PEUT ON ET FAUT IL RENONCER AUX THEORIES DE L'EMPRISE ET DE LA VOIE DE FAIT ? L
PEUT ON ET FAUT IL RENONCER AUX THEORIES DE L'EMPRISE ET DE LA VOIE DE FAIT ? Les théories jurisprudentielles de la voie de fait et de l’emprise sont nées dans le contexte de séparation des autorités administratives et judiciaires, de la nécessité, en présence de comportements inaccessibles et illicites de l’administration, de pouvoir utiliser les pouvoirs coercitifs et pléniers du juge judiciaire. Avec des nuances entre les deux notions et leurs régimes juridiques, il s’agit donc de théories attributives de compétence à la juridiction judiciaire par exception aux règles de la séparation des deux ordres de juridiction. Après un très grand nombre d’applications et d’égarements judiciaires, le Tribunal de Conflit va recentrer les deux notions en 2013. Consigne méthodologique : la dissertation pose deux questions différentes. Le mot « peut-on » renvoie à l’origine jurisprudentielle de ces deux notions, une question étroitement liée au rôle créateur du juge ; le mot « faut-il » porte sur l’utilité et la pertinence de ces deux théories. Il est à souligner que le développement historique commun de ces deux théories, leurs fondements juridiques partagés et le chevauchement des objets – rend inséparable leur examen. I – Les théories de la voie de fait et de l’emprise irrégulière : une réaction jurisprudentielle face aux agissements illicites de l’administration Chapeau A. Les origines jurisprudentielles de la théorie de la voie de fait et de l’emprise irrégulière protectrice des administrés Voie de fait : -TC, 8 avril 1935, Action Française par cette décision, le TC avait consacré la théorie de la voie de fait en donnant deux catégories : a) Manque de droit : lorsque l’administration porte atteinte grave à une liberté fondamentale ou au droit de propriété qui est manifestement insusceptible d’être rattachée a un pouvoir appartenant à l’administration. b) Manque de procédure : exécution forcée irrégulière d’une décision, même régulière. -TC, 23 octobre 2000, Préfet de Police c. Boussadar Le TC juge que la loi du 30 juin 2000 relative aux procédures d’urgence devants les juridictions administratives ne conduit pas à l’abandon de la théorie de la voie de fait. Il rappelle qu’il n’y a voie de fait justifiant, par exception au principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires, la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire que dans les cas mentionnés dans la décision du 8 avril 1935, Action Française Emprise Irrégulière : -TC, 17 mars 1949, Sté Hôtel du Vieux Beffroi Le Tribunal des conflits juge que les juridictions administratives sont compétentes pour se prononcer sur la régularité d’une emprise mais que la compétence pour réparer les préjudices résultant d’une emprise irrégulière revient aux juridictions judiciaires. Le juge judiciaire doit donc, en cas de difficulté sérieuse, surseoir à statuer et renvoyer les parties à faire trancher la question de la régularité de la décision administrative à l’origine de l’emprise. Dans le cas de la voie de fait, le juge judiciaire a une plénitude de compétences alors que dans le cas de l’emprise irrégulière, son intervention est limitée à l’indemnisation. B. Le recentrage « parallèle » des deux théories les restreignant aux violations les plus graves TC, 17 juin 2013, M. Bergoend c. Société ERDF Annecy Leman (voie de fait) Par cette décision, le Tribunal des conflits a redéfini la notion de voie de fait. Désormais, il n’y a voie de fait de la part de l’administration que dans deux hypothèses : lorsqu’elle a procédé à l’exécution forcée, dans des conditions irrégulières, d’une décision même régulière, portant atteinte à la liberté individuelle ou aboutissant à l’extinction d’un droit de propriété ; et lorsqu’elle a pris une décision qui a les mêmes effets d’atteinte à la liberté individuelle ou d’extinction d’un droit de propriété et qui est manifestement insusceptible d’être rattachée à un pouvoir appartenant à l’autorité administrative. Seuls ces cas justifient, par exception au principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire pour ordonner la cessation ou la réparation des atteintes subies. TC, 9 décembre 2013, Epoux Panizzon c. Commune de Saint-Palet-sur-Mer (emprise irrégulière) Cette décision est consécutive à la décision M. Bergoend c. Société ERDF Annecy Léman du 17 juin 2013 où le tribunal des conflits avait redéfini la théorie de la voie de fait en conditionnant celle-ci à l'extinction d'un droit de propriété et non plus à une atteinte à un droit de propriété entraînant de facto la suppression de la théorie de l'emprise irrégulière, le juge judiciaire n'étant dorénavant compétent pour se prononcer sur l'indemnisation qu'en cas de dépossession définitive (ce qui n'est pas le cas dans la théorie de l'emprise irrégulière). Le TC s’aligne sur les exigences constitutionnelles telles qu’elles sont interprétées par le CC concernant les prérogatives du juge judiciaire en tant que gardien naturel des libertés individuelles (voir parmi d’autres, CC, déc. n° 86-216 DC du 03 septembre 1986, loi relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France). Il réduit donc les cas d'emprise irrégulière et de voie de fait aux cas de violations les plus graves, tels que cela ressort de son interprétation de la Constitution. II – L’ (in)utilité manifeste de la théorie de la voie de fait et de l’emprise à la lumière de l’état actuel du droit positif Chapeau A. Les nouvelles attributions du juge administratif favorables à l'abandon de ces théories L’introduction du pouvoir d’injonction du juge administratif par la loi n° 95-125 du 8 février 1995 L’impact de la loi n° 2000-597 du 30 juin 2000 (création du juge des référés) art. 521-2 CJA CE, ord., 23 janvier 2013, Commune de Chirongui La juridiction administrative semble donc aujourd'hui recueillir toutes les caractéristiques d'indépendance et d'impartialité exigées même pour les violations les plus graves. Cela rend les théories de voies de fait et d'emprise dérisoires. B. Une évolution compatible aux exigences de la Constitution En exprimant sa volonté de garder une certaine maîtrise des règles régissant la répartition des compétences entre le juge administratif et le juge judiciaire, le TC procède à une simplification du contentieux pour éviter le ballottement des parties d’un prétoire à l’autre tout en respectant les exigences de l’article 66 de la Constitution. Voir aussi CC, déc. n° 88-256 DC du 25 juillet 1989, Urbanisme et agglomérations nouvelles sur le rôle du juge judiciaire en matière de protection de la propriété immobilière. Si l'évolution actuelle est respectueuse de la Constitution, une évolution favorable à l'abandon des théories ne semble pouvoir être effectuée que par révision de la Constitution. uploads/S4/ peut-on-et-faut-il-renoncer-aux-theories-de-l-x27-emprise-et-de-la-voie-de-fait.pdf
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- Publié le Nov 21, 2022
- Catégorie Law / Droit
- Langue French
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