1 LA RESPONSABILITÉ ADMINISTRATIVE Par Jean-Marie Pontier Professeur à l’Univer

1 LA RESPONSABILITÉ ADMINISTRATIVE Par Jean-Marie Pontier Professeur à l’Université de Paris I Panthéon Sorbonne Directeur du Centre de recherches administratives de l’Université Paul Cézanne Aix-Marseille III Le droit administratif français s’est largement développé à partir de l’affirmation de la responsabilité administrative ou, plus précisément, l’affirmation d’une spécificité de cette responsabilité. Lorsque, dans la décision Blanco, que l’on va retrouver un peu plus loin, le Tribunal des conflits déclare que la responsabilité suit des règles propres, il ouvre la voie à une jurisprudence – et aussi, il ne faut pas l’oublier, à une doctrine – sur le service public, lui- même considéré comme l’un des fondements du droit administratif. Le droit administratif est d’abord, ainsi que l’ont bien vu certains auteurs, un droit de l’action administrative. Il a été conçu et s’est développé pour permettre à l’administration d’agir, de remplir ses missions. Cette caractéristique s’explique par le fait que, depuis des siècles, on considère que l’administration poursuit l’intérêt général, un intérêt général qui est à la fois la justification et l’explication de l’action administrative. Entre la Révolution et l’an VIII, la réflexion et le développement normatif vont porter principalement sur le pouvoir réglementaire. Celui-ci apparaît aujourd’hui comme un instrument nécessaire de l’action administrative. Au moment de la Révolution on n’a pas encore une claire conscience de ce qu’est le pouvoir réglementaire, ni de la distinction, qui nous paraît à nous évidente, entre la loi et le règlement (les assemblées n’adoptent pas seulement, durant cette période, des lois, mais aussi des « décrets »). D’ailleurs les principes de l’organisation administrative contredisent l’affirmation du pouvoir réglementaire : le roi, chef suprême de l’administration du royaume, dispose d’un pouvoir hiérarchique théorique sur les agents de l’Etat, pouvoir qui est annihilé par le mode de désignation de ces agents, l’élection. Le résultat fut, dans un premier temps l’anarchie, et, dans un second temps – logique retour des choses que l’on exprime par différentes images, dont celle du retour du balancier – l’institution de l’une des centralisations les plus fortes que la France ait jamais connues. Ce n’est qu’en l’an VIII que ce pouvoir réglementaire sera clairement dégagé. Le Conseil d’Etat, créé à partir de cette date, n’a pas eu, durant la période considérée, pour première fonction de sanctionner l’administration. Il était d’abord le successeur du Conseil du Roi, il était destiné à aider au fonctionnement du gouvernement, des pouvoirs publics, de l’empereur en premier lieu, il était pensé comme un instrument de l’action administrative, de l’efficacité de cette action bien plus que de la régularité de l’action administrative. A plus forte raison l’idée de responsabilité de la puissance publique, et, surtout, de l’Etat, est-elle absente des préoccupations de ceux qui mettent en place les nouvelles institutions, parmi lesquelles figure le Conseil d’Etat. Cependant, dans le même temps, on est conscient qu’il faut un organisme, une institution, qui puisse se prononcer sur les litiges (inévitables, sans doute même assez nombreux) s’élevant entre l’administration et les particuliers. En effet (V. la première leçon du premier cours de droit administratif), compte tenu de l’interprétation donnée à la loi des 16-24 août 1790 et des textes ultérieurs, qui excluait la possibilité pour le juge judiciaire de connaître des actes de l’administration comme des personnels de cette dernière, 2 l’administration était juge et partie dans la même cause, celle qui pouvait l’opposer à des personnes privées. Cela ne pouvait qu’être – pour ceux, tout au moins, qui osaient contester, ce qui, à l’époque, pouvait peut-être comporter quelque risque pour les demandeurs, sauf pour ces derniers à être suffisamment puissants, ou protégés (ou encore à profiter de rivalités entre administrations) – que source de frustrations et d’un profond sentiment d’injustice. Il était indispensable qu’une institution fût en mesure de se prononcer sur ces litiges, étant précisé que régler les litiges ne signifie pas nécessairement reconnaître la responsabilité. Ce que va faire le Conseil d’Etat, à qui va être confié tout naturellement le soin de se prononcer sur ces litiges, c’est ouvrir progressivement les moyens que peuvent faire valoir les administrés, ce qui débouchera, sur le plan de la légalité, au développement remarquable du recours connu sous le nom de recours pour excès de pouvoir et, au plein contentieux, sur la responsabilité. I – LE PRINCIPE DE RESPONSABILITÉ Notre temps est très porté à parler de responsabilité, un auteur s’est rendu célèbre par un ouvrage, cependant de lecture difficile, il s’agit de Hans Jonas et de son ouvrage Le principe de responsabilité. Mais ce n’est évidemment pas de cette responsabilité là qu’il s’agit ici. Car la responsabilité peut se décliner sur plusieurs plans : on peut parler de responsabilité morale, soit individuelle, soit collective, on peut parler de responsabilité politique (par exemple celle d’un gouvernement devant le Parlement), on parle également de responsabilité au sens juridique, c’est la seule dont il sera question ici désormais (mais on verra aussi que certains aspects de cette responsabilité ne peuvent occulter totalement la question de la responsabilité morale qui se trouve toujours à l’arrière-plan). 