Revue de géographie alpine Les Reguibat L'Gouacem. Système juridique et social

Revue de géographie alpine Les Reguibat L'Gouacem. Système juridique et social Jean-Pierre Charre Citer ce document / Cite this document : Charre Jean-Pierre. Les Reguibat L'Gouacem. Système juridique et social . In: Revue de géographie alpine, tome 54, n°2, 1966. pp. 343-350; doi : https://doi.org/10.3406/rga.1966.3265 https://www.persee.fr/doc/rga_0035-1121_1966_num_54_2_3265 Fichier pdf généré le 21/04/2018 Les Reguibat L'Gouacem Système juridique et social Les Reguibat sont les plus grands nomades du Sahara occidental et même de tout le Sahara 1. Leur ancêtre éponyme est le cheikh Sid Ahmed Reguibi, descendant de Fatima, fille du Prophète, ce qui leur donne le droit de se parer du titre de chorfa. Ils se subdivisent en deux grandes confédérations : les Reguibat Sahel et les Reguibat L'Gouacem. Les Reguibat Sahel sont ainsi appelés parce qu'ils devaient toujours se trouver à l'Ouest des emplacements occupés par les L'Gouacem. Les premiers nomadisent maintenant en Mauritanie, les seconds dans la vaste zone comprise entre l'Oued Draa au Nord, la Makteir au Sud, la basse Seguia el Hamra à l'Ouest, l'Erg Chech à l'Est 2. 1 Cf. A. Cauneille et J. Dnbief, Les Reguibat Legouacem. Chronologie et nomadisme (Bulletin de l'Institut Français d'Afrique Noire, tome XVII, p. 539 à 550). Cf. aussi J. Bisson, Nomadisation chez les Reguibat L'Gouacem, in « Nomades et nomadisme au Sahara », U.N.E.S.C.O., 1963, p. 51 à 58; ou J. Bisson, La nomadisation des Reguibat L'Gouacem (Travaux de l'Institut de Recherches Sahariennes, tome XX, p. 213 à 224). 2 Le nombre des Reguibat L'Gouacem peut être estimé à 15 000, 10 000 à 12000 selon certains (J. Bisson). Ces chiffres auraient été sensiblement stationnaires, les nomades ayant bien peu bénéficié de l'Assistance médicale saharienne et ne venant se faire soigner que lorsque les vieux procédés ont été vainement essayés. Les troupeaux sont encore plus difficiles à évaluer. Pour les chameaux, nous disposons des déclarations de leurs propriétaires, mais ces déclarations servant de base à l'établissement de l'impôt, le problème est de savoir quel coefficient de multiplication il faut leur appliquer : deux selon les uns, trois selon les autres. Il semble que l'un et l'autre de ces coefficients soient valables, selon l'année considérée, le troupeau pouvant varier dans de larges proportions en fonction des conditions climatiques. En 1954, le chiffre de 100 000 chameaux pouvait être avancé. Les années suivantes ayant été sèches, le troupeau diminua de moitié, mais les années 1958 et 1959 ayant bénéficié de pluies abondantes, le troupeau s'est en partie reconstitué et pouvait être estimé à 60000 têtes en 1959. Le recensement des ovins et caprins est quasi impossible et leur nombre encore plus variable. Les Reguibat, en effet, n'étaient pas imposés pour les 344 JEAN-PIERRE CHARRE Les Reguibat L'Gouacem ont un passé glorieux з. Aux xviii" et xix* siècles, de nomades chameliers ils devinrent progressivement guerriers et bientôt pillards. A partir de 1860, date de leur écrasant succès sur la tribu des Ouled el Lob, ils entreprirent de nombreux et fructueux rezzou. En 1907, à Foucht (60 km au Sud-Ouest d'Atar), après un combat . VILLA CISNEROS 200 Km Fig. 1. mémorable qui dura trois jours et trois nuits, ils battirent définitivement leurs ennemis irréductibles, les Ouled bou Sba, et se rendirent ainsi les maîtres incontestés de tout le Sahara occidental. Aussi la pénétration française ne se fit-elle pas sans difficultés, et ce n'est qu'en 1934 moutons et les chèvres. La seule indication sérieuse est fournie par la quantité de laine vendue au chouffane. De cette façon, en 1954, il semblait que les Reguibat disposaient de plus de 100 000 ovins. Les caprins pouvaient être estimés à 25000. Avec la sécheresse, ces chiffres se sont sans doute abaissés respectivement à 15000 et 10000 têtes. Après les pluies, le nombre des ovins serait remonté à 50 000, celui des caprins à 20 000. 