Monsieur Yves Dezalay Monsieur Bryant Garth Droits de l'homme et philanthropie
Monsieur Yves Dezalay Monsieur Bryant Garth Droits de l'homme et philanthropie hégémonique In: Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 121-122, mars 1998. Les ruses de la raison impérialiste. pp. 23- 41. Citer ce document / Cite this document : Dezalay Yves, Garth Bryant. Droits de l'homme et philanthropie hégémonique. In: Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 121-122, mars 1998. Les ruses de la raison impérialiste. pp. 23-41. doi : 10.3406/arss.1998.3242 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/arss_0335-5322_1998_num_121_1_3242 Résumé Droits de l'homme et philanthropie hégémonique. En s'appuyant sur l'histoire du mouvement américain de défense des droits de l'homme, cet article étudie les liens entre les ONG, les fondations philanthropiques et le champ du pouvoir d'État. Plus particulièrement, il s'interroge sur une série de paradoxes sur lesquels repose ce dispositif hégémonique : - La stratégie d'investissements savants qui a permis à un establishment de notables des affaires, puis à leurs opposants, de s'emparer du pouvoir d'État, tout en contribuant à en renouveler les représentations légitimes. - La convergence des crises externes et des conflits internes entre générations qui suscite la transformation de ces pratiques de gentlemen en un marché très professionnalisé, en concurrence pour l'attention des médias. - Le mélange de continuités et de ruptures entre une stratégie de construction d'une alliance internationale des élites, inspirée par la guerre froide, et l'extraordinaire réseau d'alliances savantes et militantes, bâti autour des grandes fondations. En reliant cette histoire spécifique aux transformations structurales du champ du pouvoir nord- américain, les auteurs suggèrent que l'émergence d'un marché international de l'expertise d'État est indissociable des luttes de palais nationales. Ce marché de la vertu civique est aussi un des principaux foyers d'un impérialisme symbolique qui s'appuie sur l'infrastructure savante des ONG américaines pour exporter, non seulement tout un ensemble de valeurs politiques, mais aussi les structures sociales qui les sous-tendent. Resumen Derechos humanos y filantropía hegemónica. En este artículo se investiga los vínculos entre las ONG, las fundaciones filantrópicas y el campo del poder de Estado, a partir de la historia del movimiento norteamericano de defensa de los derechos humanos. Se examina en particular una serie de paradojas que constituyen los cimientos de esta estructura hegemónica : - La estrategia de inversiones científicas que ha hecho posible que un grupo dominante, formado primero por notables de la órbita de los negocios y luego por sus opositores, se haya aduenado del poder de Estado, al mismo tiempo que contribuía a renovar las representaciones legitimas de tal poder. - La convergencia de las crisis externas y los conflictos internos entre generaciones suscita la transformación de esas prácticas de gentlemen en un mercado muy profesional-zado, en el que se compite por retener la atención de los medios masivos de comunicación. - La combinación de continuidades y rupturas entre la estrategia de construction de una alianza internacional de las elites, inspirada por la guerra fría, y la extraordinaria red de alianzas científicas y militantes, organizada en torno a las grandes fundaciones. Al vincular esta historia específica a las transformaciones estructurales del campo del poder norteamericano, los autores sugieren que la emergencia de un mercado internacional de expertes de Estado es indisociable de las luchas nacionales de palacio. Asimismo, el mercado de la virtud cívica representa uno de los principales centros de un imperialismo simbólico que utiliza como base la infraestructura científica de las ONG estadounidenses con el fin de exportar, no solo un conjunto de valores políticos, sino también las estructuras sociales subyacentes. Zusammenfassung Menschenrechte und hegemonische Philanthropie. Der Artikel behandelt vor dem Hintergrund der amerikanischen Menschenrechtsbewegung die zwischen nichtstaatlichen Organisationen, den Wohltätigkeitsstiftungen und der staatlichen Gewalt bestehenden Beziehungen. Insbesondere wird einer Reihe von dieser hegemonischen Kooperation entspringenden Paradoxen des Näheren nachgegangen : - die mit ausgesuchter Sorgfalt entworfenen Investitionsstrategien, dank derer zunächst einer Fraktion des establishments der höchsten Geschäftswelt, sodann ihren Gegenspielern, gelang, die Macht des Staates an sich zu reißen, womit zugleich ein Beitrag zur Erneuerung der gesetzlichen Vertretungen geleistet worden war. - die Konvergenz äußerer Krisen und innerer Konflikte zwischen den Generationen, die zu einem Wandel dieser ursprunglichen gentlemen-Gewohnheiten hin zu einem ausschlielslich professionellen Markt und der Konkurrenz um die Beachtung durch die Medien gefuhrt hatten. - das Gemisch aus Kontinuitäten und Brüchen zwischen einer Strategie der Bildung eines internationalen, von der Idee des kalten Krieges geprägten Bündnisses der Eliten und einem außergewöhnlichen, sich der grolsen Stiftungen bedienenden Verbindungsnetz eben sowohl auf wissenschaftlicher, wie auf der Ebene der Mitglieder. Diese spezifischen Geschehnisse zu den strukturellen Wandlungen des nordamerikanischen