Les grandes décisions de la jurisprudence française de droit international publ

Les grandes décisions de la jurisprudence française de droit international public 2015 Sous la direction de Alain Pellet Professeur émérite de l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense, ancien membre et ancien président de la CDI, ancien directeur du CEDIN Alina Miron Docteure en droit, chercheuse au CEDIN 54 CONSEIL D’ÉTAT Acte de gouvernement – Conflit de normes conventionnelles – Contrôle de constitutionnalité des normes conventionnelles – Contrôle de conventionnalité – Effet direct – Interprétation conciliatrice – Protection diplomatique – Rapports interconventionnels CE ass., 23 déc. 2011, no 303678, Kandyrine de Brito Paiva (Lebon 623, avec concl. J. Boucher ; Lettre « Actualités Droits-Libertés » du CREDOF, 30 déc. 2011, comm. S. Slama ; RFDA 2012. 1, concl. J. Boucher, p. 19 avis d’amicus curiae (G. Guillaume) et note D. Alland ; JCP E 2012-5, p. 50, note P. Derouin ; AJDA 2012. 201, chron. X. Domino et A. Bretonneau ; Dr. adm. 2012-6, p. 9, note M. Gautier ; RGDIP 2012-1, p. 210, note J. Matringe ; AJIL, vol. 106, 2012, p. 353, note E. Bjorge ; JCP 2012-24, p. 1187, chron. Gweltaz ; JCP 2013-11, p. 568, chron. M. Bertrand et al. ; Constitutions 2012. 295, note A. Levade ; Gaz. Pal. 2012, no 71-73, p. 17, note B. Seiller) ARRÊT Considérant que, lorsque le juge administratif est saisi d’un recours dirigé contre un acte portant publication d’un traité ou d’un accord international, il ne lui appar- tient pas de se prononcer sur la validité de ce traité ou de cet accord au regard d’autres engagements internationaux souscrits par la France ; qu’en revanche, sous réserve des cas où serait en cause l’ordre juridique intégré que constitue l’Union européenne, peut être utilement invoqué, à l’appui de conclusions dirigées contre une décision administrative qui fait application des stipulations incondition- nelles d’un traité ou d’un accord international, un moyen tiré de l’incompatibilité des stipulations, dont il a été fait application par la décision en cause, avec celles d’un autre traité ou accord international ; qu’il incombe dans ce cas au juge admi- nistratif, après avoir vérifié que les stipulations de cet autre traité ou accord sont entrées en vigueur dans l’ordre juridique interne et sont invocables devant lui, de définir, conformément aux principes du droit coutumier relatifs à la combinaison entre elles des conventions internationales, les modalités d’application respectives des normes internationales en débat conformément à leurs stipulations, de manière à assurer leur conciliation, en les interprétant, le cas échéant, au regard des règles et principes à valeur constitutionnelle et des principes d’ordre public ; que dans l’hypothèse où, au terme de cet examen, il n’apparaît possible ni d’assu- rer la conciliation de ces stipulations entre elles, ni de déterminer lesquelles doivent dans le cas d’espèce être écartées, il appartient au juge administratif de faire application de la norme internationale dans le champ de laquelle la décision admi- 653 54 23 DÉC. 2011, KANDYRINE DE BRITO PAIVA nistrative contestée a entendu se placer et pour l’application de laquelle cette déci- sion a été prise et d’écarter, en conséquence, le moyen tiré de son incompatibilité avec l’autre norme internationale invoquée, sans préjudice des conséquences qui pourraient en être tirées en matière d’engagement de la responsabilité de l’État tant dans l’ordre international que dans l’ordre interne ; Considérant qu’il résulte de ce qui précède qu’en écartant le moyen tiré de la contrariété avec la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales de la condition de nationalité prévue par le décret du 3 juillet 1998 en application de l’accord du 27 mai 1997 présenté devant elle par M. A, au seul motif qu’il n’appartient pas au juge administratif de se prononcer sur la validité des stipulations d’un engagement international au regard d’autres engagements internationaux souscrits par la France, sans rechercher, après s’être assuré que cette convention était entrée en vigueur dans l’ordre juridique interne et était invocable devant lui, s’il était possible de regarder comme conciliables les stipulations de cette convention et celles de l’accord susmentionné du 27 mai 1997, la cour administrative d’appel de Paris a commis une erreur de droit ; que, par suite, son