"L’indépendance statutaire du parquet est- elle compatible avec la définition d

"L’indépendance statutaire du parquet est- elle compatible avec la définition d’une politique pénale nationale" 29/02/2016 Allocution de M. Jean-Claude Marin, procureur général près la Cour de cassation à l'occasion du Cycle approfondi d’études judiciaires (CADEJ) - session 2016/2017 L’autorité judiciaire dans l’Etat de l'ENM Le thème de ce premier module me paraît particulièrement opportun et judicieux à plusieurs titres. Tout d’abord parce qu’au terme, je l’espère, d’une longue période de déni des difficultés de plus en plus évidentes que rencontrait l’institution judiciaire au fil des années et d’ignorance des discours des magistrats, discours souvent qualifiés d’inutilement alarmistes, une prise de conscience émerge dans différents cercles de l’impérieuse nécessité de repenser, de redresser diront certains, la place et le rôle de l’institution judicaire dans notre République. Les positions prises récemment par certains ont pu laisser accroire que, dans la Magistrature, il existait un courant de pensées érigeant l’Autorité judiciaire en une sorte d’entité praeter étatique, légitimée par son seul statut d’indépendance, parfois revendiquée comme ne s’appliquant qu’aux seuls juges, je veux dire qu’aux seuls juges du siège pour reprendre un truisme usuel. La Justice, dans tous les états démocratiques ne peut se concevoir que dans l’entité juridique de l’Etat dont elle est une des principales fonctions régaliennes. Même si le fonctionnement actuel de nos institutions peut amener, certains, à s’interroger sur la confusion que peut entretenir le concept d’Etat, représenté par le président de la République dont l’article 5 de la Constitution précise qu’il « …veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’Etat »[1] et celui d’exécutif, il ne faut pas perdre de vue que l’autorité judiciaire est partie intégrante, partie essentielle même, du fonctionnement de nos institutions républicaines, la glose sur le terme soit disant dévalorisant d’ « autorité judiciaire » étant vaine, notre Constitution ne parlant ni de pouvoir exécutif ni de pouvoir législatif. Au thème de « l’indépendance statutaire du parquet est-elle compatible avec la définition d’une politique pénale nationale ? », il faut ne pas craindre d’ajouter préalablement l’interrogation suivante : faut-il envoyer le parquet au bûcher pour sauver notre autorité judiciaire ? Notre justice judiciaire, malgré tous ses efforts, est souvent présentée et perçue par nos responsables, nos médias et nos concitoyens comme défaillante. Dans ses propres rangs, des magistrats, des fonctionnaires, des acteurs de la vie judiciaire s’interrogent sur le sens de leur action et la finalité de leur mission. Trop lente, imprévisible, mal organisée, mal gérée, tantôt trop laxiste, tantôt trop sévère, au point de justifier l’usage du droit monarchique de grâce, ignorée parfois, méconnue souvent, vilipendée aussi, notre institution ainsi que celles et ceux qui la servent, ne peuvent que subir ces constats à la fois légitimes et injustes et rappeler, mezzo voce, que la part du PIB par habitant consacré à la justice place la France au 37ème rang des pays membres du Conseil de l’Europe, juste entre la Géorgie et l’Azerbaïdjan. Certains, cherchant les causes d’une telle situation et d’un tel désamour, en quête de solution ou de recette, portent leur regard sur notre système et certains de ses particularismes, partagés d’ailleurs avec d’autres démocraties en Europe. L’origine des maux de notre Justice et notamment de sa mauvaise image, colportée de-ci-delà, résiderait dans le statut commun des juges et des procureurs, ceux-ci ternissant la réputation de ceux-là. Il faudrait donc sacrifier les uns sur l’autel de l’honneur des autres pour qu’une partie de la crise de l’institution judiciaire et de son image soit résolue ! Voltaire, dans son chapitre sixième de Candide, nous avait déjà plaisamment conté l’efficacité de telles solutions radicales : « Après le tremblement de terre qui avait détruit les trois quarts de Lisbonne, les sages du pays n’avaient pas trouvé un moyen plus efficace pour prévenir une ruine totale que de donner au peuple un bel auto−da−fé ; il était décidé par l’université de Coïmbre que le spectacle de quelques personnes brûlées à petit feu, en grande cérémonie, est un secret infaillible pour empêcher la terre de trembler. » Et comme l’on sait, le jour même du rite sacrificiel, la terre trembla ! Comme les tremblements de terre de Lisbonne, le sacrifice du Parquet ne sauvera pas notre justice judiciaire, bien au contraire. Je suis en effet persuadé que la scission du corps nuirait profondément aux deux fonctions cardinales de la Justice et, sans doute, atteindrait davantage les magistrats du siège que ceux du parquet. Ces développements liminaires peuvent paraître trop longs et peut être hors sujet. Il n’en est rien. Au moment même où, tant en droit qu’en fait, les différences statutaires ou fonctionnelles entre les magistrats du siège et ceux du parquet s’amenuisent sans que les fonctions se confondent, cette situation d’indépendance en devenir du Ministère public suscite de nouveaux questionnements sur les liens entre la Nation et sa Justice, entre le Parquet et la volonté des citoyens exprimée par l’élection d’une majorité élue en partie sur des perspectives de politique pénale. 