LA DIFFICILE SYSTEMATISATION DES CONTRATS D’AFFAIRES EN DROIT OHADA Par Patrice

LA DIFFICILE SYSTEMATISATION DES CONTRATS D’AFFAIRES EN DROIT OHADA Par Patrice S.A BADJI, Maître de Conférences, Agrégé en Droit privé, UCAD Résumé La notion de contrats d’affaires en droit OHADA, loin d’être systématisée, est banalisée, la doctrine s’y intéressant réellement ou de façon superficielle la prenant pour évidente puisque l’assimilant quasi systématiquement aux contrats commerciaux. En outre, même si l’on perçoit des efforts de la part du législateur dans la prise en compte des contrats nés de la pratique ou légalement consacrés, on ne saurait manquer de relever l’attitude par moment hésitante, tatillonne, minimaliste. L’objet de la présente étude est de démontrer les failles d’une telle approche, tout en proposant des solutions permettant d’avoir un système plus cohérent. INTRODUCTION 1.Le droit privé a pour figure dominante le contrat, ce qui explique que la plupart des rapports qu’il saisit constituent des rapports contractuels1. Pourtant, il arrive que les contours, voire les critères d’identification d’une catégorie de contrat, dont l’émergence est par moment encouragée par le législateur2 et le développement exacerbé par l’imagination des juristes3, soient difficiles à cerner ou controversés. Tel est le cas du contrat d’affaires. En effet, la lueur d’espoir qui est née de l’organisation d’un Colloque sur les « pratiques contractuelles d’affaires et les processus d’harmonisation dans les espaces régionaux »4 ainsi que de la production d’une récente et volumineuse thèse sur ce type de contrats risque de faiblir5 .Nous sommes donc en présence d’une nébuleuse comme disait un auteur, à propos des avant- contrats6, et c’est faire œuvre utile que d’apprécier la position des juristes face à celle-ci et d’en avoir pleine compréhension . L'art du juriste est l'art de qualifier car la nature juridique d'une opération conditionne son régime7. La qualification juridique permet d'intégrer une opération dans une catégorie juridique afin de lui appliquer un ensemble de règles, la soumettre à un statut et/ou déterminer les régulateurs compétents8. L’art du juriste c’est aussi la conceptualisation9. Cette conceptualisation est différemment appréciée par la doctrine10. 1 P. LOCKIEC, Contrat et pouvoir, Essai sur les transformations du droit privé des rapports contractuels, L.G.D.J, 2004, p.1, n°1. 2 L’article 42 Code des obligations civiles et commerciales consacre la liberté contractuelle. 3 Ne dit-on pas que le droit est la plus puissante des écoles de l’imagination ? V.J. GIRAUDOUX, La guerre de Troie n’aura pas lieu, Acte II, Sc. 5 (Hector). 4 Colloque tenu les 26 et 28 Octobre 2011 à Libreville, http://www.ohada.com/actualite/1155/colloque-sur-les- pratiques-contractuelles-d-affaires-et-les-processus-d-harmonisation-dans-les-espaces-regionaux-, consulté le 23-11-2019 à 13 h. 5 Il en est de même de l’ article de K. DOGUE, « La confirmation d’une théorie générale des contrats commerciaux », Revue de l’ERSUMA, 2018-1/N°8, p.220 et s. 6 P.-H. ANTONMATTEI et J. RAYNARD, Droit civil, contrats spéciaux, LexisNexis, 2013, p.5. 7 J.-L. BERGEL, « Différence de nature (égale) différence de régime », RTD civ. 1984. 255. 8M. MEKKI, « Les mystères de la blockchain », D. 2017. 2160, n°10 ; M. H. SINKONDO, « La notion de contrat administratif : acte unilatéral à contenu contractuel ou contrat civil de l'Administration ? », RTD civ. 1993. 239. Pour cet auteur, la qualification est une méthode de triage qui permet d'accéder à telle ou telle catégorie juridique (contrat administratif ou contrat de droit privé). 9 V.C. BRENNER, S. LEQUETTE, Acte juridique, Répertoire de droit civil, février 2019,, n°5. Pour ces auteurs, l’acte juridique est le résultat d’une conceptualisation doctrinale relativement récente en France, les premiers efforts de systématisation datant de la fin du XIXe siècle et surtout du début du XXe siècle ; F. ROUVIERE, « Karl Popper chez les juristes : peut-on falsifier un concept juridique ? », RRJ-Cahiers de méthodologie juridique, PUAM, 2014-5, p.2213. Selon l’auteur, l’opération de conceptualisation est particulièrement connue sous le nom de « nature juridique ». La nature juridique correspond aux catégories du droit, c’est-à-dire aux concepts comportant un degré élevé de généralité. 10 Philippe Jestaz mettait en garde contre le piège des notions abstraites. Quant à J. DABIN, il a insisté sur l’importance des concepts. Enfin, L. HUSSON met en évidence l’impossibilité pour le droit d’avoir un ensemble complet de concepts exactement déterminés. C’est pourquoi, il est obligé d’emprunter à l’usage courant des concepts qu’il se garde de définir. Ph. JESTAZ, Le droit, 2e édition, p.82 ; J.DABIN, Théorie générale du droit, Dalloz, 1969, n°232 ; L. HUSSON, « Les apories de la logique juridique », Annales Fac.Droit et Sc.Eco de Toulouse, T.XV, Fasc. I (1967), pp.54 et s. Pour approfondir, V. J.