Machtfeldes in Beziehung setzend, legen die Autoren die Ansicht nahe, dais die Entstehung eines internationalen Markts der Staatsbeaufsichtigung von den jeweiligen nationalen Kämpfen um die Macht nicht zu trennen sei. Indessen bedeutet dieser Markt staatsbürgerlicher Tugenden ebenfalls den Ausgangspunkt eines symbolischen Imperialismus, der auf der Basis der wissenschaftlichen Infrastruktur amerikanischer nichtstaatlicher Organisationen nicht nur ein ganzes System politischer Werte, sondern dadurch zugleich die sie hervorbringenden sozialen Strukturen mit exportiert. Abstract Human Rights and hegemonie Philanthropy. This paper uses the example of the history of the movement for the protection of human rights to examine 1) the connection between NGOs and philanthropy and the field of state power in the United States, and, in particular, the similarities of the continuing strategy of learned investment outside the state which serves to build the legitimacy of the state ; 2) the transformations in relation to external crises and generational movements - seen especially in the growth in the importance of professionalization, competition, and mediatization ; 3) the continuities and change between the practices characteristic of the present world of foundations and NGOs and the original cold war strategy of building allies and fighting ideologically against communism. By tracing this history and how it relates to transformations in state power in the United States, the paper argues that the emerging international market of expertise is inseparable both from developments in the struggle over state power in the United States and at the same time from the phenomenon of exporting US institutions abroad - promoting structural biases in the international market the favor US ideas and institutions. Yves Dezalay et Bryant Garth Droits de l'homme ET PHILANTHROPIE HÉGÉMONIQUE e mouvement des droits de l'homme est souvent présenté comme une illustration exemplaire de ces nouvelles pratiques transnationales qui échap pent à l'ordre étatique. Pourtant, par une sorte de para doxe, c'est la reconnaissance étatique de cette soft law qui représente l'aboutissement de ces efforts militants ; et elle s'accompagne d'une compétition et d'une profes- sionnalisation croissantes sur le marché de l'activisme politique. Aux États-Unis, «the best and the brightest» (M. Clough, 1994, p. 6) se bousculent pour obtenir un internship dans des organisations comme Human Rights Watch (HRW), Lawyers Committee for Human Rights (LCHR) ou Amnesty International1. Par idéa lisme, mais aussi parce que ces pratiques juridiques militantes sont devenues aujourd'hui une des voies les plus prisées pour entrer dans une carrière internatio nale. Que ce soit dans les grandes institutions interna tionales ou dans les firmes de Wall Street. Car la fron tière entre le militantisme et les compétences gestionnaires s'atténue. Ainsi, les grandes ONG (orga nisations non gouvernementales) privilégient désor mais ces dernières pour leur recrutement. Au point de faire appel à des chasseurs de têtes. Le succès de la stratégie médiatique de ces organisa tions leur a imposé une logique d'entreprise : elles sont en concurrence pour l'attention des médias comme pour obtenir les financements des grandes fondations philanthropiques, sans lesquels elles ne pourraient sur vivre. Et ces dernières, s'inspirant des venture capitali sts, se revendiquent ouvertement comme de véritables «banques d'affaires symboliques», dont les investiss ements et les conseils en stratégie doivent préparer leurs protégés à affronter la compétition très vive qui règne sur le marché de la vertu civique. Un marché où elles sont elles-mêmes concurrentes, tout en contribuant à entretenir la compétition entre leurs poulains. Comment analyser cette logique marchande qui s'impose dans un espace que l'on a tendance à considér er comme étant de l'ordre du public, sinon de l'État 2 ? Pour conceptualiser cette complémentarité entre ONG et institutions d'État, caractéristique de ces nouveaux mouvements sociaux, les political scientists anglo- saxons s'accordent généralement autour de l'expression issue networks (JA. Keck et K. Sikkink, 1997), elle-même dérivée de la notion d'epistemic communities (E. Haas, I99O ; P. Haas, 1992). Ils mettent ainsi en avant le consensus minimal, à la fois sémantique et idéologique, qui permettrait à des individus de collaborer à un projet commun à partir de différents lieux institutionnels : ONG, universités, administrations nationales ou interna tionales, et même entreprises multinationales. Si ces analyses ont le mérite de s'écarter d'une lecture trop 1 — Selon G. Wade (1995), il n'y aurait pas moins de cinq cents candi dats pour un poste au service juridique d'Amnesty International. Il en va de même pour les grandes organisations américaines comme le HRW ou le LCHR, qui peuvent choisir parmi les diplômés des law schools les plus prestigieuses. 2 — Mais peut-être s'agit-il d'un réflexe hexagonal? Ce n'est pas par hasard si ces qualificatifs de «non gouvernementales», «non éta tiques » ont fleuri dans uploads/S4/ yves-dezalay-droits-de-l-x27-homme-et-philanthropie-hegemonique.pdf
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- Publié le Mai 18, 2021
- Catégorie Law / Droit
- Langue French
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