JEANNE D'ARC TOME II 5ème édition 1879 Henri Wallon JEANNE D'ARC PAR H. WALLON
JEANNE D'ARC TOME II 5ème édition 1879 Henri Wallon JEANNE D'ARC PAR H. WALLON Secrétaire perpétuel de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres Doyen de la Faculté des lettres de Paris OUVRAGE QUI A OBTENU DE L'ACADÉMIE FRANÇAISE LE GRAND PRIX GOBERT CINQUIÈME ÉDITION TOME SECOND PARIS LIBRAIRIE HACHETTE ET Cie 79, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 79 1 8 7 9 Tous droits réservés. JEANNE D'ARC. LIVRE SIXIÈME. ROUEN. — LES JUGES. LE MARCHÉ. La Pucelle, prisonnière du bâtard de Wandonne, fut menée au camp de Margny, où bientôt accou- rurent, poussant des cris de joie, tous les chefs anglais et bourguignons, et après eux le duc de Bourgogne, arrivé trop tard pour la bataille. Que lui dit-il? Que lui dit Jeanne elle-même? Monstre- let, présent à l'entrevue, n'en a point gardé le sou- venir. Le duc était du sang de France, et Jeanne, à plusieurs reprises, lui avait écrit pour le rame- ner au roi; mais depuis la campagne de Paris, elle n'espérait plus le détacher des Anglais que par la force. — Le bâtard de Wandonne étant de la compagnie de Jean de Luxembourg, c'est à ce I 2 LIVRE VI. ROUEN. LES JUGES. prince que Jeanne appartenait. Après trois ou quatre jours passés au camp, il l'envoya à son château de Beaulieu, jugeant peu sûr de la retenir si près de la ville assiégée 1. Ce n'étaient pas seulement les assiégés que le sire de Luxembourg devait craindre, s'il voulait garder la captive dont le droit de la guerre l'a- vait fait maître. La Pucelle avait été prise le 24 mai 1430. Le 25 on le sut à Paris. Dès le 26, le vicaire général de l'Inquisition adressait au duc de Bourgogne un message, que dut accompagner ou suivre de bien près une lettre de l'Université, conçue dans le même sens : lettre perdue, mais rappelée dans une autre qui est conservée au pro- cès. L'Université priait le duc de livrer Jeanne, comme idolâtre, à la justice de l'Église; l'inquisi- teur la réclamait en vertu de son office, et « sur les peines de droit, » invoquant l'obligation for- melle de « tous loyaux princes chrétiens et tous autres vrais catholiques » d'extirper « toutes er- reurs venans contre la foi. » Mais il y avait, der- rière l'Inquisition et l'Université, une puissance bien autrement redoutable pour la Pucelle, je veux dire les Anglais. Ils voyaient en elle la cause unique de leurs revers, et ce n'était point assez pour leur sécurité que de savoir aux mains des Bour- 1. Jeanne à Margny, t. IV, p. 402 (Monstrelet, II, 86) : « Cheux de la partie de Bourgogne et les Anglois en furent moult joyeux, plus que d'avoir prins cinq cens combatans : car ils ne cremoient, ne redoubtoient nul capitaine, ne aultre chief de guerre, tant comme ils avoient toujours fait jusques à che présent pour ycelle Pucelle. » — A Beaulieu, ibid., et p. 34 (Cagny). LE MARCHÉ. 3 guignons celle qui avait relevé la fortune de la France. Comment douter que Charles VII ne sa- crifiât, s'il le fallait, le meilleur de son royaume, pour recouvrer celle qui l'avait sauvé d'une entière conquête et promettait de le reconquérir entière- ment? Et comment se flatter que le sire de Luxem- bourg résistât à ses offres? Le comte avait re- poussé leurs premières ouvertures : n'était-ce pas dans l'espoir d'avoir de Charles VII un meilleur prix? Pour la lui disputer, il fallait aux Anglais plus que de l'argent : il leur fallait l'autorité de la religion mise au service de leurs intérêts. C'est par l'Église qu'ils tentèrent de la prendre, comme c'est par elle qu'ils la voulaient frapper : entreprise d'une hypocrisie infernale, où ils déployèrent assez d'habileté, sinon pour égarer le sentiment popu- laire, au moins pour donner le change à certains esprits trop prompts à relever comme idées nou- velles des apparences dont le bon sens public a de tout temps fait justice 1. Si l'on en croit, en effet, non point le savant éditeur des procès de Jeanne d'Arc, mais des in- 1. Nouvelle de la prise de Jeanne à Paris. La nouvelle en vint à Paris par une lettre du sire de Luxembourg, t. IV, p. 458. (Clém. de Fauquemberque, greffier du Parlement: à la marge du ms., f° 27, il a tracé grossièrement une figure de femme avec ces mots: captio puellæ.) — Lettre de l'Université :... « Que cette femme dicte la Pucelle fust mise ès mains de la justice de l'Église, pour lui faire son procès deuement sur les ydolatries et autres