Gilles de Rais. Par Salomon Reinach. 1904. REINACH Salomon (1858-1932). Giles d
Gilles de Rais. Par Salomon Reinach. 1904. REINACH Salomon (1858-1932). Giles de Rais. Extrait de la Revue de l’Université de Bruxelles, décembre 1904. – Et tiré-à-part : Liège, Imprimerie électro-mécanique La Meuse, 1904. 1 vol. in-8°, 26 p., 1 ffnch. C’est de celui-ci que nous avons tiré le texte ci-dessous. Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original. – Les images ont été ajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr [p. 5] Gilles de Rais (1) par SALOMON REINACH Membre de l’Institut de France Au cours de la prodigieuse campagne qui conduisit Jeanne d’Arc d’Orléans à Reims et de Reims sous les murs de Paris, où se brisa sa fortune, un jeune homme de haute naissance et de brillant courage, Gilles de Rais, chevauchait à côté de la Pucelle; il était chargé de veiller à sa sûreté. Né en 1404, petit-neveu de Duguesclin, apparenté à toute la grande noblesse féodale de l’ouest de la France, Gilles, devenu orphelin à onze ans, s’était, dès l’âge de seize ans, distingué auprès du duc de Bretagne Jean V et était entré, à vingt-deux ans, au service du [p. 6] «roi de Bourges», alors engagé dans une lutte sans espoir contre les Anglais. Il fit preuve d’une telle valeur – à Orléans, à Jargeau, à Beaugency, à Patay – que, lors du sacre de Charles VII à Reims, il reçut le titre de maréchal de France; quelque temps après, il obtint la permission d’ajouter à ses armes une bordure de fleur de lys. Gilles de Rais avait alors vingt-cinq ans (1429). Il continua à guerroyer, sur la Loire d’abord, puis en Normandie, à la tête d’une troupe qu’il entretenait de ses deniers. En 1432, il perdit son grand-père, Jean de Craon, qui l’avait élevé. Le soin de ses vastes propriétés, en Bretagne, en Anjou et dans le Maine, le rappela alors dans l’ouest de la France. Maître d’une immense fortune territoriale, encore accrue, dès 1420, par son mariage avec la riche héritière Catherine de Thouars, il mena dès lors une vie fastueuse de grand seigneur, mais de grand seigneur ami des lettres, des magnificences du luxe et de l’art. A une époque où tant de chevaliers savaient à peine signer leur nom, il se fit une riche bibliothèque, où figuraient, entre autres livres, la Cité de Dieu de Saint-Augustin et les Métamorphoses d’Ovidé. Il avait la passion des belles reliures et des manuscrits enluminés. Un témoignage nous le montre occupé à orner lui-même d’émaux la couverture d’un missel destiné à sa chapelle privée. Une autre de ses passions était le théâtre. Il aimait à réjouir le peuple par l’exhibition, sur une scène improvisée, de centaines d’acteurs pares des plus riches costumes, chamarrés d’or et d’argent; après la représentation, les spectateurs faisaient bombance à ses frais; le vin et l’hypocras coulaient à flots. Sa libéralité était célèbre dans toute la vallée de la Loire; il tenait table ouverte et ne renvoyait jamais un invité sans quelque présent. Nous savons qu’au cours d’une visite à Orléans, où sa suite de deux cents cavaliers, de serviteurs, de pages, de prêtres, de bouffons encombra toutes les hôtelleries de la ville, et dépensa en quelques mois, 80,000 couronnes d’or. Les intérêts de la religion ne le laissaient pas non plus indifférent; il entretenait une chapelle privée, d’un luxe vraiment royal, avec une école de jeunes chantres et un orgue portatif qui voyageait à sa suite, sur les épaules de six hommes d’armes; il fonda [p. 7] des œuvres pieuses, une notamment en 1435, sous le vocable – où l’on a voulu voir un aveu! – des «Saints Innocents». Rien ne prouve qu’avec cette existence très en dehors, où l’ostentation tenait plus de place que le désir d’être utile; il se soit abandonné, comme tant de ses contemporains, à la débauche; sa femme, Catherine de Thouars, qui lui survécut, n’eut jamais, que nous sachions, de reproches graves à lui faire, sinon celui de dilapider ses biens par trop de largesses, et il n’est question, dans son procès, d’aucune fille de joie. Gilles de Laval, sire de Rais, compagnon de Jeanne d’Arc, Maréchal de France (1404- 1440). Huile sur toile (1835) exposée dans la galerie des maréchaux de France, château de Versailles. (vue d’artiste). Gilles dépensait bien au-delà de ses revenus et se trouva bientôt obligé de recourir aux emprunts. Il ne lui suffisait pas de vendre à l’avance ses récoltes ou les produits de ses salines; la nécessité le contraignit à aliéner plusieurs de ses domaines, à un prix