Philippe Salvage Droit pénal général Huitième édition Presses universitaires de
Philippe Salvage Droit pénal général Huitième édition Presses universitaires de Grenoble 5 Introduction au droit pénal 1. Le phénomène criminel est un fait inhérent au groupe social et à la nature humaine. Dans le temps, il remonte aux origines de l’humanité ; dans l’espace, aucun pays n’y échappe. La réalité du phénomène apparaît donc indiscutable. Elle est pourtant en partie insaisissable car, quel que soit l’angle d’approche sous lequel on se place, on ne parvient à en appréhender qu’une partie. Il existe d’abord une criminalité clandestine consistant en un nombre par hypothèse indéterminé d’infractions commises mais non officiellement révélées, criminalité qui a pour résultat de minimiser la gravité du phénomène. Il existe ensuite une criminalité apparente constituée des procès-verbaux, plaintes et dénonciations dont sont saisies les autorités de poursuite ; cette criminalité grossit artificiellement la portée du phénomène car bon nombre de ces procès-verbaux, plaintes ou dénonciations ne se traduiront finalement pas par des condamnations. Il existe enfin une criminalité légale ou judiciaire constituée par les condamnations annuellement prononcées par les tribunaux répressifs. C’est ainsi qu’en France, au cours des années « 2010 », les condamnations pour crimes ont été de l’ordre de 2 500, les condamnations pour délits de l’ordre de 600 000, les condamnations pour contraventions de l’ordre de plusieurs millions, du moins si l’on tient compte des contraventions ayant fait l’objet d’une procédure simplifiée. Encore convient-il d’ajouter que ce sont là des chiffres éminemment provisoires qui traduisent une progression constante ne paraissant nullement en voie d’être stoppée. L’importance incontestable du phénomène justifie donc une étude de ses données fondamentales. 6 droit pénal général Le phénomène criminel se présente comme un fait social et humain ; il faut, pour le comprendre, l’examiner dans ces deux aspects essentiels. 2. D’emblée, il apparaît comme la violation par un individu d’une règle sociale prévue par le droit, de telle sorte que la société se trouve atteinte dans les valeurs dont elle entendait assurer l’existence et la sauvegarde. Il en résulte un conflit entre l’individu qui a violé la règle et la société qui en est victime. La société est alors amenée à réagir, non pas de manière anarchique ou incontrôlée mais par l’intermé- diaire d’une règle de droit. Sa réaction va consister à frapper l’auteur de la violation d’une sanction, sanction d’autant plus rigoureuse que la règle transgressée était importante pour le groupe. Mais cette réac- tion sanctionnatrice n’est pas exclusive de la mise en œuvre de moyens préventifs destinés pour l’avenir à empêcher ou du moins à réduire le développement du phénomène. Il est par ailleurs évident que chaque fois qu’il se manifeste, le phéno- mène criminel se présente comme un fait humain mettant en cause un individu donné avec l’ensemble de ses coordonnées physiques, morales et sociales. Il convient de ne pas l’oublier pour apprécier la responsabilité de cet individu, le condamner éventuellement à une sanction, déterminer les droits qu’en toute hypothèse il doit conserver durant l’ensemble du processus. Sans doute l’approche sociale du crime et l’approche humaine du criminel sont-elles les deux faces d’une même réalité, mais il n’est pas pour autant indifférent d’aborder celle-ci sous l’un de ces deux angles de préférence à l’autre. C’est ainsi que si, autrefois, on a eu tendance à privilégier le point de vue social, l’époque moderne s’efforce au contraire de mettre l’accent sur le point de vue individuel. Ainsi présenté dans sa réalité et ses données fondamentales, il importe d’examiner comment ce phénomène est appréhendé par les sciences, puis d’étudier l’évolution qu’a connue la matière criminelle au cours de l’histoire. 7 Introduction au droit pénal SECTION I – LES SCIENCES CRIMINELLES 3. Une science est un ensemble de connaissances exactes et raisonnées portant sur un objet déterminé. Les sciences intéressant le phénomène criminel sont de deux ordres : pour le juriste, les plus importantes sont bien entendu les sciences juridiques, mais il lui est nécessaire d’avoir également connaissance de certaines sciences non juridiques. § 1 – les sciences juridiques 4. Elles doivent être définies, puis envisagées dans les rapports qu’elles entretiennent avec les autres branches du droit. A. Définition des sciences juridiques 5. Elles sont regroupées sous les vocables de droit criminel ou de droit pénal. Bien que ces termes diffèrent puisque les premiers mettent l’accent sur le crime, les seconds sur la sanction, ils sont considérés comme synonymes et désignent les uns et les autres l’ensemble des règles de droit déterminant les infractions et les peines. L’ampleur des tâches implique des sous-distinctions. C’est ainsi qu’à l’intérieur du droit criminel ou du droit pénal on sous-distingue : – le droit pénal général, qui étudie les règles communes à toutes les infractions ainsi que les règles communes de fixation des peines ; – le droit pénal spécial, qui étudie les éléments constitutifs et le régime juridique propre à chaque infraction particulière ; – la science pénitentiaire ou pénologie qui étudie les sanctions et leurs modes d’exécution. À cette énumération, il faut ajouter la procédure pénale qui étudie les juridictions répressives et les règles de conduite du procès devant ces juridictions. 