ma- tières touchans nostre sainte foy, » t. I, p. 9. Lettre du vicaire de l'Inquisiteur : ibid., p. 12. — L'inquisi- teur général était alors J. Graverend qui s'était associé à l'in- quisiteur du temps, J. Polet, et à l'évêque de Paris, pour pour- suivre la doctrine de Jean Petit, apologiste de l'assassinat commis 4 LIVRE VI. ROUEN. LES JUGES. terprètes un peu téméraires des documents qu'il a réunis, les Anglais seraient, pour ainsi dire, étrangers à la conduite de cette affaire ; c'est l'af- faire de l'Église de France et de l'Université de Paris. C'est l'Université qui a eu l'idée du procès; c'est un évêque français qui l'exécuta, assisté de docteurs en théologie et autres juges parmi les- quels on trouve à peine un nom anglais : les An- glais y assistaient en simples spectateurs. Voilà la thèse : mais il est bien difficile de la soutenir quand on rejette les apparences pour aller au fond des choses. Assurément on ne doit pas laisser aux Anglais tout l'odieux de ce grand crime. Il y avait en France tout un parti lié à eux par nos troubles civils. Charles VII était pour les Bourguignons l'homme des Armagnacs ; la Pucelle, nous ne vou- lons pas dire par quel blasphème impur ils la di- saient des Armagnacs. Ils la détestaient donc, et les haines civiles ne sont pas moins vives que les haines nationales. Mais sur un point où l'orgueil et la fortune de l'Angleterre étaient tenus en échec, la haine des Anglais ne le cédait point aux haines civiles de la France : elle sera là pour les entre- tenir, les guider, et y suppléer au besoin. Il ne fut pas nécessaire qu'on suggérât aux Anglais l'idée de ce procès. Si l'Inquisition, si l'Université de Paris l'exprimèrent au lendemain de l'affaire de par Jean sans Peur. Voy. Vallet de Viriville. Hist. de Charles VII, t. II, p. 188. Premier refus de Jean de Luxembourg, et idée de recourir à l'évêque de Beauvais, t. IV, p. 262 (Abrév. du Procès); LE MARCHÉ. 5 Compiègne, eux-mêmes, on le peut dire, l'avaient eue dès la veille de la délivrance d'Orléans, quand ils répondaient aux sommations de la Pucelle en menaçant de la brûler dès qu'ils l'auraient : on ne brûle pas des prisonniers de guerre. Dès l'origine, ils étaient donc résolus à la faire juger comme hé- rétique et comme sorcière. Pour accomplir leur résolution, ils n'eurent qu'à prendre les instru- ments qu'ils trouvaient tout prêts à les servir. Les Anglais n'ont pas eu seulement la première idée de ce procès : ils en ont eu la direction. Pour juger la Pucelle, il la fallait avoir. Pour l'avoir, comme pour la juger, ils employèrent un homme à eux, Pierre Cauchon, évêque de Beau- vais. Pierre Cauchon paraît dans le procès l'organe le plus accrédité de l'Université de Paris. Dès le temps de Charles VI, en 1403, il avait été appelé par les suffrages de ce corps aux fonctions de rec- teur, et, vingt ans plus tard (1423), il était devenu le conservateur de ses priviléges. Attaché au parti de Bourgogne jusqu'à compter parmi les Cabo- chiens, aidé dans sa carrière par le crédit de la faction, archidiacre de Chartres, vidame de Reims, chanoine de la Sainte-Chapelle, membre du grand conseil, il était parvenu au siége important de Beauvais, l'une des six pairies ecclésiastiques, sur la recommandation toute-puissante de Philippe le Bon, et il avait embrassé avec lui la cause des Anglais, ce qui lui avait valu de nouvelles faveurs. Henri V l'avait nommé aumônier de France, et l'on 6 LIVRE VI. ROUEN. LES JUGES. a vu avec quel zèle il avait cherché à conserver Reims à Henri VI. Les circonstances l'avaient plus que jamais jeté dans cette voie, en associant aux intérêts de l'Angleterre ses intérêts et ses ressen- timents. Lui qui avait voulu retenir Reims à la cause anglaise, il n'avait pas su garder Beauvais, son propre siége. Il en avait été chassé par un mouvement du peuple en faveur de Charles VII Réfugié à Rouen, il convoitait ce siége archiépi- scopal, vacant alors, et il ne pouvait l'attendre que de l'intervention du roi d'Angleterre auprès du pape. — Ce fut lui que les Anglais choisirent pour se faire livrer et pour juger la Pucelle1. La Pucelle avait été prise dans le diocèse de Beauvais, et à ce titre relevait de l'évêque du lieu. Pierre Cauchon n'eut garde de s'excuser de uploads/S4/ henri-wallon-jeanne-d-x27-arc-t2.pdf
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- Publié le Jan 08, 2023
- Catégorie Law / Droit
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