1 JOURNAL INDELICAT Joseph SCIPILLITI Avocat 2 C'est une expérience éternelle,
1 JOURNAL INDELICAT Joseph SCIPILLITI Avocat 2 C'est une expérience éternelle, que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser ; il va jusqu'à ce qu'il trouve des limites. Montesquieu : « De l’esprit des lois » Il n’y a point de plus cruelle tyrannie que celle que l’on exerce à l’ombre des lois et avec les couleurs de la justice. Montesquieu : « Considérations sur les causes de la grandeur des Romains » Le raisonnement de l’humanité tient tout entier dans cette bassesse : « si je ne te crains pas, je me fous de toi » Georges COURTELINE : « l’article 330 » La démocratie c’est le pouvoir pour les poux de manger les lions Georges CLEMENCEAU 3 SOMMAIRE 1. ETAT DE DROIT, INSTANTANES DE LA VIE SOCIALE 14 2. VIE QUOTIDIENNE DE L’AVOCAT, DU MYTHE A LA REALITE 51 3. CONSEIL DE L’ORDRE, QUEL ORDRE ? 74 4. LE BÂTONNIER, MONARQUE EN SON ROYAUME 90 5. LE JUGE, TROISIÈME OU PREMIER POUVOIR ? 114 6. AIDE JURIDICTIONNELLE, ALIBI DES BONNES CONSCIENCES 130 7. PERMANENCE PENALE. 143 8. PROCEDURE DISCIPLINAIRE : LA DISCIPLINE, PAS LA JUSTICE 152 9. L’ENTREPRISE AVOCAT 168 ANNEXES 223 4 INTRODUCTION Ce journal faillit s’appeler « inachevé », plutôt que « indélicat ». Il est en effet constitué de notes prises pendant mon exercice professionnel à partir de la fin de l’année 1991, et dont j’ai sans cesse différé la mise en forme. Mon but était d’en faire un livre quand le moment serait venu, c'est-à-dire quand je quitterais la profession, volontairement ou contraint. Bien sûr j’aurais dû l’édulcorer car les éditeurs auraient reculé devant son contenu iconoclaste. A partir de 2014 il devint clair que ce moment approchait. Je dérangeais trop d’intérêts depuis trop longtemps et l’heure était venue pour le système de sonner l’hallali. Le système s’est incarné en l’occurrence par le nouveau bâtonnier H. V., qui dès avant sa prise de fonction pour les années 2014-2015 avait fait connaître son intention d’en finir avec moi. J’ai alors décidé de renoncer à l’édition pour une diffusion anticipée, plus large et gratuite par voie d’internet. Malheureusement le temps m’a manqué. Il fallait compléter les matériaux dont je disposais, les synthétiser, les structurer, tout en continuant de travailler dans un métier extrêmement prenant, et en continuant de me défendre contre les multiples turpitudes qu’on m’imposait, terriblement chronophages. Une fatigue générée depuis des années par des problèmes de santé non létaux mais gênants, une neurasthénie épisodique consécutive à ma situation, réduisaient encore mon temps disponible. Le moment vint où je dus me résoudre à utiliser ce dont je disposais. Le résultat ne me satisfait que modérément. Je l’aurais voulu plus exhaustif, moins décousu, mieux structuré, avec de nombreuses pièces illustratives. Ce sont des briques en nombre insuffisant, liées par un ciment lui-même limité, mais il y a au moins un édifice partiel. Ce journal décrit une imposture enseignée dans nos écoles et universités, claironnée par nos responsables politiques, pratiquée avec naïveté par les uns, avec hypocrisie par les autres : l’Etat de Droit, et plus précisément ses effets dans la vie quotidienne des avocats. N’est-ce pas beau une société où le droit prime la force, un droit soucieux de justice c'est-à- dire d’équité, malgré la relativité de cette notion ? 5 C’est le monde dans lequel nous sommes censés vivre. Des gens vertueux font des lois inspirées par leur souci de justice, qui s’appliquent à tous. Il en résulte notamment que l’arbitraire n’existe pas car toute forme de pouvoir est limitée par un contre pouvoir, ou la possibilité de poursuivre un abus pour qui le subit. Cette fable, j’y ai cru peu ou prou jusqu’à mon entrée au Barreau, malgré quelques expériences qui m’avaient troublé sans que j’en saisisse alors clairement le sens. En 1989, je quittai l’enseignement secondaire pour revêtir définitivement la robe, après une première et brève expérience à mi-temps entre fin 1981 et début 1983. Mes goûts me poussaient vers un exercice « à l’ancienne », artisanal bien qu’avec les outils technologiques modernes. Rien ne me fait plus horreur que ces usines à avocats que sont les gros cabinets de groupe. Je devais alors découvrir ce qu’est vraiment notre société, à travers le prisme d’un milieu judiciaire lui-même bien éloigné de l’image qu’il cherche à se donner dans le public. Avocat. Un mot qui inspire considération, respect, voire admiration chez toute personne extérieure à ce milieu, notamment les catégories sociales modestes. Peu de professions souffrent d’un tel décalage entre l’image et la réalité. Les avocats sont trop souvent vus à travers le prisme déformant