Lundi 11 Janvier 1915 Cher Cousin, J’ai reçue ta lettre et j’ai vu avec plaisir
Lundi 11 Janvier 1915 Cher Cousin, J’ai reçue ta lettre et j’ai vu avec plaisir que tu étais en bonne santé tant qu’à moi il en est de même. Je vais te raconter le tour qui m’est arrivé il y a quatre mois. C’était le 6 septembre à 8 heures du soir. A cette heure là nous avons arrivé près d’un bois situé entre Lachie et Les Essarts dans la Marne et l’on s’apprête pour y coucher le long du bois. En avant de nous nous avions comme avant postes les 25ème de chasseurs et le 270ème d’infanterie. Vers 11 heures arrive une auto-canon allemande qui lance une dizaine d’obus et le 270ème qui fout le camp et passe en débandade à coté de nous en criant « Sauve qui peut ». Nous nous réveillons en sursaut nous nous équipons à la hâte et l’on en fait autant. Il y en a qui se sauvèrent à gauche, d’autres à droite. En me sauvant je me mélangeais avec le 270ème et quand je vis mon erreur je commençai à chercher après le 327ème. En cherchant de groupe en groupe j’eus la malchance de me foutre entre les mains du Général de division avec six autres. Il nous demanda à quel régiment nous appartenions. Nous lui dimes. Il fit appeler un sergent et nous dit de le suivre.Celui-ci nous emmena dans une grange et nous dit de déposer nos armes dans un coin et de nous coucher sur la paille. Nous fîmes comme il nous dit et aussitôt que nous fûmes couchés il fit enlever nos fusils et fit placer une sentinelle à la porte. Nous nous demandions ce que cela voulait dire. Cinq minutes après arrive l’aumônier qui nous dit de faire nos prières avec lui. Nous lui demandons pourquoi. Il nous dit qu’ayant appris qu’il se trouvait des soldats dans la grange il était venu pour leur donner la bénédiction et que cela il le faisait partout. Le lendemain matin nous partîmes encadrés par 8 hommes du génie, baïonnette au canon et l’on nous conduisit au quartier général et un moment après arrivait le colonel du 327èmequi avait été appelé par le général. Il s’expliquèrent ensemble pendant au moins un quart d’heure puis le général ordonna à notre colonel de nous emmener. C’était pour nous fusiller et c’était nous qui allions payer pour le 270ème. L’on nous emmena en face d’une meule, l’on nous banda les yeux et l’on plaça une section, environ 39 hommes à 12 mètres de nous. J’étais placé à droite et nous nous étions donné la main à l’un l’autre. A la première décharge je me laissai tomber mais je n’avais rien, puis l’on fit retirer sur ceux qui bougeaient encore. Ensuite l’adjudant vint pour nous donner le coup de grâce en nous logeant une balle dans la cervelle. Il commença par la gauche et quand il eut tiré sur les 2 premiers il dit au capitaine qui commandait qu’il ne pouvait plus continuer, que ça lui faisait trop de peine. Le capitaine lui dit de s’assurer si nous étions bien morts et en passant il nous fit bouger en nous pressant par les épaules. Ce n’était pas le moment de bouger. Quand il eut passé de l’un à l’autre il dit que nous étions tous morts et le capitaine emmena le peloton. Nous étions encore à deux de vivants un de Saint Amand qui avait la jambe cassée et moi qui n’avait rien. Je restai encore là au moins deux heures et ensuite je me suis sauvé avec le 233ème et le lendemain je retrouvai le 327ème vers 11 heures du matin. En arrivant j’ai cherché après le commandant de notre bataillon et je suis allé le trouver. Je lui racontai ce qui s’était passé et je lui dis que j’étais revenu me mettre à sa disposition et que je demandai à partir en première ligne. Il me dit qu’il allait référer mon cas au Colonel et qu’en attendant je pouvais rentrer à ma compagnie. Ensuite il alla trouver le Colonel et tous deux ils allèrent trouver le général. Une demi-heure après ils revinrent et me firent appeler. Le Colonel me dit que j’étais gracié et qu’il ne fallait plus y penser, qu’il avait fait son possible auprès du général pour empêcher qu’on nous fusille mais que le général voulait un exemple et s’était montré inflexible. Et ce fut de cette manière que l’on nous tua sans nous dire quoi que ce soit et sans faire d’enquête.Depuis j’ai été cité à l’ordre du jour pour avoir demandé à repartir au feu après avoir été blessé au dos le 15 octobre [….] Le principal est que je suis toujours en bonne santé …. François Waterlot a été tué pendant la bataille de la Somme, le 10 juin 1915 uploads/S4/ lettre-du-soldat-waterlot.pdf
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- Publié le Oct 08, 2022
- Catégorie Law / Droit
- Langue French
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