1. LES EVOLUTIONS STATUTAIRES ET FONCTIONNELLES DES MAGISTRATS DU MINISTERE PUBLIC. Sans revenir sur la nécessaire unité du corps, il convient de poser le constat que les fonctions confiées aux membres du Ministère public français distinguent ces derniers de leurs collègues étrangers et plus particulièrement européens. Le procureur français n’est pas qu’un organe de poursuites limitant son rôle à celui de partie accusatrice dans le procès pénal. Aux avant-postes de la procédure d’investigations, il permet de qualifier de judiciaire la phase policière d’enquête flagrante ou préliminaire dont il assure la direction et le contrôle au contraire de nombreux pays, notamment anglo-saxons, où la police mène de manière très autonome ses investigations, sous réserve du recours au juge en cas de privation de liberté, l’organe de poursuite n’étant saisi que lorsque ces investigations sont considérées, par la police, comme terminées. Par ailleurs, responsable de la mise en œuvre du principe d’opportunité des poursuites, le Ministère public français est un authentique décideur judiciaire exerçant une activité juridictionnelle en décidant et du principe de la réponse pénale et des modalités de celle-ci. Enfin, et de manière trop lapidaire, il est l’ambassadeur de la Justice dans la cité, participant à de maintes commissions ou structures, véritable passerelle entre la société civile et l’institution judiciaire et par là même, acteur essentiel des projets de juridiction. Approches de l’évolution contemporaine du Ministère public et les confusions que suscite, chez certains, cette évolution. Pendant longtemps, la magistrature, toute entière, siège et parquet confondus, n’avait de l’indépendance qu’une vision toute relative, si ce n’est quelques personnalités marquantes. Relisons Victor HUGO : « …vous premiers présidents et procureurs généraux, accourez en carrosse, à pied, à cheval en robe, la toque au front, le rabat au cou, la ceinture au ventre….Ôtez votre gant, levez la main et prêtez serment à son parjure, jurez fidélité à la trahison »[2] Cette magistrature docile et soumise relève du passé et tant au siège qu’au parquet, chez les juges et procureurs s’est affirmée une conscience et une idée forte du rôle du magistrat et de sa fonction complexe dans la société civile. Si, notamment du fait des dispositions constitutionnelles et statutaires, l’indépendance et l’impartialité du juge se sont très tôt réaffirmées avec force, la conceptualisation d’un parquet indépendant a suivi une évolution beaucoup plus lente. Cette évolution s’est d’abord heurtée à une méprise sur la notion d’indépendance du Ministère Public, les uns la concevant comme une indépendance individuelle de chaque magistrat du Ministère Public, les autres comme l’indépendance du Parquet en tant que composante de la magistrature. Il ne peut, de mon point de vue, que s’agir de l’indépendance du Parquet tout entier et non de ses membres pris individuellement. En effet, les principes cardinaux de hiérarchie et d’indivisibilité du Ministère public sont une garantie donnée aux citoyens d’une égalité devant la loi et d’une cohérence territoriale, ou, à tout le moins, de la recherche d’une cohérence de l’action publique sur un territoire. Les juges ont une jurisprudence, les parquetiers ont une politique ce qui n’empêche pas que les uns et les autres s’attachent à définir une stratégie de juridiction afin que la Justice soit rendue dans les meilleures conditions. Cette analyse ne prive pas le magistrat du parquet de ses garanties déontologiques ni de sa liberté de parole concrétisée dans l’adage « La plume est serve mais la parole est libre. La jurisprudence du Conseil Supérieur de la Magistrature, et notamment sa jurisprudence disciplinaire, sont l’écho de sa vigilance en matière de droits et devoirs des magistrats du parquet. Une autre confusion a pu naître de la jurisprudence de la Cour Européenne des Droit de l’Homme notamment de la lecture de ses arrêts Medvedyev[3] et Moulin[4]. Le parquet à la française n’entend pas confondre son rôle avec la mission d’un juge au sens de l’article 5 de la Convention dont le considérant 123 de l’arrêt Medvedyev[5] définit le sens et la portée : « … Le paragraphe 1 c) forme un tout avec le paragraphe 3 et l’expression « autorité judiciaire uploads/S4/ lindependance-statutaire-du-parquet-estelle-compatible-avec-la-definition-dune-politique-penale-nationale 1 .pdf

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  • Publié le Aoû 09, 2022
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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