1 UNJF - Tous droits réservés Epistémologie juridique Leçon 4 : Parler du droit

1 UNJF - Tous droits réservés Epistémologie juridique Leçon 4 : Parler du droit Table des matières Section 1 : Méthodologie............................................................................................................................................p. 2 §1. Regards interne/externe.................................................................................................................................................................p. 2 A - La distinction entre point de vue interne et point de vue externe..............................................................................................................................p. 2 B - Manifestations de la disctinction.................................................................................................................................................................................p. 5 §2. L’usage des définitions et des concepts en droit..........................................................................................................................p. 6 A - Définir..........................................................................................................................................................................................................................p. 7 B - Doit-on parler de notions juridiques ou de concepts juridiques ?.............................................................................................................................. p. 8 1. Première approche.............................................................................................................................................................................................................................................. p. 8 2. Regard interne : la notion dans le discours, le concept hors du discours.........................................................................................................................................................p. 9 3. Regard externe : la notion en dogmatique, le concept en théorie...................................................................................................................................................................p. 10 Section 2 : Topiques juridiques ............................................................................................................................. p. 14 §1. Le fait et le droit.......................................................................................................................................................................... p. 14 §2. Les classifications juridiques........................................................................................................................................................p. 15 §3. La qualification juridique.............................................................................................................................................................. p. 17 A - La qualification comme interprétation.......................................................................................................................................................................p. 18 B - La qualification comme décision...............................................................................................................................................................................p. 21 2 UNJF - Tous droits réservés « Pour parler du monde, nous devons déjà imposer sur le monde un schème conceptuel spécifique à notre propre langage. » Willard Van Orman QUINE, Du point de vue logique. Neuf essais logico-philosophiques, trad. de l’anglais Sandra LAUGIER (dir.), Paris : Vrin, coll. Bibliothèque des textes philosophiques, 2003, p. 79. Les trois premiers temps de ce cours doivent nous permettre à présent de « parler » du droit, c’est-à-dire de revenir vers des objets et des questions traditionnelles de la « pensée juridique » : d’une part les méthodologies (section 1) et d’autre part des « topiques » (Section 2), c’est-à-dire des lieux communs de pensée qui servent de « prêt à penser ». Ces questions ne peuvent en effet être traitées « en soi » mais au passage de l’ontologie à l’épistémologie et en lien avec elles. La méthode de la science du droit se situe dans le prolongement des choix épistémologiques, eux-mêmes dépendants, on l’a vu, de l’ontologie du droit. Section 1 : Méthodologie Remarque La méthodologie fournit un chemin pour l’accomplissement des ambitions épistémologiques. Chaque projet de connaissance du droit devrait ainsi disposer de ses propres outils méthodologiques : l’empirisme appelle la recherche des faits ; l’idéalisme, le travail des concepts ; les approches analytiques, le travail du discours, etc… Cependant on peut ici revenir sur deux aspects qui devraient être communs à toute méthodologie : d’une part, la nécessité de dissocier un regard externe, garant d’un minimum de rigueur épistémologique (II) ; d’autre part, la distinction, à l’intérieur de ce regard externe, entre les notions, qui empruntent encore le vocabulaire de l’objet « droit » et les concepts, qui s’en détachent (II). §1. Regards interne/externe Si un scientifique est « impliqué », comment peut-il « expliquer » ? Aujourd’hui, une grande partie des épistémologies dignes d’intérêt exhortent les chercheurs à bien séparer la connaissance du droit par le décideur, comme regard interne, et connaissance du droit par le chercheur, comme regard externe. Mais cela n’a pas toujours été le cas. Nous verrons donc le principe de la distinction (A) avant d’examiner son avènement et ses manifestations (B). A - La distinction entre point de vue interne et point de vue externe Lorsqu'on veut "parler du droit", dire quelque chose de "correct" sur le droit, il faut toujours dire de quel "point de vue on parle". Car alors la prétention à la vérité de ce que l'on dit change du tout au tout. Plusieurs attitudes existent mais on les rassemble généralement en opposant interne (celui des acteurs) et externe (celui des observateurs). Si cette distinction est aussi ancienne que l'empirisme, on se réfère généralement à l'oeuvre d'Herbert Hart (HART, Herbert L. A., (1961), The concept of law, 1961, trad. de l'anglais par Michel Van de Kerchove, Publications des Facultés universitaires Saint-Louis (Bruxelles), 1976). « Même si cette dichotomie entre l’aspect interne et l’aspect externe du droit revêt aujourd’hui une importance exagérée en philosophie du droit, on peut retenir l’idée que le juriste qui réfléchit sur le droit est à la fois à l’intérieur et à l’extérieur de sa matière : à l’intérieur en tant que technicien ; à l’extérieur en tant que ‘penseur’, c’est-à-dire personne ayant une pensée réflexive »? J.