La Convention1 supprime imaginairement la réalité qu’elle stigmatise. Alain Fin
La Convention1 supprime imaginairement la réalité qu’elle stigmatise. Alain Finkielkraut, La mystification des droits de l’enfant, Actes du colloque européen, 8-9 et 10 novembre 1990, Amiens. « Par ailleurs, une telle Convention est contradictoire dans sa générosité même. Elle est non seulement foncièrement et scandaleusement irréaliste mais également contradictoire puisqu’elle affirme sous le nom de « droits de l’enfant » deux exigences difficilement conciliables, deux exigences disjointes. La première exigence pour laquelle notre droit positif a déjà pris, depuis un certain nombre d’années, toutes les mesures nécessaires, c’est l’exigence de protection des enfants les enfants ont des droits spéciaux précisément du fait qu’ils ne sont pas des adultes et il y a quelque chose de foncièrement malhonnête et atrocement dangereux à les traiter comme des adultes. Notre droit le sait. D’autres droits ne le savent pas, mais notre droit français n’a pas besoin d’une convention internationale pour le lui rappeler. Mais il y a dans cette Convention une autre exigence, un autre concept qui émerge au travers des articles 12 à 16 : « Les Etats parties garantissent à l’enfant qui est capable de discernement » on met quand même ce petit bémol : ce n’est pas tout à fait le nourrisson, « le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question... ». A partir de là, sont énoncés à peu près tous les droits du citoyen. On ne voit d’ailleurs pas pourquoi les Etats parties ne garantiraient pas à l’enfant le droit de vote. Je pense qu’il faudrait ajouter un article. Après tout, s’il a le droit de s’exprimer librement et s’il est capable de se forger une opinion, on ne voit pas pourquoi il ne pourrait pas exprimer cette opinion au moment ou « ça compte ». Soit « ça compte pour du beurre » et à ce moment-là, il est un enfant ; soit « ça ne compte pas pour du beurre » et à ce moment-là, il faut qu’il vote. A partir de quel âge ? Il faudrait savoir ce que les rédacteurs de cette Convention entendent par « l’enfant capable de discernement ». Donc émerge un nouveau concept celui d’enfant citoyen. Je crois qu’il y a là une contradiction, car la protection de l’enfant a été pensée, dans le droit social, dans toutes les formes du droit, par des gens qui savaient que l’enfant n’était pas citoyen et qu’il méritait précisément, vu sa fragilité, vu sa spécificité, un certain nombre de garanties spéciales qui n’étaient plus offertes à l’adulte responsable de lui-même. Alors il faut choisir. Soit on essaie d’améliorer effectivement la protection de l’enfant et on n’essaie alors pas de lui garantir le droit au bonheur, à la récréation, etc … ; soit on fait émerger le concept d’enfant citoyen. Je crois que les deux choses sont inconciliables, dans la mesure où, si l’enfant est citoyen, s’il a le droit de s’exprimer librement, c’est qu’il est en effet responsable et s’il est responsable, on peut se demander quel droit nous avons de pourchasser ceux qui le manipulent. En effet, il n’est plus manipulé puisqu’il est responsable et ses manipulateurs ne se voient pas. Dans ce cas, quel droit avons-nous, par exemple, de mettre en cause les sectes ? Quel droit avons-nous, par exemple, de mettre en cause — c’est un problème beaucoup plus général et beaucoup moins périphérique dans notre société — les publicitaires ? La manipulation publicitaire de l’enfant, aujourd’hui, est quotidienne et elle est le lot de nos sociétés. Par delà la publicité, la manipulation par l’industrie du divertissement, qui fait de l’enfant une sorte de consommateur privilégié, de client particulièrement visé, sera désormais sans limite puisqu’au lieu d’être dénoncée ou contrôlée au nom de la protection de l’enfant, elle est frappée d’inexistence au nom de l’ « enfant citoyen ». L’enfant est responsable de ce qu’il pense, il s’exprime, il faut l’écouter et il n’est donc pas manipulé, il n’est pas conditionné, il n’y a pas de programmation possible de l’enfant. Le discours qui sort de sa bouche est immédiatement à prendre pour argent comptant, comme son opinion, comme l’opinion qu’il exprime. La distance installée par le concept traditionnel de l’enfant entre ce qu’il dit et ce qui est vraiment de lui-même est annulée par une telle Convention elle ne peut plus exister. » 1. La Convention Internationale des droits de l’enfant uploads/S4/ finkielkraut-convention-contradictoire.pdf
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- Publié le Jui 01, 2021
- Catégorie Law / Droit
- Langue French
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