Collection LES ESSAIS DU COLLÈGE INTERNATIONAL DE PHILOSOPHIE dirigée par FRANÇ

Collection LES ESSAIS DU COLLÈGE INTERNATIONAL DE PHILOSOPHIE dirigée par FRANÇOIS JULLJEN Président de l'Assemblée collégiale Paul Ricœur AUTREMENT Lecture d'Autrement qu'être ou au-delà de l'essence d'Emmanuel Levinas PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE ISBN 213 048918 4 Dépôt légal- 1" édition : 1997, octobre © Presses Universitaires de France, 1 997 108, boulevard Saint-Germain, 75006 Paris Sommaire Autrement que ... : le Dire et le Dit Autrement dit : le tiers et la justice 1 2 3 Proximité, responsabilité, substitution Le tiers et la justice Répétition de l'ontologie ? 1 19 19 26 34 AUTREMENT QUE . . . : le Dire et le Dit Cette étude est animée par le vœu de comprendre Levinas selon sa plus grande difficulté. Ce vœu explique le choix quasi exclusif, à titre de guide de ma lecture, de Autrement qu'être ou Au-delà de l'essence. Le pari majeur de ce livre est de lier le destin du rapport à établir entre l'éthique de la responsabilité et l'ontologie au destin du langage de l'une et de l'autre : le Dire du côté de l'éthique, le dit du côté de l'ontologie. Le pari est auda­ cieux dans la mesure où la solidarité de chacune de ces deux disciplines avec sa manière propre de signifier porte au premier plan deux difficultés engendrées par la manière nouvelle de philosopher : difficulté, d'une part, pour l'éthique de s'affranchir de son infatigable confron- 1 AUTREMENT tation avec l'ontologie ; difficulté, d'autre part, à trou­ ver pour l'ex-ception déréglant le régime de l'être, le lan­ gage qui lui convient, son langage propre} le dit de son Dire. Les deux difficultés sont indissociables et se condensent dans le mot, dans l'adverbe : autrement} autre.,. ment que ... Il faut en effet toujours s'arracher par l'autre- ment que ... à cela même dont on entreprend de suspendre, d'interrompre le règne ; mais il faut en même temps ten­ ter de donner une articulation langagière à ce au nom de quoi on est requis et assuré de pouvoir, de devoir, pro­ noncer l'antériorité de l'éthique de la responsabilité par rapport au« train que mène l'être, le train de l'essence » (il vaudrait mieux dire de l'essance, avec un « a », selon la note de la première page du livre). A l'arrière-plan de ces difficultés jumelles, je voudrais faire paraître une difficulté, non formulée comme telle, à savoir le recou­ vrement entre le régime du Dire et l'éthique de la responsabilité. Deux remarques préalables. D'abord le livre n'offre - ne permet- aucune intro­ duction ; on est d'emblée plongé in medias res} comme 2 LE DIRE ET LE DIT chez Hegel niant la possibilité d'une introduction à la philosophie qui ne serait pas déjà la philosophie même, et comme chez Heidegger pour qui l'énonciation de l'oubli de la question de l'être, à la première ligne de la première page de Être et temps, vaut rature de préface. Seconde remarque, solidaire de la première : on ne note aucune progression visible dans l'argument ; les cha­ pitres successifs ne s'ajoutent pas l'un à l'autre ; tout est dit dans ce qui est dénommé Argument (p. 13-42) et, en quelque sorte, répété dans les brèves pages terminales, intitulées de façon particulièrement intéressante, pour nous ici : autrement dit. L'autrement que dit du Dire se cherche- et peut-être se donne- un autrement dit. Entre les deux extrémités se déploie ce que l'auteur dénomme Itinéraire à la fin de l'Argument (p. 3 7) - mot immédiate­ ment commenté par le terme ex-position (qui donne son titre au chap. II) ; ce mot annonce moins une avancée au-delà de l'Argument (qui, en un sens, est complet) qu 'un dé-ploiement, un dépli qui révèle le pli majeur de l'éthique de la responsabilité, à savoir la substitution. « La substitu­ tion, dit l'Argument, comme l'autrement qu'être au fond de la proximité » (p. 37). Dépli, donc, ou creusement, 3 AUTREMENT comme on voudra dire, qui pose au plan du discours, et du fait du discours tenu dans le livre, la question de la thématisa/ion dans une philosophie qui, comme on va le voir, met le thème, la thématique, la thématisation, du côté du dit. Si donc une avancée était possible à l'intérieur d'une telle philosophie, elle consisterait à montrer la déri­ vation du discours de l'ontologie à partir du discours de l'éthique, dérivation plusieurs fois annoncée et effec­ tivement amorcée sous le signe des notions du tiers et de la justice. La place de ces notions par rapport à la substitution et à son l'un-à-l'autre fait à son tour difficulté. Je réser­ verai pour laseconde partie de mon étude