1 Université de Paris II Panthéon-Assas DEA de droit public interne Jacques Mar
1 Université de Paris II Panthéon-Assas DEA de droit public interne Jacques Maritain, Michel Villey Le thomisme face aux droits de l’homme Mémoire présenté et soutenu publiquement par LOUIS-DAMIEN FRUCHAUD pour l’obtention du DEA de droit public interne Sous la direction de Monsieur le Professeur JEAN MORANGE Le 9 septembre 2005 2 Chapitre 2. Michel Villey : le droit dans les choses, objet de la justice Avec Michel Villey, nous entrons dans un autre univers conceptuel. Non pas que Villey et Maritain soient deux personnalités fondamentalement opposées. Tous les deux thomistes, ils sont aussi tous les deux des universitaires. Néanmoins, alors que Jacques Maritain est d’abord un philosophe, dont l’objet d’étude est d’abord et principalement l’ontologie et l’épistémologie, Michel Villey exerce la même profession dans des disciplines proches mais différentes. C’est d’abord un historien et un philosophe du droit, c’est surtout un historien de la philosophie du droit. En témoigne, le titre même de son maître ouvrage, La formation de la pensée juridique moderne1. Comme nous allons le voir, son analyse de l’histoire de la philosophie du droit présente des caractéristiques très personnelles qui mêlent les trois aspects des sciences qu’il aborde : philosophe, Villey est à la recherche de fondements, mais sa philosophie a toujours un objet précis, le droit, et c’est le plus souvent en historien qu’il aborde les diverses philosophies qui ont tentées d’en cerner le « mystère »2. D’une certaine manière, et pour plagier le titre d’un célèbre livre de Nietzsche3, l’œuvre de Villey constitue une « généalogie du concept de droit », qui n’est cependant jamais neutre car Villey a ses préférences et sa généalogie tourne autour d’un pivot, saint Thomas d’Aquin, qui lui est un exemple et une référence constante4. 1 PUF, Paris, coll. Léviathan, 20035 (19691), 624 p. ; cf. aussi, FREUND, Michel Villey et le renouveau de la philosophie du droit, APD, 37 (1992), p. 11 : « Toutes ces questions Villey les a abordées à la fois comme philosophe et comme historien du droit. Il a combiné les deux disciplines jusqu’à donner pour titre à l’un de ses ouvrages : Leçons d’histoire de la philosophie du droit » ; les remarques très pertinentes de KALINOWSKI, Georges, Aristote et Thomas d’Aquin vus par Michel Villey in Droit, Nature, Histoire. Michel Villey, philosophe du droit, pp. 63-64 ; GUTMANN, Michel Villey, le nominalisme et le volontarisme, Droits, 29 (1999), p. 89. Sur cette question des rapports entre philosophie, histoire et droit, pour Villey, cf. RIALS, Introduction in La formation de la pensée juridique moderne, p. 1 et 3 et, dans cet ouvrage même, pp. 49-54. ; cf. encore Questions de saint Thomas, p. 21 2 Les carnets, II-68 3 La généalogie de la morale, 1887 4 « Il aura suffi de cueillir, perdus dans la forêt de la Somme, trois articles pour y rencontrer tous ces thèmes aujourd’hui disjoints, réconciliés et constituant une doctrine, autant que faire se peut, complète. Elle nous serait utile. Je la fais mienne, tant que nulle part je n’en ai trouvé de meilleure, de plus englobante. Et tant pis si elle déconcerte », Questions de saint Thomas, p. 174 3 Le point de départ de la réflexion villeyienne sur les droits de l’homme est une réaction devant un état des lieux, l’un et l’autre longtemps pensés et argumentés. Villey en a d’ailleurs parfaitement conscience, qui se définit lui-même comme un « réactionnaire »5. Sa position lui a ainsi valu de se trouver engagé, bien malgré lui, dans une « polémique »6 nourrie. Sa réaction et sa lutte ne se sont pas dirigées, comme Maritain, comme les totalitarismes politiques de son époque. Celle-ci a changé par rapport au contexte de l’écriture de l’œuvre maritanienne et ce ne sont pas les régimes dictatoriaux qui semblent les plus dangereux pour Villey, quelle que soit la répulsion qu’il aie pour ceux-ci. L’œuvre villeyienne est en son fond une réaction à l’hyper individualisme de nos sociétés contemporaines, post-modernes7. L’individualisme8, c’est le nouveau totalitarisme qu’il dénonce, dans toutes ses conséquences juridiques : Parmi les idéologies occidentales contemporaines, il en est qui proposent pour but l’épanouissement de « l’homme » : le « droit de l’homme » à la « culture », à la « santé », etc. De tous les hommes envisagés individuellement. Tel fut le produit d’une philosophie centrée sur l’ego, sinon solipsiste.9 Les droits de l’homme, fruits de l’individualisme, Villey en fait l’objet de sa critique la plus complète, mais il commence par prendre la mesure du phénomène social qu’ils représentent. Et d’énumérer la littérature « gigantesque10 », « surabondante11 », sur le sujet ainsi que le nombre « prodigieux12 » et même la « prolifération13 » des colloques sur ce thème, toutes choses : manifestation de « la vogue présente du concept des droits de l’homme14 ». Ce constat effectué, c’est un rejet général et radical, au sens étymologique de ce dernier terme, que Villey fait de la notion, en niant tout simplement leur existence même15. 