du cinéma, de la littérature, de la télévision, ou d’une actualité mettant en vedette une poignée d’avocats pénalistes, (moins d’une dizaine, sur environ soixante mille praticiens) qui ne se font pas prier pour alimenter les stéréotypes. Pouvoir, argent, relations, célébrité, que ne leur prête-t-on pas ? La croissance exponentielle du Barreau français ces dernières décennies témoigne de la fascination qu’il exerce sur les jeunes diplômés en droit : 20 000 avocats en 1985, plus de 60 000 en 2015. A Paris, 5000 en 1975, plus de 27 000 aujourd’hui. A Lyon, 400 en 1987, 2800 en 2015. Ceux qui ne sont pas issus du sérail, n’ayant pas un parent ou une relation personnelle au Barreau, sont les moins informés, et y arrivent parfois avec des attentes à la hauteur du mythe. Certes pendant leur formation ils ont été en contact avec des avocats, mais ceux-ci n’ont pas eu le mauvais goût de les éclairer sur certains aspects du métier au risque de les décourager, et de se dévaloriser eux-mêmes. Il leur faudra découvrir seuls des réalités quotidiennes souvent bien éloignées de leurs rêves. Pourtant le métier est en soi passionnant, abstraction faite du statut qui en découle. Si on aime le droit, la rencontre avec des situations concrètes dont la diversité est infinie, la contribution à des solutions qui peuvent apporter aux gens un peu de bien-être et parfois de bonheur, on doit en principe pleinement s’y épanouir. Mais voilà, deux ombres ternissent cette image lumineuse. 6 La première, qui ne constitue pas l’essentiel de mon propos, est économique. La légende imbécile de l’avocat riche, héritée d’une époque révolue, s’estompe très vite pour 95 % des praticiens (statistique évidemment empirique, portant sur une notion - la richesse - elle-même imprécise). Pour le pourcentage restant, les moyens d’acquisition de cette aisance nécessiteraient des développements qui n’ont pas leur place ici. La seconde est relationnelle : l’avocat n’a aucun pouvoir. L’important personnage qui a « le bras long » et balaye d’un discours « brillant » tout obstacle, appartient à l’imaginaire d’un public nourri de fictions à bon marché. L’avocat est un technicien du droit qui résout des problèmes juridiques comme le médecin traite des maladies. Il écoute, fait un diagnostic, et s’il y a lieu propose une solution. Celle-ci n’existe que dans la limite du droit en vigueur, de même qu’un traitement ne peut être prescrit qu’avec les connaissances médicales du moment et les lois de la nature. Il y a des situations juridiques irrémédiables comme il y a des maladies incurables. Si solution il y a, elle sera neuf fois sur dix judiciaire. L’avocat engagera donc une procédure dans laquelle c’est un autre qui prend les décisions : le juge. Et c’est alors qu’une découverte l’attend : s’il n’a aucun pouvoir, d’autres en ont sur lui. Non seulement le juge, mais tous les acteurs de la vie judiciaire sont placés dans une situation leur donnant au quotidien un pouvoir de fait sur l’avocat, sans réciprocité et pratiquement sans recours. Un juge, un huissier, un greffier, voire un simple employé du tribunal dans certains cas, et surtout le bâtonnier, peuvent le traiter comme un laquais et influer défavorablement sur son exercice professionnel, ponctuellement ou durablement, voire définitivement. Pourtant nous sommes censés avoir une profession… indépendante. Aucune profession libérale ne l’est moins, mais aucun étudiant en droit ne le saura avant de s’inscrire au barreau et d’y exercer quelques années au moins. Il lui faudra donc admettre ce paradoxe : lui qui a pour métier de défendre les autres, ne peut se défendre contre les actes d’arbitraire répétés dont il est victime. Face à ce déni de justice permanent, l’immense majorité des avocats fait preuve d’une passivité qui m’a tout de suite paru incompréhensible. Beaucoup en souffrent, s’en plaignent (entre avocats s’entend), d’autres font partie de l’éternel troupeau de l’indifférence, qui fait le dos rond en soupirant des « bof, qu’es’tu veux faire… ». Tous ou presque s’accordent… pour se résigner. Pas moi. Je n’ai jamais pu supporter l’injustice. Très tôt j’ai rejeté les préceptes tels que : « la vie est une jungle », « l’homme est un loup pour l’homme », « dans la vie il faut être bourreau ou victime », censés légitimer le rapport de force comme règle de base de la vie en société. 7 L’injustice, ce n’est pas seulement celle spectaculaire, qui intéresse les journalistes ni celle hémiplégique, inspirée par l’idéologie uploads/S4/ journal-indelicat-c-joseph-scipilliti.pdf
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- Publié le Jan 10, 2021
- Catégorie Law / Droit
- Langue French
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