1 – La reconnaissance de la responsabilité Le « principe de responsabilité » appliqué aux personnes publiques et, donc, à l’Etat (pour lequel il est plus difficile, sur le plan des principes, de reconnaître une responsabilité que pour les autres collectivités publiques), est une conséquence de l’Etat de droit. L’Etat de droit signifie à la fois l’existence d’une hiérarchie des normes et la soumission de l’administration à cette hiérarchie des normes. Les autorités administratives doivent respecter les normes édictées par les autorités supérieures, comme elles doivent respecter les normes qu’elles édictent elles-mêmes. Les normes non conformes aux normes qui leur sont supérieures doivent pouvoir être annulées. Mais, dans son action, l’administration peut commettre des dommages. L’Etat de droit implique que ces dommages puissent être réparés. Le principe de responsabilité est ce qui peut garantir cette réparation, même s’il existe des mécanismes de réparation autres que la responsabilité, par exemple l’assurance. On peut parler, en droit administratif, d’un principe de responsabilité, en ce sens qu’il existe un ensemble de règles, pour la plupart d’origine jurisprudentielle, qui permettent d’actionner la responsabilité d’une personne publique et de la faire condamner par le juge. Mais tout cela ne s’est pas fait sans difficultés, sans étapes, car la reconnaissance d’une responsabilité, même si on la limitait à la faute, de l’Etat, ne va pas de soi. A – De l’irresponsabilité à la responsabilité La responsabilité de la puissance publique ne va pas de soi. Preuve en est que cette responsabilité n’a été reconnue que progressivement et tardivement et que, aujourd’hui encore, 3 dans le monde, un certain nombre d’Etats ne connaissent quasiment pas la responsabilité, n’acceptent pas (ou très mal) de voir leur responsabilité engagée. a) – Les raisons de l’irresponsabilité Durant très longtemps, ce fut l’irresponsabilité qui caractérisa le régime applicable aux interventions de la puissance publique. Il n’est pas inutile de remonter un peu dans le temps, car les raisons de l’irresponsabilité de l’Etat, sous l’Ancien régime, sont les mêmes que celles qui ont pu être invoquées, tout au long du XIXème siècle, et qui continuent d’être invoquées aujourd’hui. Ces raisons se ramènent à des considérations de principe. Une première objection à la responsabilité découle de l’idée de souveraineté. « Le souverain ne peut mal faire », telle est l’affirmation traditionnelle en la matière. L’Etat est l’expression de cette souveraineté, donc il ne peut être déclaré responsable. Distincte, bien que liée à la précédente, est l’idée selon laquelle les personnes privées, singulièrement les particuliers, ne peuvent avoir de droits contre le souverain. Un grand juriste de la seconde moitié du XIXème siècle, Laferrière, déclarait, en conséquence de cette irresponsabilité qui caractérisait le souverain, que « le propre de la souveraineté est de s’imposer à tous sans compensation ». Cette idée n’a pas perdu tout son empire, aujourd’hui encore elle continue d’imprégner et d’expliquer certains régimes restrictifs de responsabilité, comme la responsabilité du fait des lois. Des progrès (mais certains contesteraient sans doute ce terme, objectant que la reconnaissance de la responsabilité ou d’une plus grande responsabilité n’est pas nécessairement un « progrès ») ont été effectués, mais l’on peut comprendre, à travers cette idée de la souveraineté, la difficulté à instituer une responsabilité de la puissance publique. Une deuxième objection tient à la nature des intérêts en cause, et à l’appréciation différente qu’il convient de porter sur eux. Une personne privée agit (le plus souvent) dans sont intérêt propre, qui est un intérêt privé, c’est-à-dire personnel ou limité à un groupe. La même appréciation pourrait être portée (et est effectivement portée par un certain nombre d’auteurs) sur les intérêts défendus par une collectivité locale par rapport à l’intérêt poursuivi par l’Etat (et non, évidemment, par rapport à l’intérêt poursuivi par une personne privée) : ces intérêts sont des intérêts publics, mais ce sont des intérêts restreints, partiels, par rapport à l’intérêt poursuivi par l’Etat (on laisse de côté la question de savoir quel intérêt public doit l’emporter lorsque plusieurs intérêts publics s’opposent). L’administration n’agit pas dans son intérêt propre, elle n’agit que dans uploads/S4/ la-responsabilite-administrative.pdf

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  • Publié le Sep 01, 2021
  • Catégorie Law / Droit
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