-L. BERGEL, Théorie générale du droit, Dalloz, 2003, p.212, n°183. Néanmoins, le juriste de doctrine est parfois conduit à créer lui-même des concepts destinés à la connaissance et à l’analyse systématique du droit, qui ne sont pas issus des sources formelles du droit et n’ont donc pas de valeur obligatoire, même s’ils deviennent d’usage courant11 Il faudra relever que sous la généralité de la question qu’est-ce qu’un contrat, peuvent venir au jour des distinctions incertaines12. La réalité de cette diversité est mise en évidence par certains auteurs13, pointée du doigt par d’autres14. 2. En effet, Jacques GHESTIN fut l’un des auteurs à s’intéresser à la notion de contrat15. A sa suite, nous pouvons citer D. GALBOIS16. Dans tous les cas, l’étude des contrats d’affaires ne peut être menée sans s’intéresser aux « affaires ». Que renferme alors cette expression ? Une telle interrogation peut avoir pour soubassement le fait que certains préfèrent parler de pratiques des affaires17, de vie des affaires18, de relations d’affaires19, mettent même entre guillemets le concept de contrat d’affaires20 ou l’utilisent sans le définir21. La difficile appréhension de la notion d’affaires déteint sur celle de contrat d’affaires. Néanmoins, il peut 11 J.-L. BERGEL, op.cit., p.213. 12 C. ATIAS, « Qu’est-ce qu’un contrat ? » , in Droit et économie des contrats, sous la direction de C. JAMIN, L.G.D.J, 2008, collection Droit et économie, p.4. 13 J.CARBONNIER, Flexible droit, Pour une sociologie du droit sans rigueur, L.G.D.J, 10e édition, 2001, p.313. Selon l’auteur : « les théoriciens du droit professent que le contrat, par opposition à l’esprit unitaire de la loi, est l’instrument de la diversité juridique. C’est aussi reconnaître que la matière est immense ». Adde M.A.FRISON- ROCHE, Préface de l’ouvrage de S. BONFILS, Le droit des obligations dans l’intermédiation financière, L.G.D.J, 2005, 388 pages. Selon l’auteur, même si la réflexion sur le droit intègre la multiplication des contrats identiques, le droit ne tire que peu de conséquence de cette standardisation. 14 PH. MALAURIE et alii, Les contrats spéciaux, Defrénois, 2003, p.43. 15 J. GHESTIN, « La notion de contrat », Recueil Dalloz, 1990, p.147. L’auteur ne s’intéresse ni au régime juridique, ni à la fonction du contrat, mais à ses contours. 16 D. GALBOIS, « La notion de contrat, Esquisse d’une théorie », résumé R. LIBCHABER, RTDciv, 2019, p.213. 17V. Réforme du droit des contrats et pratique des affaires sous la direction de PH. STOFFEL- MUNCK, Dalloz, collection « Thèmes et commentaires », 2015 18J. REVEL, M. BOURASSIN, Réformes du droit civil et vie des affaires, DELMAS, collection « Thèmes et commentaires », Avril 2014. La Cour de justice des CE définit la vie des affaires comme une activité commerciale visant un avantage économique (CJCE, 12 novembre 2002, Arsenal C/ M. Reed, affaire C.-206-01, point 40. D. 2003, p.755, note P. de CANDE). 19 C. ARNAUDIN, « La pratique de la confidentialité dans les relations d’affaires », in La confidentialité des informations relatives à une entreprise, Colloque organisé le 26 septembre 2013 par l’Observatoire de la délinquance et de la justice d’affaires, sous la direction de B. SAINTOURENS, J.-C. SAINT-PAU, CUJAS, p.59. L’auteur vise ainsi les contrats de distribution, de franchise, de transfert de savoir-faire. 20 V. J.PRIEUR, C. CARAUX, « Transmission d’entreprise et gestion de patrimoine », La Semaine Juridique Notariale et Immobilière n° 48, 2 Décembre 2016, 1329. L’examen de cet article permet de constater que ces auteurs assimilent la cession de contrôle à une transmission d’entreprise. 21N. GRAS, Essai sur les clauses contractuelles, Thèse 2014, Clermont-Ferrand 1, 650 pages. Néanmoins au numéro 397 l’auteur retient que ce sont des contrats conclus entre professionnels. Adde F.X. TESTU, Contrats d’affaires, Dalloz Référence, 2010/2011, 715 pages ; A. BESSONNET, PH. E. LAMY, Contrats d’affaires internationaux, Guide pratique, Village Mondial, 2005, 402 pages. être perçu comme un contrat-échange ou organisation22. Le professeur J. PAILLUSSEAU est le premier, au sein de la doctrine française à parler de contrats d’affaires23 . Dans un article publié en 2006, il définit les contrats d’affaires comme des contrats uniques ou se combinant dans des montages complexes qui ont généralement pour objet soit l'organisation des entreprises elles-mêmes et de leur actionnariat (statuts de SAS ; pactes d'actionnaires, etc.24), soit l'organisation par les entreprises et leurs actionnaires – ou coopérateurs – de leurs relations industrielles, commerciales et financières (cessions de contrôle , joint-ventures, etc.). Certains de ces contrats sont relatifs à des opérations uniques, mais qui peuvent être complexes (cession d'entreprises ; grands travaux ; chantiers réalisés en commun par plusieurs entreprises ; contrat de construction navale, etc.), d'autres sont caractérisés par la durée des uploads/S4/ p-badji-les-contrats-d-affaires-bon-doc.pdf

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  • Publié le Dec 15, 2021
  • Catégorie Law / Droit
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