie du droit de tradition française, Weber a toujours été "ailleurs", trop historien, trop comparatiste et trop théoricien dans un milieu intellectuel davantage 166 DROIT ET SOCIETE préoccupé de réforme sociale locale, plus ou moins radicale. Un "autre", respectueusement encensé, certes, en quelques formules lapidaires, mais pour mieux délaisser les questions qu'il introduisait et qui n'étaient pas celles de notre tradition intellectuelle. Des durkheimiens à la plupart des auteurs contemporains, cette attitude n'a cessé de se confirmer jusqu'à une période récente. Quels sont les fondements de cette sélectivité? Est-elle actuellement en cours de modification? En réponse à quels besoins et dans quelle direction s'effectue-t-elle? 1 - Le problème ne se limite d'ailleurs pas à l'Hexagone. Une partie importante du numéro que nous présentons, ici, est consacrée aux formes et aux problèmes de réception de Max Weber dans le champ intellectuel allemand et nord-américain. L'article que H. Treiber(3) a réalisé sur la place de Weber dans la sociologie du droit allemande contemporaine montre, à travers une impressionnante recension de travaux, que cet auteur est aussi bien considéré comme philosophe et historien que comme sociologue et juriste. C'est pourquoi sa sociologie du droit est toujours saisie à travers de plus vastes contextes théoriques. Ce sont surtout les parties de son œuvre qui traitent des processus de rationalisation et des fondements de la "modernité" (l'état des activités juridiques en étant un indicateur) qui nourrissent aujourd'hui la recherche. La situation nord- américaine analysée par G. Rocher (4) se présente sous un jour très différent. La place accordée à la sociologie du droit de Weber ne se comprend qu'au regard de la place de cet auteur dans la sociologie générale. Introduit par T. Parsons qui s'y réfère à l'appui de sa théorie "structuralo-fonctionnaliste" , Weber est resté, depuis, très présent dans les analyses sociologiques et socio-juridiques. Mais, selon les périodes, il a servi de point d'appui à des approches fort différentes, évolutionnistes, critiques et récemment ethnomé- thodologiques. J.G. Belley (5) analyse, quant à lui et toujours dans l'univers intellectuel anglo-saxon, la genèse et les transformations de la théorie des contrats depuis Weber. Il montre comment la sociologie d'une forme juridique, le contrat, a rejoint et s'est développée dans le sens d'une sociologie des professionnels du droit. C'est donc en tant qu'ensemble d'activités juridiques multiples que se trouve saisie et renouvelée l'approche wébérienne des contrats. 2 - En ce qui concerne la France, le sort réservé aux travaux de Weber en général et à sa sociologie juridique en particulier est un bon indicateur des luttes d'influence entre écoles rivales. M. Pollak (6) présente de façon très synthétique les principaux moments et enjeux qui ont déterminé la réception, longtemps distante, de cet auteur dans la sociologie française. Nous ferons quelques remarques sur la position tout aussi réservée des sociologues du droit. M. Pollak souligne que les durkheimiens ont toujours été réticents vis-à-vis des approches wé- bériennes qui proposaient une analyse moins ho- liste de l'action sociale et moins "impériale" du système juridique. Ainsi, H. Lévy-Bruhl ne consacre pas une seule ligne à M. Weber dans sa sociologie du droit, ni dans sa présentation des fondateurs de la discipline (7), ni même lorsqu'il effectue une "typologie provisoire des systèmes juridiques" (8), alors qu'il se réfère à Kantorowitz et à Ehrlich (9). La mise à distance de M. Weber par les sociologues du droit français avait sans doute été amorcée par Gurvitch qui, dans ses Eléments de sociologie juridique, effectua une disqualification déférente mais, néanmoins, ferme de l'approche wébérienne (10). Celle-ci n'apporterait qu'une "lu- PIERRE LASCOUMES & EVELYNE SERVERJN 167 mière relative" qui ne serait "pas d'un grand secours pour la science du droit" (11). Soucieux de démontrer l'utilité et la spécificité de la sociologie juridique, Gurvitch donne pour projet, à celle-ci, la mise à jour de la vie réelle du droit et l'adaptation de la technique juridique (souvent retardataire) à la réalité sociale multiple et mouvante. D'où deux grandes questions permanentes dans ses travaux, celle de la connaissance des sources et celle du changement des règles de droit. Après avoir loué quelques qualités de l'auteur allemand, en particulier sa rigueur méthodologique, il lui adresse deux compliments qui sont peut-être à double sens. Il relève tout d'abord sa "modestie" scientifique (son absence "d'esprit conquérant" ) puis sa contribution à la "bonne entente entre juriste et sociologue". Il est possible d'entendre, derrière ces éloges apparents, le reproche d'un manque d'ambition pour la discipline et celui d'une connivence dangereuse (12). Relevons que les travaux de Weber sont mentionnés dès l'introduction où leur critique fait directement suite à celles adressées aux positivistes et aux nor- mativistes. Dans un chapitre ultérieur consacré aux "fondateurs" , Weber est très brièvement mentionné comme faire-valoir de Ehrlich : "on peut considérer les conceptions de ce uploads/S4/ e-serverin-amp-p-lascoumes-le-droit-comme-activite-sociale-pour-une-approche-weberienne-des-activites-juridiques.pdf
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- Publié le Mai 15, 2021
- Catégorie Law / Droit
- Langue French
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