Les contrats de service avec engagement de durée : une pratique de fidélisation

Les contrats de service avec engagement de durée : une pratique de fidélisation pertinente ? Eric Julienne Docteur en sciences de gestion Membre associé au GREGOR, IAE de Paris, Université Paris 1 Panthéon -Sorbonne ericjulienne@yahoo.fr Les contrats de service avec engagement de durée : une pratique de fidélisation pertinente ? Résumé Les contrats de service avec engagement de durée ont pour effet de contrôler la fidélité comportementale des consommateurs. Mais lorsque survient un incident (défaillance dans la qualité de service, proposition concurrente attractive), le consommateur prisonnier peut avoir des réponses attitudinales et comportementales extrêmement négatives (dégradation de la valeur perçue, diminution de l’intention de renouveler le contrat, bouche-à-oreille négatif, réclamation vindicative). Nous proposons que les clauses d’engagement de durée devraient amplifier ces réactions négatives, car elles font naître chez les consommateurs une réactance psychologique et qu’elles accentuent leur sentiment de trahison et de relation inéquitable. Mots-clés : contrats de service avec engagement de durée, fidélité, réactance, trahison, équité Fixed-term service contracts: a relevant way of making customers more loyal? Abstract Fixed-term contracts proposed by service firms result in a better control of customers’ behavioural loyalty. But in case of an incident (service quality failure, attractive competing proposal), locked-in customers may have extremely negative attitudinal and behavioural responses (degradation of perceived value, lower repurchase intention, negative word of mouth, vindictive complaining). I propose that fixed-term contracts should amplify these negative responses because they induce psychological reactance from customers and they increase their feeling of betrayal and relationship inequity. Key words: fixed-term service contracts, loyalty, reactance, betrayal, equity 1 Les contrats de service avec engagement de durée : une pratique de fidélisation pertinente ? « Je suis prisonnier de mon opérateur de téléphonie mobile ! Pourquoi? Tout simplement parce que j'ai eu la bêtise de m'engager pour 24 mois… » Un internaute dans un forum de discussion Introduction Depuis plusieurs années, les contrats avec clause d’engagement de durée se sont multipliés dans le secteur des services (téléphonie mobile, fournisseurs d’accès Internet, câblo- opérateurs, presse, assurance…). La conséquence la plus visible de l’engagement de durée est de contrôler la fidélité comportementale pendant la période définie au contrat, puisque le consommateur se trouve lié à son fournisseur sans possibilité de sortie (les pénalités sont en général dissuasives). Lorsque survient un incident dans la relation de service (problème avec le personnel en contact, retard de livraison, proposition attractive d’un concurrent, etc.), le consommateur qui a souscrit un engagement de durée est contraint de rester fidèle sur le plan comportemental. Mais on peut supposer que le sentiment d’être « pris en otage » (Sharma et Patterson, 2000) devrait se traduire par une dégradation de son attitude envers le prestataire et par la survenance de comportements relationnels négatifs : baisse de la valeur perçue, bouche-à- oreille négatif, baisse de l’intention de renouveler le contrat, réclamation vis-à-vis de la marque sur le mode vindicatif. Lorsqu’on enferme le consommateur par une clause d’engagement de durée, on évite qu’il parte à court terme en cas d’incident (Jones, Mothersbaugh et Beatty, 2000). En revanche, ce même consommateur risque de développer 2 des comportements relationnels négatifs et de partir un peu plus tard, lorsque la période d’engagement vient à échéance. On peut donc se demander si cette solution est préférable à un contrat sans clause d’engagement de durée, dans lequel le consommateur est libre de résilier à tout moment. L’objectif de cette recherche est d’évaluer si l’existence d’une clause d’engagement de durée amplifie les réponses attitudinales et comportementales négatives des clients lorsque survient un incident (effet modérateur). En d’autres termes, lorsque survient un incident, le client contractuellement engagé réagit-il avec plus de force et manifeste-t-il davantage son mécontentement que le client sans engagement ? Pour répondre à cette question, nous allons utiliser un dispositif expérimental de type « laboratoire » dans lequel nous simulons un incident (défaillance dans la qualité de service ou proposition attractive émanant de la concurrence), et nous comparerons l’intensité des réponses négatives dans deux situations : (1) le consommateur a accepté un engagement de durée, (2) le consommateur est libre de résilier son contrat à tout moment. Une question sous-jacente est de savoir dans quelle mesure la pratique de fidélisation par contrat d’engagement de durée contribue ou non à la création de valeur. En l’absence d’incident, on peut subodorer que cette pratique contribue à créer de la valeur tant pour la firme que pour les clients : la firme rentabilise le coût d’acquisition des clients grâce à la durée imposée par le contrat et réduit ses coûts de transaction ; de leur côté, les clients accèdent à une offre dont la valeur est accrue grâce aux avantages obtenus (par exemple une réduction de prix) en contrepartie de leur engagement contractuel. Mais en cas d’incident, on peut imaginer au contraire une destruction de valeur tant pour les clients (qui pourraient regretter leur engagement contractuel), que pour la firme qui voit son capital marque s’éroder 3 (dégradation de la valeur perçue, bouche à oreille négatif et perte des clients à l’échéance du contrat). C’est donc indirectement la question de la pertinence de la pratique de fidélisation par contrat qui est posée dans cette recherche. 