1 Réflexions « concrètes » sur les aspects judiciaires de l’attractivité économ
1 Réflexions « concrètes » sur les aspects judiciaires de l’attractivité économique du système juridique de l’OHADA1 Résumé : Pour attirer les investissements étrangers et encourager les investissements domestiques, les États Parties au Traité de l’OHADA ont entrepris d’harmoniser, voire d’unifier leurs législations relatives au secteur économique. Cette entreprise était motivée par l’objectif de la restauration de la sécurité juridique et judiciaire dans ce périmètre géo- juridique. Toutefois, s’il est indéniable que d’énormes progrès ont été faits sur le chemin de la sécurité juridique en droit substantiel, d’importants efforts restent à accomplir sur le plan processuel afin que la sécurité judiciaire rime avec la sécurité juridique obtenue. Les règles de procédure des différents États Parties, encore trop disparates les unes des autres, portent en elles-mêmes les germes de l’insécurité juridique et judiciaire. Le régime juridique des délais et de la saisine du juge national de fond, juge de première saisine en droit de l’OHADA, appelé à interpréter et à appliquer les textes de l’OHADA, son office et les procédures applicables devant lui ne sont pas harmonisés. On se demande pragmatiquement comment l’incohérence des aspects judiciaires de ce système juridique peut servir la sécurité juridique et son attractivité économique. Il ne suffit pas seulement que le législateur de l’OHADA affirme son attachement à la sécurité judiciaire pour qu’elle soit perceptible, il faudrait encore qu’il se donner les moyens d’y parvenir. En définitive, la sécurité judiciaire reste un concept en devenir dans le système juridique de l’OHADA. 1. Soucieux de construire un espace juridique commun à même de répondre à leurs besoins économiques et sociaux, certains États africains ont décidé de créer l’OHADA2. Cette organisation est le fruit de leur volonté d’uniformiser leurs législations afin de trouver des solutions à l’atonie économique persistante, génératrice d’un chômage de masse endémique. Sa vocation principale est de redonner confiance aux investisseurs qui, pendant longtemps, ont tourné le dos à l’Afrique à cause de l’obsolescence, de l’éparpillement et de l’extrême hétérogénéité de ses législations de nature économique3. L’autre reproche visait les 1 Le présent article a été rédigé à partir de la prise en compte du résultat négatif de la contribution des juridictions nationales à l’atteinte des objectifs d’attractivité économique de l’OHADA. Je remercie mon directeur de thèse, le professeur Loïc CADIET, d’avoir accepté de relire et d’apprécier cette étude. 2 OHADA : Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires. Cette organisation fut créée par le Traité de Port-Louis le 17 octobre 1993, traité révisé à Québec au Canada le 17 octobre 2008. 3 Voir les propos recueillis par la mission dirigée par Kéba M’Baye, ancien Président de la Cour suprême du Sénégal, cité par Barthélémy Cousin, « Fiabilisation des systèmes judiciaires nationaux : un effet secondaire méconnu de l’OHADA », Intervention lors de la Conférence Consultative Régionale en Afrique organisée par la conférence des bailleurs de fonds pour le développement de l’entreprise du 5 au 7 novembre 2007 à Accra 2 institutions judiciaires, jugées subordonnées au pouvoir politique, inadaptées aux réalités du monde des affaires et composées de magistrats reprochables4. C’est pour répondre à ces critiques que les chefs d’États de neuf pays africains (à l’origine) s’étaient accordés pour uniformiser les règles substantielles touchant au droit des affaires5 en constituant une mission à cet effet. 2. Cette mission confiée à un groupe de travail dirigé par M. Kéba M’Baye avait pour fil conducteur la « réalisation de la sécurité juridique et judiciaire dans le but de favoriser le développement de l’esprit d’entreprise »6. Le résultat de cette mission est connu : l’OHADA, avec à son actif à ce jour neuf Actes uniformes7, un résultat qui lui vaudra le qualificatif d’un « droit très important et original »8 qui « force l’admiration »9. Nous reprenons à notre compte ces heureuses appréciations. Mais qu’en est-il concrètement des aspects judiciaires de cet « outil imaginé par l’Afrique pour servir le développement et la croissance »10 ? Le législateur communautaire a érigé « la mise en œuvre des procédures judiciaires appropriées » au rang des objectifs primordiaux de l’OHADA 11 (cette organisation compte (Ghana) dont le thème était : « Gérer des réformes réussies de l’environnement des affaires en Afrique », Ohadata D-07-30. 4 H. TCHANTCHOU, La supranationalité judiciaire dans le cadre de l’OHADA, Préf. de Maurice Kamto, L’Harmattan, 2009, p. 20, n° 9. 5 G. de LAFOND, T., « Le Traité relatif à l’Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique », Gaz. Pal. Du 21 septembre 1995, p. 1084, cité par TCHANTCHOU, H., La supranationalité judiciaire dans le cadre de l’OHADA, Préface de Maurice Kamto, L’Harmattan, 2009, p. 23, n° 21. 