fort inférieur à leur valeur réelle; mais, du moins pour quelques-unes de ses plus belles terres, il se réserva le droit de les racheter au même prix pendant six ans (2). De la sorte, les acquéreurs des biens de Rais étaient intéressés à sa ruine totale, car c’était pour eux le seul espoir de garder des propriétés acquises à vil prix. Dès 1436, la famille de Gilles, sa femme et son frère, s’était alarmée de ses prodigalités; elle avait fait appel à Charles VII, qui lui fit défense d’aliéner ses biens et interdit à toute personne d’en acquérir. Cet ordre fut publié à son de trompe dans l’Orléanais et dans l’Anjou; mais le duc Jean V refusa de le publier en Bretagne. Ce prince, avide et sans scrupules, était un des principaux acquéreurs des biens de Rais; il comptait bien s’emparer de ceux qui restaient et mettre Gilles dans l’impossibilité de les racheter. Mais pour mieux tromper son trop crédule sujet, il ne cessait de lui témoigner la plus grande bienveillance, au point de lui conférer le titre de lieutenant- général du duché de Bretagne, qui faisait de lui le second personnage de cet État. Jean V était secondé, dans sa politique astucieuse, par Jean [p. 8] de Malestroit, chancelier de Bretagne et évêque de Nantes. Lui aussi avait acquis des biens de Rais, soit directement, soit par personnes interposées; mais il avait encore d’autres motifs de souhaiter la ruine du maréchal, dont il avait eu gravement à se plaindre en 1426. A cette époque, Malestroit, allié des Anglais et à leur solde, fut cause, dit-on, de la déroute de Saint-Jean-de-Beuvron, où Gilles, servant sous le connétable de Richemont, dut fuir devant les Anglais. Le connétable fit arrêter Malestroit, qui recouvra difficilement sa liberté et voua dès lors, à Richemont et à Gilles, une haine qui paraît avoir été réciproque. La famille de Rais sentait croître de jour en jour ses inquiétudes. En 1437, elle apprit que le prodigue avait vendu le beau château de Champtocé au duc de Bretagne et s’apprêtait à lui vendre celui de Machecoul. Là-dessus, le jeune frère de Gilles, René de la Suze, se joignit à son cousin, André de Laval, leva une troupe d’hommes d’armes et s’empara, de force des deux châteaux. Gilles s’adressa au duc de Bretagne et tous deux, agissant de concert, reprirent de vive force les deux châteaux en 1437 et 1438. Les incessants besoins d’argent qui tourmentaient Gilles l’avaient disposé à prêter une oreille crédule aux promesses fallacieuses des alchimistes. Il avait fait venir de Florence un singulier personnage, Francesco Prelati, qu’il installa luxueusement et qu’il pourvut de tous les· appareils destinés à réaliser l’Elixir Universel, la substance mystérieuse qui devait permettre de changer tous les métaux en or. Sa confiance en Prelati était illimitée et explique en partie l’insouciance avec laquelle il engagea ou vendit tour à tour tous ses domaines, car il était convaincu qu’en peu de temps, devenu l’homme le plus riche du monde, il les rachèterait à son gré avec beaucoup d’autres. L’alchimie touchait de près à la sorcellerie et à la nécromancie. Peu d’alchimistes pouvaient se passer du concours des démons et la grande adresse de Prelati fut de persuader à Gilles qu’il avait un démon familier à son service. Ce diable s’appelait Barron, quand Prelati était seul, il l’invoquait toujours avec succès; mais Barron refusait de paraître devant Gilles. Un jour, [p. 9] à la suite de prières répétées de Prelati, Barron répandit des lingots d’or tout autour d’une salle; mais, par la bouche de Prelati, il défendit à Gilles d’y toucher pendant quelques jours. Gilles voulut du moins voir les lingots et, suivi de Prelati, ouvrit la porte de la chambre; il y aperçut un énorme serpent vert replié sur le sol et s’enfuit épouvanté, Cependant il revint à la charge, armé d’un crucifix qui contenait un morceau de la vraie croix; mais Prelati lui persuada de différer sa visite. Quand, après quelques jours, il entra dans la chambre, le serpent avait disparu, les lingots d’or n’étaient plus que de petites masses de clinquant. Au lieu de renvoyer Prelati à Florence, Gilles resta convaincu que le démon l’avait puni de son indiscrétion et se promit d’être plus obéissant à l’avenir. Prelati n’avait jamais réussi à mettre Gilles en présence du démon Barron; toutefois, il prétendait avoir uploads/S4/ giles-de-rais-salomon-1904.pdf
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- Publié le Jui 29, 2021
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