5 Critica de los derechos del hombre, p. 244 ; Le droit et les droits de l’homme, p. 10 6 Correspondance, p. 35 7 cf. CHEVALLIER, Jacques, L’Etat post-moderne, L.G.D.J., coll. Droit et société n° 35, Paris, 20042, p. 15 8 « Les droits de l’homme furent le produit d’une morale individualiste », Correspondance, p. 40 ; cf. Questions de saint Thomas, p. 109 ; Les carnets, XXIV-112 ; Les carnets, XX-10 : les droits de l’homme sont « un rêve, aspiration subjective de l’individu à être infini, mythe individualiste. » ; cf. encore GOYARD-FABRE, Simone, Michel Villey, critique de l’individualisme in Droit, Nature, Histoire. Michel Villey, philosophe du droit, pp. 73-92 9 Questions de saint Thomas, p. 128 10 Le droit et les droits de l’homme, p. 15 11 Note critique sur les droits de l’homme, p. 691 12 Le droit et les droits de l’homme, p. 15 13 Le droit et les droits de l’homme, p. 15 14 Note critique sur les droits de l’homme, p. 691 15 Nous renvoyons à l’Introduction de ce mémoire pour des exemples de l’expression de cette critique radicale au travers des adjectifs que Villey emploient ; cf. encore : la « fausseté » des droits de l’homme, L’humanisme et le droit in Seize essais de philosophie du droit, p. 71 et Le droit et les droits de l’homme, 4 La réflexion réactionnaire de Michel Villey prend la forme d’un discours théorique très précis. Malgré le fait qu’il n’aimait pas les « systèmes » et les « théories » et qu’il s’est toujours défendu de posséder une quelconque doctrine16, il a une pensée réellement spécifique et conceptuellement structurée. Il est donc juste de parler de théorie villeyienne des droits de l’homme, théorie qui, par ailleurs, s’est formée très tôt et s’est toujours maintenue identique à elle-même17, en devenant même de plus en plus dur dans l’expression de son rejet18. Il nous semble qu’il n’y avait pas de changement à espérer sur ce point, tant sa pensée est constante. A la veille de sa mort en 1988, Villey produit encore un livre sur saint Thomas où il confirme ce qu’il avait déjà longuement dit dans Le droit et les droits de l’homme19, confirmation qui avait déjà été apportée par la réaffirmation de ses conclusions dans un article en réponse aux lettres reçues à l’occasion de sa parution20. Nous semble aussi significatif le fait qu’il prévoyait d’écrire un livre intitulé Thora et Dikaïon21, dans lequel il voulait comparer et opposer les doctrines judéo-chrétienne et gréco-romaine de la justice, opposition qui est, comme nous le verrons, la clef de sa critique. Afin d’illustrer mieux encore la particularité de l’analyse villeyienne des droits de l’homme, de bien comprendre sa situation dans le champ de la philosophie du droit actuelle et de mettre en lumière sa problématique fondamentale, il paraît important de s’arrêter un court instant sur un des aspects du débat qu’a produit sa pensée. Après la publication de Le droit et les droits de l’homme, Michel Villey reçut notamment les réactions des philosophes Luc Ferry et Alain Renaut, qui avaient aussi en 1984 écrit ensemble un ouvrage sur les droits de l’homme22. Il leur réserve une place d’honneur p. 18 ; « Il n’y a pas de droit de l’homme » in Les carnets, XIII-22 et XXII-51 ; « les droits de l’homme seraient une notion self-contradictoire », in Correspondance, p.35. 16 Cf. RIALS, Villey et les idoles, p. 15 (notamment la note 2) 17 Nous utiliserons principalement les ouvrages suivants de Villey, qui tous, sans exception, exposent la même doctrine, aussi bien dans le plan de son argumentation que dans ses conclusions négatives : Une enquête sur la nature des doctrines sociales chrétiennes (1960) ; L’humanisme et le droit (1969) ; Critica de los derechos del hombre (1972) ; Travaux récents sur les droits de l’homme (1981) ; Le positivisme juridique moderne et le christianisme (1981) ; Note critique sur les droits de l’homme (1982) ; Le droit et les droits de l’homme (1983) ; Correspondance (1985) ; Questions de uploads/S4/ fruchaud-j-maritain-m-villey-le-thomisme-face-aux-droits-de-l-x27-hommedroits-homme03.pdf
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- Publié le Fev 16, 2021
- Catégorie Law / Droit
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