1/8 LUTTER CONTRE LES FAUSSES INFORMATIONS : LE PROBLÈME PRÉLIMINAIRE DE LA DÉF

1/8 LUTTER CONTRE LES FAUSSES INFORMATIONS : LE PROBLÈME PRÉLIMINAIRE DE LA DÉFINITION revuedlf.com/droit-constitutionnel/lutter-contre-les-fausses-informations-le-probleme-preliminaire-de-la- definition/ Article par Thomas Hochmann Chronique classée dans Droit constitutionnel RDLF 2018 chron. n°16 Mot(s)-clef(s): Election, fake news, Information, Liberté d'expression Aucune réflexion juridique ou politique sur la lutte contre les fausses informations ne peut se passer d’une définition suffisamment précise de ce phénomène. Les travaux du parlement français ne sont pour l’instant guère satisfaisants à cet égard, mais ils peuvent servir de base à la recherche d’une meilleure définition*. Thomas Hochmann, Professeur à l’Université de Reims Champagne-Ardenne, Centre de Recherche Droit et Territoire Après que le président Macron en a exprimé le souhait lors de ses vœux à la presse[1], plusieurs députés ont déposé une proposition de loi « relative à la lutte contre les fausses informations », ultérieurement rebaptisée en loi « relative à la lutte contre la manipulation de l’information ». Adoptée par l’Assemblée nationale le 3 juillet 2018, la proposition de loi a été repoussée par le Sénat à la fin du même mois, entraînant la convocation d’une commission mixte paritaire. Le texte contient diverses mesures. Il impose notamment certaines obligations de transparence aux plateformes en ligne, attribue de nouveaux pouvoirs au Conseil Supérieur de l’Audiovisuel, et prévoit de renforcer « l’éducation aux médias et à l’information ». En outre, il crée un nouveau recours, utilisable pendant les trois mois qui précèdent une élection nationale, qui permettrait de demander au juge des référés de faire cesser la diffusion de fausses informations sur Internet. C’est essentiellement sur ce dernier outil que se sont concentrées les critiques lors des débats parlementaires, et c’est sur lui que porte la présente réflexion. En dehors des questions relatives à son organisation procédurale et aux difficultés d’ordre technique que poserait son application, ce recours peut soulever des interrogations quant à sa conformité à la Constitution ainsi qu’à la Convention européenne des droits de l’homme. Plus largement, son opportunité même mérite sans doute d’être discutée. Toutefois, de telles réflexions ne peuvent être menées utilement que sur le fondement d’une définition suffisamment précise[2]. Les fake news ne sont qu’un type de fausse affirmation, leur encadrement est plus spécifique que le problème général de la vérité dans les campagnes électorales. Toute réflexion juridique ou politique sur la réglementation des fausses informations doit donc commencer par délimiter le phénomène concerné. À cet égard, les travaux du parlement français ne sont pour l’instant guère satisfaisants. À l’origine, la proposition de loi ne contenait aucune définition. La commission des lois décida ultérieurement de décrire une fausse information comme « toute allégation ou imputation d’un fait dépourvue d’éléments vérifiables de nature à la rendre vraisemblable »[3]. Cette définition fut abandonnée en séance publique et remplacée par la formule suivante : « Toute allégation ou imputation d’un fait inexacte ou trompeuse constitue une fausse information ». À cette définition générale de la fausse information, la proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale ajoute plusieurs éléments supplémentaires qui devront être établis pour que le juge intervienne : la fausse information doit être « de nature à altérer la sincérité du scrutin », et sa propagation sur internet doit être « délibérée » et intervenir « de manière artificielle ou automatisée et massive »[4]. 2/8 Cette définition est susceptible d’évoluer au fil des débats parlementaires, mais elle peut servir de point de départ à la recherche d’une meilleure description des fausses informations, laquelle est, répétons-le, une condition préalable nécessaire à toute réflexion juridique ou politique sur l’encadrement de ce phénomène. À l’état actuel, la définition porte sur le contenu des fausses informations (I), les conséquences de leur diffusion (II) et l’intention de leur propagateur (III). En affinant ces critères, on peut parvenir à une définition plus précise des fausses informations (IV). I. LE CONTENU Le contenu des fausses informations présente plusieurs caractéristiques. A. Une fausse information factuelle Une fausse information est d’abord une affirmation fausse. Ce critère doit apparaître explicitement dans toute définition des fake news. Il ne s’agit pas simplement d’une affirmation invérifiable ou invraisemblable, comme le prévoyait la première définition du parlement français[5]. Les termes « inexacte ou trompeuse », pour l’instant retenus par la proposition de loi, ne sont pas satisfaisants. La rapporteure de la commission des lois de l’Assemblée nationale, qui s’est inspirée du délit de diffusion de fausses informations en matière boursière[6], semble avoir pris trop au sérieux la métaphore américaine du « libre marché des idées »[7]. Les règles applicables aux marchés financiers ne sont