-P. Chazal, « Philosophie du droit et théorie du droit, ou l’illusion philosophique », in Archives de philosophie du droit, 45, 2001, p. 329. 3 UNJF - Tous droits réservés Dans « Le concept de droit », Hart ne développe pas vraiment une épistémologie mais une théorie du droit qui emprunte les chemins de la philosophie analytique. Il s’interroge utilement sur la nécessité d’une définition du droit pour pouvoir en parler. Il dénonce le fait que le droit soit pour beaucoup la seule discipline cognitive à devoir partir d’une définition de son objet alors même que beaucoup peuvent parler de phénomènes naturels sans avoir besoin de définir la discipline qui les étudient. Ils peuvent d’ailleurs en faire autant pour des phénomènes juridiques. Le droit comporte en effet en lui-même des « règles de reconnaissance » qui permettent aux autorités (investies de ce pouvoir par des règles « secondaires ») de déterminer les frontières du droit. L’observateur du droit doit seulement construire des concepts clefs comme celui de « normes primaires / secondaires », normes de reconnaissance, sujet de droit…. « A la suite de Wittgenstein, Hart distingue le point de vue de celui qui participe au jeu et celui de l’observateur extérieur. Il les nomme respectivement perspective interne et perspective externe. D’accord avec Wittgenstein, il estime que les règles d’un jeu ne peuvent être adéquatement comprises que dans une perspective interne… Si l’on se place, par contre, du point de vue de l’observateur extérieur, on manque la spécificité de la règle en général et de la règle de droit en particulier…Telle est l’erreur des réalistes, par exemple, qui observent la règle comme pur factum, dont ils tentent de l’extérieur de saisir les causes » (B. Frydman, Le sens des lois. Histoire de l’interprétation et de la raison juridique, Bruxelles-Paris, Bruylant-L.G.D.J., 2005, pp. 561-562.) Cette distinction n'est pas toujours admise par tous. Ainsi, A.-J. Arnaud (« La valeur heuristique de la distinction interne/externe comme grande dichotomie pour la connaissance du droit : éléments d’une démystification », in Droit et société, 2, 1986, p. 139), par ailleurs surtout sociologue du droit, a dénoncé le fait qu’une telle distinction permettrait de manière artificielle à celui qui veut connaître le droit de se trouver « à la fois au balcon et sur la scène »). Dire ce qui est intérieur et ce qui est extérieur serait, de toute manière un acte dogmatique car chacun est à la fois dedans et dehors du système juridique. Toutefois, ce reproche, classique en sciences sociales, ne porte pas nécessairement pour le droit. La distinction entre regard interne et regard externe peut être simplement relativisée au regard de leur proximité substantielle et leur apport à la connaissance du droit (CHEVALLIER, Jacques (2002), « Doctrine juridique et science juridique », Droit et société, 50 – 2002, p. 103). En outre, la dogmatique, comme regard interne est aussi un objet possible de la théorie du droit, car la doctrine alimente le travail de dégagement des notions et de clarification de l’objet « droit ». Inversement, les différentes ontologies du droit qui sont liées aux différentes épistémologies, ont aussi une dimension doctrinale et influencent le travail des interprètes (il n’y a qu’à voir comment la jurisprudence contemporaine utilise les concepts de hiérarchie des normes et de rapports de système pourtant proposés au départ dans un « méta-méta-discours »). Ce glissement (que l'approche herméneutique comprend fort bien) est problématique car cela entraîne une confusion entre le concept contentieux de hiérarchie des normes et le concept théorique du même nom. Les chercheurs finissent ainsi parfois par remettre en cause le principe théorique sur la base d’éléments factuels contentieux alors qu'il ne se situent pas sur le même regsitre... Cette conception de la méthode, si ce n’est scientifique, se veut au moins compréhensive :d'une certaine façon elle revient à distinguer ce qui tente de comprendre (les choix des acteurs, qui sont aussi la production du droit) et d'expliquer (le système du droit). Elle a été étendue par d’autres auteurs. François Ost et Michel van de Kerchove (« De la scène au balcon. D’où vient la science du droit ? », in Normes juridiques et régulation sociale, sous la direction de F. Chazel et J. Commaille, Paris, L.G.D.J., 1991) distinguent les différents types de rôles susceptibles d’être joués par tous ceux qui ont à faire avec le droit : citoyens, juges, auteurs de doctrine et hommes de science, en évoquant la diversité des points de vue susceptibles d’être adoptés. Ainsi, au niveau de la science du droit proprement dite plusieurs points de vue externes existent : - « analytique » : la théorie générale qui analyse les propriétés des ordres juridiques, - « réducteur » ou radicalement externe » : celui des théories du droit qui « ne voient pas » le point de vue interne des acteurs de la vie juridique, notamment le « pourquoi » uploads/S4/ parler-du-droit 1 .pdf

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  • Publié le Mar 29, 2021
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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