arrêt du 18 octobre 2006 doit être annulé, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi ; (…) Sur le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l’accord du 27 mai 1997 par les dispositions de l’article 73 de la loi du 2 juillet 1998 et celles de l’article 6 du décret du 3 juillet 1998 : Considérant d’une part, qu’il résulte des dispositions précédemment citées de la loi du 2 juillet 1998, éclairées par les débats parlementaires, dont l’article 6 du décret du 3 juillet 1998 a fait une juste application, que s’agissant des titres relevant du § A de l’article 1er de l’accord du 27 mai 1997 signé entre la France et la Russie, auquel la loi renvoie, seuls les ressortissants de nationalité française peuvent déposer leurs titres à fin de recensement ; que, d’autre part, l’accord du 27 mai 1997 tend à permettre le règlement définitif des créances réciproques, financières et réelles, apparues antérieurement au 9 mai 1945 entre la France et la Russie ; que l’article 1er de cet accord réserve la possibilité d’enregistrement des créances aux personnes disposant de la nationalité française ; qu’il résulte tant de l’objet que des termes des stipulations de l’accord conclu entre la France et la Russie que ce dernier a entendu apurer un contentieux financier entre ces deux États, le règlement des litiges liés aux créances entre les particuliers et chacun de ces États demeurant exclusivement de la compétence nationale ; qu’ainsi ces stipulations ne produisent pas d’effet direct à l’égard des particuliers ; que le requé- rant ne peut par conséquent utilement invoquer, à l’appui de ses conclusions ten- dant à l’annulation de la décision administrative contestée, un moyen tiré de la méconnaissance par la loi du 2 juillet 1998 et le décret du 3 juillet 1998 des stipula- tions de l’accord du 27 mai 1997 signé entre la France et la Russie ; Sur le moyen tiré de la méconnaissance de la convention européenne de sauve- garde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : Considérant que M. A soutient que les dispositions précitées de la loi du 2 juillet 1998 portant diverses dispositions d’ordre économique et financier, ainsi que celles du décret du 3 juillet 1998 qui subordonnent l’enregistrement des cré- ances des porteurs de valeurs mobilières à la justification de leur nationalité fran- çaise lors de cet enregistrement sont incompatibles avec les stipulations de l’article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de l’article 1er du premier protocole additionnel à cette convention, en ce qu’elles instaurent une discrimination fondée sur la nationa- lité ; Considérant qu’aux termes de l’article 1er du premier protocole additionnel à cette convention : "Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. 654 GRANDES DÉCISIONS FRANÇAISES DE DROIT INTERNATIONAL 54 Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes’ ; qu’aux termes de l’article 14 de cette convention : "La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité natio- nale, la fortune, la naissance ou toute autre situation’ ; Considérant que les dispositions critiquées prévoient les modalités d’indemnisa- tion des porteurs de titres russes au titre de l’accord du 27 mai 1997 ; que, ainsi qu’il a été dit, M. A est propriétaire de titres entrant dans le champ de l’indemnisa- tion prévue ; que, dès lors, le requérant peut se prévaloir d’un droit patrimonial, qui doit être regardé comme un bien au sens des stipulations précitées de l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et peut demander au juge d’écar- ter l’application des dispositions de l’article 73 de la loi du 2 juillet 1998 et de l’article 6 du décret du 3 juillet 1998 en invoquant leur incompatibilité avec les stipulations de l’article 14 de la convention ; Considérant qu’une distinction entre des personnes placées dans une situation analogue ne peut être regardée comme discriminatoire, au sens de ces stipula- tions, que si elle n’est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c’est-à-dire si elle ne poursuit pas un objectif d’utilité publique, ou si elle n’est pas fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec les buts de la disposi- uploads/S4/ pellet-2015-kandyrine-brito-paiva-pdf.pdf

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  • Publié le Jan 02, 2022
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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