pas forcément adaptées au débat démocratique. Ainsi, la conjonction « ou » indique qu’une affirmation exacte mais trompeuse pourrait constituer une « fausse information ». En outre, il faut sans doute préférer le terme de « faux » à celui d’« inexact », qui semble susceptible d’englober la moindre petite déviation par rapport à la vérité. Le critère de la fausseté implique qu’une fausse information est forcément une affirmation factuelle. Les différentes conceptions du bien, les opinions, les jugements de valeur peuvent être absurdes ou détestables, mais ils ne peuvent être faux[8]. Dire que « la Creuse est un département tranquille où il fait bon vivre et passer ses vacances » n’est pas une affirmation factuelle[9]. Il en va de même des faits invérifiables. Ainsi, dans le monde réel, Lee Harvey Oswald a agi seul ou non, un autre individu a ou non tiré sur le président Kennedy. Mais il s’agit là, expliquait une juridiction américaine en 1995, d’« évènements qui ont résisté à une vérification objective depuis plus de trente ans ». Une affirmation défendant l’une ou l’autre thèse n’implique donc pas de de fait prouvable[10]. Les pronostics, les paris sur l’avenir relèvent de la même catégorie. Ainsi, « dire que le Brexit coûterait ceci ou cela », pour reprendre un exemple de Marine Le Pen[11], ne peut constituer une fausse information. Dans le même ordre d’idée, les affirmations factuelles n’incluent pas les propos qui mêlent des aspects factuels et des appréciations subjectives de telle manière que les deux éléments ne peuvent être séparés sans fausser le sens de l’expression[12]. Cette précaution ne doit cependant pas être étendue à un point tel qu’elle supprimerait la notion même d’affirmation factuelle[13]. Une expression formulée sous la forme d’une opinion peut très bien contenir l’imputation d’un fait : « Si un locuteur dit « selon mon opinion John Jones est un menteur », il implique une connaissance de faits qui mènent à la conclusion que Jones a dit une contre-vérité. […] Se contenter de formuler de telles affirmations en des termes d’opinion ne fait pas disparaître ces implications »[14]. Pour déterminer le caractère factuel de l’affirmation, il convient donc de l’interpréter en tenant compte de son contexte. Les métaphores, les hyperboles et d’autres outils rhétoriques ne constituent pas des affirmations factuelles. Comme l’a exprimé une juridiction américaine, « la protection, par le premier amendement, du langage figuratif reflète la réalité selon laquelle l’exagération et le commentaire non-littéral sont devenus une partie intégrale de la communication sociale. Pour le meilleur ou pour le pire, notre société a depuis longtemps franchi l’étape durant laquelle l’emploi du mot « bâtard » aurait occasionné une enquête généalogique, ou le cri « espèce de porc ! » un examen du pedigree porcin »[15]. La Cour suprême américaine a souligné la nécessité de tenir compte de ce qu’elle appelle des « hyperboles rhétoriques ». Dans l’arrêt Greenbelt, elle examinait la condamnation en diffamation d’un journal local pour un article qui qualifiait les méthodes de négociation d’un promoteur immobilier de « chantage ». Selon la Cour, cette expression ne saurait être considérée comme une affirmation factuelle, car personne n’était susceptible de comprendre dans ces propos que l’individu était accusé d’avoir commis cette infraction. « Même le 3/8 lecteur le plus inattentif doit avoir perçu que le mot n’était rien de plus qu’une hyperbole rhétorique, un qualificatif vigoureux utilisé par ceux qui considèrent que la position de négociation [du promoteur immobilier] est extrêmement irraisonnable »[16]. Plusieurs exemples sollicités lors du débat parlementaire pour dénoncer les dangers d’une loi contre les fausses informations ne constituent pas des affirmations factuelles, mais des opinions exprimées de manière imagée. Ainsi, l’affirmation de François Bayrou lors de la campagne du référendum sur le Traité établissant une Constitution européenne, selon laquelle, « si le non l’emporte, il pleuvra pendant plus de quarante jours »[17], ne peut être raisonnablement perçue comme une affirmation factuelle[18]. Lorsqu’une députée remarqua que « l’enfer est pavé de bonnes intentions », Jean-Luc Mélenchon qualifia ses propos de fake news[19]. Mais une telle expression ne constitue pas davantage une déclaration factuelle que l’affirmation selon laquelle tous les chemins mènent à Rome. Le critère de la fausseté implique en outre que l’affirmation doit être sérieuse. Elle doit prétendre décrire des faits réels. Pour en juger, il convient toujours de se livrer à une interprétation raisonnable des propos litigieux dans leur contexte d’énonciation. Un site d’information parodique tel que le Gorafi ne publie pas de fausses informations, dès lors que ses publications ne sont pas susceptibles d’être raisonnablement interprétées comme des affirmations uploads/S4/ lutter-contre-les-fausses-informations-le-probleme-preliminaire-de-la-definition.pdf

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  • Publié le Mar 19, 2021
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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