3 Cf. J. Larribaud, Tindouf et le Sahara occidental. Archives de l'Institut Pasteur d'Algérie, tome XXX, p. 244 à 318. LES REGUIBAT l'GOUACEM 345 qu'une colonne partie du Maroc s'empara de Tindouf. A la fin de la même année, le contrôle des Reguibat Sahel était attribué à la Mauritanie, celui des Reguibat L'Gouacem à l'Algérie. La plupart des L'Gouacem firent rapidement leur soumission à la France. La garnison de Tindouf ayant été abandonnée au début de 1963, c'est donc à peine trente ans de présence et d'administration françaises qu'ont connus les Reguibat L'Gouacem. C'est ce que montre la coexistence des systèmes juridiques et sociaux indigènes et modernes. Le système juridique. La Confédération L'Gouacem offre cette particularité d'observer à la fois la loi musulmane, le chraa, et la coutume, l'aada. Le cadi juge suivant la loi musulmane, la djemaa juge suivant la coutume. Ses décisions ont prépondérance sur celles du cadi. Enfin, les jugements ne visent parfois que le solh, c'est-à-dire l'arrangement à l'amiable entre les parties, en fonction du simple bon sens. Chraa, aada et solh s'interpénétrent. Avant 1934, avant la paix française, les groupements de tentes, les friq, étaient beaucoup plus considérables qu'aujourd'hui. Ils pouvaient atteindre deux à trois cents unités. Le plus important détenait la djemaa de la Confédération, appelée Ait Arbain. Elle était composée de Reguibat renommés pour leur sagesse et leur droiture, « choisis parmi les chioukh ou les notabilités des fractions nobles4 ». Leur nombre était au minimum de quinze et ne pouvait dépasser soixante. Le Mokadem, qui la présidait, était toujours un membre de l'ahel H'mida Ould Mohamed des Sellalka. Lorsque les deux confédérations nomadisaient ensemble, l'Ait Arbain était toujours nommée chez les L'Gouacem. Pour chaque fraction existait une djemaa réduite, où chaque famille était représentée. L'Ait Arbain avait voix sur tout ce qui intéressait les Reguibat. Elle décidait de la paix et de la guerre, formait les rezzou, en nommait le chef et jugeait les crimes importants. Ses jugements, rendus oralement, étaient sans appel. Les jugements du cadi, rendus par écrit, n'étaient pas toujours respectés, sauf s'il était désigné par l'Ait Arbain. Dans ce cas, ses sentences avaient la même valeur que celles de la djemaa. Si ses jugements étaient injustes et partiaux, il pouvait être relevé de ses fonctions par l'Ait Arbain. Celle-ci, par contre, jugeait les différends suivant un code connu de tous. Ce code du droit coutumier établit une « justice de compensation 5 ». Il y a une compensation pour tout, depuis le meurtre jusqu'à la gifle. Voici quelques exemples : — Meurtre sans motif valable : dans ce seul cas, le meurtrier doit subir la loi du talion, et son unique ressource est dans la fuite. 4 J. Larribaud, op. cit., p. 280. 5 Cf. Duřet (capitaine), Au contact des grands nomades (Documents du Centre de Hautes Etudes administratives sur l'Afrique et l'Asie Moderne, n° 2144, 1953, p. 60). 346 JEAN-PIERRE CHARRE — Meurtre accidentel : lorsque la fraction du coupable est décidée à payer le prix du sang, avant tout pourparler elle offre targuiba. C'est une sorte de cadeau de soumission, qui varie entre un et trois chameaux adultes. La fraction du coupable aide ensuite ce dernier à payer le prix du sang, la dia. Cette dia se monte normalement à cent chamelles : un tiers en chamelles de quatre ans, un tiers en chamelles de trois ans, un tiers en chamelles de deux ans, ou bien un quart en femelles de quatre ans, un quart en femelles de trois ans, un quart en femelles de deux ans, un quart en femelles d'un an. Cette dia peut être exigée, mais le plus souvent le paiement s'effectue à l'amiable. On donne par exemple un chamelon de cinq ans pour trois ou quatre chamelles de quatre ans, une pièce d'étoffe pour une chamelle de trois ans, etc.. — Meurtre par provocation : la dia est de 300 chamelles, et le meurtrier doit donner tous ses biens à la famille de la victime. Sa fraction ne devrait pas l'aider à payer, mais en fait elle le fait souvent6. — Meurtre d'une femme : une demi-dia seulement est à payer. — Viser un tiers pour le tuer, mais le coup ne part pas : une demi-dia est payée au Reguibi visé. — Blessure entraînant infirmité (taleb) : la djemaa décide de la dia à payer. Pour certains cas, celle-ci est définie : un œil : 50 chamelles; une jambe : 25 chamelles; un bras : 25 chamelles; une dent incisive : 5 chameaux; une molaire : 8 chameaux; une phalange du pouce : 5 chameaux; une phalange des autres doigts : 3 chameaux. — Défigurer un tiers en le blessant au nez : la djemaa décide du nombre de bêtes à payer. — Tirer sur un tiers sans l'atteindre : la réparation est de rigueur. Elle consiste en une chamelle fécondée. — Donner un coup de poignard et déchirer le vêtement ou égratigner la peau : une targuiba doit être payée. — Sortir le poignard du fourreau au cours d'une dispute : le coupable donne un chameau. — Donner une gifle : l'injure est réparée par le paiement d'une targuiba. — Vol : le coupable paie quatre fois la valeur du vol, uploads/S4/ les-reguibat-l-x27-gouacem-systeme-juridique-et-social.pdf

  • 20
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager
  • Détails
  • Publié le Dec 05, 2022
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
  • Taille du fichier 0.6797MB