CHAPITRE I Les « principes généraux » de l’organisation administrative « Il ser
CHAPITRE I Les « principes généraux » de l’organisation administrative « Il serait souhaitable que l’on ne perdît pas de vue, dans les analyses, les travaux, les discussions juridiques, certains principes assez élémentaires de la théorie générale des défi nitions et des classifi cations ». C. EISENMANN Quelques problèmes de méthodologie des défi nitions et des classifi cations en science juridique, in Écrits de théorie du droit, de droit constitutionnel et d’idées politiques, Textes réunis par C. LEBEN, éd. Panthéon-Assas, 2002, p. 305 « … il convient de ne pas sous-estimer les diffi cultés, théoriques et pratiques, qui s’attachent au travail de clarifi cation des notions à l’œuvre aujourd’hui ». CONSEIL D’ÉTAT Rapport d’étude sur les établissements publics, La Documentation française, 2009, p. 27 2 Traité de droit administratif Dans l’étude que le présent Traité consacre aux « Institutions administratives », un chapitre préliminaire a été réservé à l’examen des principes généraux de l’or- ganisation administrative. Accordons-nous d’emblée sur le statut de cet « objet ». Il ne saurait être ici question — on s’en doutait peut-être un peu, mais mieux vaut le préciser pour prévenir tout malentendu — de décrire un système, une organi- sation. Cette tâche est d’ailleurs précisément distribuée entre les trois chapitres qui vont suivre. De la présentation des principes généraux de l’organisation administra- tive, on attend tout autre chose : l’esquisse d’une sorte de théorie générale. Il s’agit bien d’esquisser plutôt que de faire une théorie générale de l’organisation adminis- trative. Un tel programme dépasserait de toute évidence les limites de l’exercice proposé, et de pareilles entreprises ont été accomplies ailleurs (v. C. Eisenmann, Cours de droit administratif, tome I, LGDJ, Paris, 1982 ; G. Timsit, « Le modèle occidental d’administration », RFAP 1982. 441-480 ; « La science administrative d’hier à demain… et après-demain », RD publ. 1982. 929-1021). Le projet qui s’an- nonce ici est bien plus modeste. Il consiste à revenir sur les moyens intellectuels (notions, catégories et autres procédures de classement) qu’emploie la doctrine des publicistes pour penser — ou ne pas le faire — la question de l’organisation administrative. Comment des institutions aussi nombreuses que variées fi nissent- elles par être considérées comme relevant d’une seule et même identité adminis- trative ? La mise au point de modes de détermination proprement juridiques de cette commune appartenance au monde de l’administration, voilà ce qui constitue en premier lieu la tâche des juristes. Mais celle-ci ne s’arrête pas là ; elle consiste encore à montrer comment s’agencent et s’articulent les différentes composantes du système dont les contours ont été préalablement tracés. L ’affaire est beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît de prime abord. Certes la littérature doctrinale — elle est, il faut le dire, très abondante, car, non seule- ment les manuels de droit administratif contiennent généralement des dévelop- pements substantiels sur l’organisation de l’administration (V. par ex., G. Braibant et B. Stirn, Le droit administratif français, Presses de sciences po et Dalloz, coll. « Amphi », Paris, 2005 ; R. Chapus, Droit administratif général, tome I, 15e éd., Montchrestien, Paris, 2001 ; G. Dupuis, M.-J. Guédon et P. Chrétien, Droit admi- nistratif, Dalloz, Sirey Université, Paris, 2010 ; P.-L. Frier et J. Petit, Précis de droit administratif, Montchrestien, Paris, 2008 ; M. Lombard et G. Dumont, Droit admi- nistratif, Dalloz, coll. « Hypercours », Paris, 201 1) mais il existe par ailleurs nombre d’ouvrages spécialement consacrés à la description des institutions administra- tives (notamment de J.-M. de Forges, Les institutions administratives françaises, PUF, coll. « Droit fondamental », Paris, 1985 ; F. Dreyfus et F. D’Arcy, Les institu- tions politiques et administratives de la France, Économica, Paris, 1997 ; O. Gohin, Institutions administratives, LGDJ, coll. « Manuel », Paris, 2006 ; C. Guettier, Insti- tutions administratives, Dalloz, Cours, Paris, 2005 ; H. Oberdorff, Les institutions administratives, Sirey U, Paris, 2006) — ne cherche pas toujours à faire appa- raître les raisonnements qui ont présidé au choix de telle ou telle présentation de l’« espace » administratif. Reste que cette dernière procède fatalement d’une réfl exion, aussi implicite soit-elle, sur l’identité de ce que l’on désigne du nom 3 Les « principes généraux » de l’organisation administrative d’« administration(s) ». Les efforts doctrinaux accomplis pour neutraliser le sujet, ou le naturaliser, ne parviennent pas à faire oublier cette nécessité méthodolo- gique : décrire les institutions administratives n’est jamais une activité innocente ; la représentation qu’on en donne est toujours le résultat d’un cadrage préalable, si par ce terme on entend tout à la fois des découpages et des