8 droit pénal général B. Rapports du droit pénal avec les autres branches du droit 6. Le droit pénal entretient des rapports de dépendance étroite avec les autres branches du droit, ce qui ne l’empêche pas d’être autonome. 7. Il entretient des rapports de dépendance avec les autres branches du droit en ce sens qu’il vient renforcer ces autres branches en sanc- tionnant l’inobservation de certaines de leurs règles. C’est ainsi par exemple qu’il renforce le droit civil en décidant que l’inobservation des règles de la propriété mobilière peut, sous certaines conditions, être constitutive d’un vol. Et il fait de même avec toutes les autres branches du droit, qu’il s’agisse aussi bien de celles du droit privé que de celles du droit public. Aussi, a-t-on pu aller jusqu’à dire qu’il n’existerait pas un droit pénal uniforme mais un droit pénal protéi- forme se dissolvant en quelque sorte dans chacune des branches du droit qu’il vient renforcer. C’est sans aucun doute aller trop loin. Le droit pénal a une unité profonde qui en fait une discipline autonome. 8. L’autonomie de la matière se manifeste à trois points de vue. Elle tient d’abord au fait que le droit pénal est normatif, c’est-à-dire qu’il est le seul, dans le cadre de certaines normes, à défendre certaines valeurs telles que la vie, l’intégrité du corps humain, les mœurs, etc. Elle tient ensuite au fait qu’il est sanctionnateur au moyen de sanctions qui lui sont spécifiques : la mesure de sûreté et surtout la peine. On rattache enfin à l’autonomie du droit pénal la liberté dont les tribunaux répres- sifs font preuve dans le maniement des concepts extra-pénaux : la violation de domicile est par exemple étendue par ces tribunaux à différentes formes de résidence. Aussi apparaît-il vain de se demander si le droit pénal est du droit privé ou du droit public. Rattachable au droit privé par certains aspects (compétence des tribunaux judiciaires, rôle de la victime), au droit public par d’autres (intervention directe de la puissance publique sur les particuliers), il est avant tout une discipline autonome. 9 Introduction au droit pénal § 2 – Les sciences non juridiques 9. Il est évident que de nombreuses disciplines non juridiques sont susceptibles d’intéresser le droit pénal comme la morale, la métaphy- sique, la psychologie, la sociologie, la médecine, etc. Deux d’entre elles présentent un intérêt immédiat pour la matière criminelle : la criminalistique et la criminologie. 10. La criminalistique regroupe toute une série de disciplines scienti- fiques qui concourent à la constatation matérielle des infractions et à l’identification de leurs auteurs, disciplines telles que la médecine légale, la toxicologie, la police scientifique, etc. La criminalistique permet donc de réduire l’écart entre la criminalité clandestine et la criminalité légale ou judiciaire. 11. La criminologie, quant à elle, étudie la personne du criminel, les causes de sa criminalité et les moyens d’y remédier. Si l’on a autrefois cru possible d’opposer criminologie et droit pénal, il faut aujourd’hui constater que, depuis déjà longtemps, une collaboration fructueuse s’est établie entre les deux sciences et que le droit pénal, tout en préservant son autonomie, n’hésite pas à intégrer les apports de la criminologie chaque fois qu’ils lui apparaissent convaincants. 12. Pour terminer cette brève description des sciences criminelles, ajoutons que par « politique criminelle », on entend l’ensemble des moyens mis en œuvre pour lutter contre le phénomène criminel. SECTION II – L ’ÉVOLUTION DE LA MATIÈRE CRIMINELLE 13. Il est très certainement concevable dans la description de l’histoire d’une discipline d’opter pour une démarche purement chronologique et d’indiquer à chaque grande période quelle était la situation à la fois des idées et des faits. Mais, s’agissant du phénomène criminel, on peut penser qu’il est plus clair et donc pédagogiquement préférable d’examiner distinctement l’évolution des idées d’abord, celle des faits, c’est-à-dire du droit ensuite. 10 droit pénal général § 1 – L’évolution des idées 14. Quelles sont les idées qui se sont exprimées sur le phénomène crimi- nel ? Il ne uploads/S4/ extrait-droit-penal-general-8ed.pdf
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- Publié le Fev 23, 2021
- Catégorie Law / Droit
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