1. Cadre conceptuel 1.1. Le contrat d’engagement de durée Le processus décisionnel d’un contrat d’engagement de durée comporte plusieurs spécificités : - c’est un processus en général réfléchi ; le consommateur compare les alternatives de choix ; - il résulte en principe d’un consentement libre et éclairé (acceptation des termes du contrat) ; - l’implication situationnelle est forte, car le risque perçu est élevé au moment de la signature, tant en ce qui concerne la difficulté de faire le bon choix que les conséquences négatives en cas d’erreur de choix (Laurent et Kapferer, 1985) ; - la décision est irrévocable dès lors que sont échus les délais de rétractation légaux et contractuels ; - cette décision est un engagement qui reflète la confiance du consommateur dans le prestataire (Morgan et Hunt, 1994) ; - en choisissant de se lier à un prestataire, le consommateur se place en situation de dépendance et de vulnérabilité, car les pénalités de sortie sont souvent dissuasives (Anderson et Weitz, 1992). 4 1.2. Deux incidents majeurs qui entraînent un répertoire de réponses attitudinales et comportementales En nous appuyant sur les travaux de N’Goala (2010) et Keaveney (1995), nous retenons deux grandes catégories d’incidents susceptibles de mettre fin à une relation de service entre le consommateur et son prestataire : - la défaillance dans la qualité de service ; - l’offre attractive émanant de la concurrence. Confrontés à l’un ou l’autre incident, les consommateurs qui ont souscrit un engagement de durée n’ont pas la possibilité de mettre fin à la relation (exit), mais ils peuvent faire entendre leur mécontentement au prestataire et à leur entourage (voice), ou rester loyaux au prestataire (loyalty) (Hirschman, 1970 ; Singh, 1990). Il semble dès lors opportun d’envisager un répertoire de réponses attitudinales et comportementales que l’on module selon la nature de l’incident : - en cas de proposition avantageuse d’un concurrent : dégradation de la valeur perçue, diminution de l’intention de renouveler le choix du prestataire, bouche-à-oreille négatif ; - en cas de défaillance dans la qualité de service, on peut ajouter à ce répertoire la réclamation auprès du prestataire. 1.3 Présentation du modèle conceptuel Dans cette recherche, nous allons étudier l’évolution de quatre variables reflétant la qualité de la relation (dégradation de la valeur perçue, intention de renouveler le choix du prestataire, bouche-à-oreille négatif, réclamation vindicative) lorsque survient un incident (défaillance dans la qualité de service, offre attractive émanant de la concurrence). Ce qui nous intéresse 5 avant tout, c’est de comparer l’évolution de ces quatre variables entre les clients qui ont accepté un engagement de durée et ceux qui sont libres de changer de prestataire à tout moment. En résumé, notre objectif est d’évaluer l’effet modérateur d’une clause contractuelle d’engagement de durée sur le lien entre un incident et les réponses attitudinales et comportementales des consommateurs (figure 1). Figure 1. Modèle conceptuel Nous allons maintenant expliciter les hypothèses de recherche en distinguant les deux types d’incident : (1) défaillance dans la qualité de service, (2) offre attractive émanant de la concurrence. 1.3. Hypothèses concernant le rôle modérateur de la clause d’engagement de durée en cas de défaillance dans la qualité de service En cas de défaillance dans la qualité de service, nous proposons que la qualité de la relation devrait davantage se dégrader lorsqu’il y a une clause d’engagement de durée que lorsque le Intention de renouveler le choix du prestataireIntention de Bouche à oreille négatif Dégradation de la valeur perçue Engagement de durée Réclamation vindicative Défaillance dans la qualité de service Offre concurrente attractive Incidents + + + _ + H1 H2 H3 H4 + + + 6 consommateur est libre de résilier son contrat. Notre proposition s’appuie (1) sur la théorie de la réactance de Brehm (1966 ; 1989) et (2) sur la transposition du concept de trahison à la relation consommateur-marque. Darpy et Prim (2006) analysent, à partir de la théorie de uploads/S4/ les-contrats-de-service-avec-engagement-de-duree.pdf

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  • Publié le Oct 29, 2021
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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