cette thématique du tiers et de la justice, que l'on peut appeler une avancée, dans la mesure où elle fait émerger un dit nouveau suscité par le Dire d'autrement que dit- celui-là même que le dernier paragraphe du livre dénomme précisément autrement dit. Entrons donc dans l'Argument, qu'il restera à étoffer dans le dépli des plis de la suite du livre. L'Argument débute franchement par le premier sous­ titre : « L'autre » de l'être (p. 13) ; ce sous-titre dit 4 LE DIRE ET LE DIT tout ou plutôt dédit tout, le tout, la totalité. L'opposi­ tion fondamentale ainsi annoncée vise à dissocier l'au­ trement qu'être de toutes les autres figures de l'autre, dont on va montrer que l'ontologie les inclut, les résorbe, ou, selon une expression fréquente, les « récu­ père ». « L'Esse de l'être domine le ne-pas-être-lui­ même » (p. 14). L'autrement que .. . transcende l'autre qui, en quelque sorte, circule dans les intervalles de négati­ vité de l'être et résorbe la guerre intestine dans la paix de la compensation. Or, on n'en a jamais fini avec ces figures de l'autre, en tant qu'intervalles de néant, qui font de l'être un inter-esse, un intér-essement - qui marque le triomphe, et non la subversion, de l'être. C'est alors, et sans délai, qu'entrent en scène les deux protagonistes du drame constitutif de l'énoncé du livre : le Dire et le dit. Toutes les cartes sont jetées dans le geste d'un seul jet : Dire, verbe Dire, ajointé à « proximité de l'un à l'autre », à « désintéressement », à « responsabilité de l'un pour l'autre », à « substitu­ tion ». La gerbe de ces maîtres mots est nouée en une seule page (p. 17) où, avoue l'auteur, on interroge « en anticipant ». 5 AUTREMENT Mais commençons à déplier. Pourquoi appeler tout de suite « originel » ou même « préoriginel » le Dire) langage présumé de la responsabilité de l'un pour l'autre ? Par rapport à quelle origine, incluse dans le régime ontologique du dit ? Eh bien, par rapport à une corrélation langagière qui annule l'autrement du Dire au bénéfice du dit. Cette corrélation fait du Dire un simple dédoublement interne et finalement une subordination du Dire au dit : « La corrélation du Dire et du dit, c'est-à-dire la substitution du Dire au dit, au système lin­ guistique et à l'ontologie est le prix que demande la manifestation » (p. 17). Arrêtons-nous là : Lévinas signifie ici qu'il n'attend rien d'une distinction entre le Dire et le dit qui resterait corrélative, et ne constituerait pas un arrachement, une substitution, une « réduction » (en un sens non husserlien). Ce jeu, tenu pour interne à l'apophantique adéquate à une philosophie centrée sur l'être, c'est celui que la philosophie analytique du lan­ gage a systématisé dans l'opposition entre une séman­ tique de l'énoncé et une pragmatique de l'énonciation. On reconnaît là le dit et le Dire. C'est précisément cette corrélation que Levinas tient pour non pertinente, philo- 6 LE DIRE ET LE DIT sophiquement parlant. Cette première figure de l'autre ne fait selon lui qu'adjoindre un appendice, une excrois­ sance, à la sémiotique de l'énoncé. Et pourquoi ? Parce que la pente de l' apophansis, c'est la nominalisation, le faire-nom de toutes les ressources de signification du langage . Levinas tire ici argument du fait que la corréla­ tion Dire-dit prend appui, dans le langage, sur la corré­ lation entre le verbe et le nom. Cela, on le sait depuis le Craryle qui fonde l'acte prédicatif sur la polarité nom­ verbe (honoma-rhema). De fait, deux versions modernes de cette structure corrélative confirment le Craryle : en phénoménologie, la paire noèse-noème ; en théorie du langage, l'assignation des verbes aux événements, aux actions, comme on voit chez Davidson dans Événements et Actions. Qu'il s'agisse de la phénoménologie de la noèse ou de la linguistique du verbe, les deux versions de la corrélation entre verbe et nom ouvraient la possibi­ lité d'une pragmatique du Dire qui, en première approximation, pourrait justifier la dialectique du Dire et du dit. Mais, pour Levinas, il ne peut s'agir que d'une corrélation qui annule l'altérité, comme il essaie de le démontrer avec l'analyse de l'opération prédicative qu'il 7 AUTREMENT tient pour une identification partielle du prédicat au sujet ; identification partielle, dans la mesure où dire « A est B », ce n'est uploads/S4/ paul-ricoeur-autrement-lecture-d-x27-autrement-qu-x27-etre-1998.pdf

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  • Publié le Fev 18, 2021
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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