6 K. M’BAYE, « Historique de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires », Avant- propos de la Revue Penant n° 827, 1998, spécial OHADA, p. 126. 7 Les neuf Actes uniformes aujourd’hui en vigueur sont : l’Acte uniforme relatif au DROIT COMMERCIAL GENERAL - 289 articles (JO Ohada N°1 du 1er octobre 1997, p.1) ; l’Acte uniforme relatif au DROIT DES SOCIETES COMMERCIALES ET DU GROUPEMENT D'INTERET ECONOMIQUE - 920 articles (JO Ohada n° 2 du 1er octobre 1997) ; l’Acte uniforme portant ORGANISATION DES SÛRETÉS - 151 articles ( JO Ohada n°3 du 1er Octobre 1997) ; l’Acte uniforme portant organisation des PROCÉDURES SIMPLIFIÉES DE RECOUVREMENT ET DES VOIES D'EXÉCUTION - 338 articles (JO Ohada n° 06 du 1 Juillet 1998) ; l’Acte uniforme portant organisation des PROCEDURES COLLECTIVES D'APUREMENT DU PASSIF - 258 articles (JO Ohada n° 7 du 1er Juillet 1998) ; L’Acte uniforme relatif au DROIT DE L'ARBITRAGE ADOPTE LE 11 MARS 1999 - 36 articles (JO Ohada N° 08 du 15 mai 1999, p.2) ; l’Acte uniforme portant ORGANISATION ET HARMONISATION DES COMPTABILITES DES ENTREPRISES ADOPTE LE 23 MARS 2000 - 113 articles ( JO Ohada N°10 du 20 novembre 2000) ; l’Acte uniforme relatif AUX CONTRATS DE TRANSPORT DE MARCHANDISES PAR ROUTE - 31 articles et l’Acte uniforme sur le droit des sociétés coopératives adopté le 15 décembre 2010 et publié dans le J O du 15 février 2011. 8 J. PAILLUSSEAU, « Le droit de l’OHADA. Un droit très important et original », La semaine juridique n° 4 du 28 octobre 2004, Supplément n° 5, p. 1 et s. 9 P.-G., POUGOUE, « Présentation générale du système OHADA », in A. AKAM AKAM (dir.), Les mutations juridiques dans le système OHADA, L’Harmattan Cameroun, 2009, p. 16, n°13. 10 K. M’BAYE, cité par Michel Akouété Akué, Plaidoyer pour un espace OHADA plus attractif pour les investissements étrangers, Actes du colloque sur La sécurisation des investissements des entreprises en Afrique francophone : Le droit OHADA, organisé par le Centre de droit économique de l’Université Paul-Cézanne d’Aix-En-Provence le 20 mars 2009 : Revue Lamy, Droit civil, n° 67, janvier 2010. p. 85. 11 Voir art. 1 du Traité du 17 octobre 1993 signé à Port-Louis (Ile Maurice). 3 effectivement 16 pays en 2011). Et pour lui donner les moyens de ses objectifs, les pères fondateurs de l’OHADA ont choisi de créer une instance judiciaire sui generis compétente pour unifier l’interprétation et l’application de ce droit uniforme. L’instrument de mise en cohérence des « procédures judiciaires appropriées » est donc la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage. Cette haute juridiction, « l’une des plus osée de l’histoire des institutions internationales »12, est présentée comme le gage de la fiabilisation du système judiciaire des États Parties et des procédures arbitrales diligentées à l’intérieur des États qui sont sous sa juridiction. 3. L’objet de cette étude est de tenter d’ébaucher une grille d’analyse et d’interprétation des aspects judiciaires du droit de l’OHADA, non pas du point de vue de la théorie juridique ou de la pratique juridique, mais sous l’angle de ce qu’ils représentent sur le plan de l’attractivité économique. L’orientation du sujet répond à l’impératif incontournable de la mondialisation et de la compétition entre les systèmes juridiques13. Cette compétition conduit les investisseurs à évaluer les qualités et défauts de l’offre de justice proposée par chaque système judiciaire : la célérité, le coût, la discrétion, la prévisibilité, la sécurité, l’impartialité, l’indépendance, la compétence, la confiance et bien d’autres critères. Les classements des systèmes juridiques opérés par les Rapports Doing Business inclinent à penser qu’aujourd’hui, on ne demande plus au droit d’être seulement efficace, mais aussi d’être compétitif dans la concurrence mondiale14. Les enseignements de ce Rapport résident dans la nécessaire adaptation des systèmes juridiques à un environnement concurrentiel et innovant. La finalité est donc d’emblée pluridisciplinaire et vise à faire dialoguer théorie générale de la justice et stratégies économiques. 12 D. NDOYE, La nouvelle Cour de cassation des pays de l’OHADA, Dakar, EDJA, 1998, p. 14. 13 Les travaux fondateurs de Richard POSNER et Ronald COASE ont montré que le comportement économique des investisseurs est fortement inspiré des réflexions des économistes sur le droit. L’analyse économique du droit (Economic Analysis of Law ou Law and Economics selon l’appellation américaine) a pour ambition d’appliquer aux règles de droit les outils et la méthode de la science économique. Elle prétend apprécier les règles uploads/S4/ 20151221115330-47-49-reflexions-concretes-sur-les-aspects-judiciaires-du-systeme-juridique-de-l-x27-ohada.pdf
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- Publié le Jul 21, 2022
- Catégorie Law / Droit
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