montages intel- lectuels. Or, c’est très précisément à partir de ces opérations qui ont informé le regard du juriste qu’il est envisageable de dégager des principes généraux de l’or- ganisation administrative. Problématique. La lecture des traités et des manuels est des plus édifi antes : décrire l’organisation administrative n’est pas une tâche de tout repos. La seule chose qui prend ici forme de certitude, c’est que les auteurs, ne voyant pas la même administration, nous en donnent plusieurs à voir ! Cela, les travaux de C. Eisenmann l’ont établi avec toute la force de leur logique. Il est essentiel de ne pas sous-estimer ces dissensions : en les tenant pour négligeables et sans portée, on se prive d’un accès direct aux modes de constitution de la doctrine juridique. Obligation nous est donc faite de parler des « principes généraux de l’organisation administrative » sur fond de divisions doctrinales : il n’y a tout simplement pas de consensus sur cette question. L ’organisation administrative n’est pas une chose disponible qui pourrait faire l’objet d’une sorte de saisie automatique. Sa descrip- tion n’est concevable qu’au prix d’un travail de reconstruction. Il en résultera des représentations d’autant plus contrastées que les écarts sont parfois grands entre les principes d’organisation que porte l’ordre juridique et les pratiques que la vie politique rend visibles, surtout en période de réforme de l’État. Il devient alors diffi cile pour les juristes de tout ignorer des thèses que la sociologie de l’action publique fait entendre : la réalité de l’organisation administrative ne se découvre pas dans les textes qui l’exposent, elle est indissociable de l’expérience des acteurs et des tensions qu’à travers leurs jeux ils font subir aux institutions (P. Grémion, Le pouvoir périphérique. Bureaucrates et notables dans le système politique français, Seuil, Paris, 1976 ; F. Dupuy et J.-C. Thoenig, Sociologie de l’administration fran- çaise, A. Colin, coll. « U », Paris, 1983 ; F. Dupuy et J.-C., Thoenig, L ’administra- tion en miettes, Fayard, coll. « L ’espace du politique », Paris, 1985). Autant dire les choses ainsi : il faut, pour appréhender les principes de l’organisation administra- tive, réinscrire cette dernière dans la réalité de son fonctionnement (les limites d’une analyse proprement juridique de l’organisation administrative apparaissent clairement dans le débat qu’a publié l’AJDA, en 2010, sous le titre Questions sur l’avenir de l’établissement public [O. Schrameck, « Questions sur l’avenir de l’éta- blissement public. À propos du rapport du Conseil d’État », AJDA 2010. 1238 s.], à la suite de la production par le Conseil d’État d’un Rapport d’étude sur les établis- sements publics [Conseil d’État, Rapport d’étude sur les établissements publics, La Documentation française, Paris, 2009]. V. en particulier les remarques d’O. Schra- meck, op. cit., p. 1245. Il ne suffi t pas que les textes instituent ici la déconcen- tration, là la décentralisation, pour que ces formes d’administration territoriale deviennent du même coup effectives !) 4 Traité de droit administratif Ces observations appellent en priorité à préciser le sens que l’on prête, ici, à la notion même de principe. Cette entreprise s’avère d’autant plus indispensable que le mot est fortement sollicité par les usages juridiques. Mieux vaut l’affi rmer clairement tout de suite : les principes que retiennent les développements à venir n’appartiennent pas en tant que tels à l’univers du droit. Sans lui être étrangers, ils ne relèvent pas de ses catégories propres. Il serait certes parfaitement concevable de décrire notre organisation administrative à partir des seuls principes juridiques qui la régissent. Ces principes, il faudrait évidemment les chercher dans le droit constitutionnel (comment ne pas alors penser, entre autres exemples, à l’affi rma- tion de la libre administration des collectivités territoriales, ou encore au mode de répartition des compétences entre les pouvoirs législatif et réglementaire concer- nant la création des établissements publics ?), mais aussi du côté du droit commu- nautaire (la Charte européenne des libertés locales est dans cet ordre d’idées une référence des plus édifi antes) ou encore dans le fonds historique du droit admi- nistratif national (dans la mesure même où il met à la disposition de l’État tout un lexique lui permettant de faire advenir du « local ». Les textes comme la juris- prudence administrative n’ont-ils pas en effet multiplié les variations sur le thème des « affaires locales » : circonstances locales, libertés locales, intérêt public local, développement local, etc. ?). Mais telle n’est pas la démarche qui commande aux développements du présent chapitre. Un autre mode de uploads/S4/ les-principes-generaux-de-l-x27-organisation-administrative 1 .pdf
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- Publié le Mar 17, 2021
- Catégorie Law / Droit
- Langue French
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