RTD Civ. 1998 p. 1006 Les « Principes du droit européen du contrat » : une lex
RTD Civ. 1998 p. 1006 Les « Principes du droit européen du contrat » : une lex mercatoria à la mode européenne Jacques Raynard, Professeur à l'Université de Montpellier ; Directeur de l'Ecole du droit de l'entreprise (Montpellier) La récente diffusion, en langue française, des Principes du droit européen du contrat devrait assurer un large succès, médiatique au moins, à ce corps de règles (Doc. fr. Paris, 1997). Ces principes sont le fruit d'un travail mené pendant onze ans par la Commission pour le droit européen des contrats, présidée par le professeur Ole Lando et composée d'universitaires des différents Etats membres. Ainsi donc la Commission des Communautés européennes, à la tête du parrainage de cette réalisation, marque son inclination pour la mode toute contemporaine de principes, plus incitatifs que normatifs, sorte d'esperanto du droit des contrats mais dont l'autorité reste limitée au magistère de leurs auteurs (comp. la publication par Unidroit en mai 1994 des Principes relatifs aux contrats du commerce international, cf. C. Kesseddjian, Rev. crit. DIP 1995.641). Les origines du phénomène sont multiples. L'insuffisance de la méthode conflictuelle de droit international privé est classiquement mise en avant pour justifier l'appel à la rescousse du droit matériel : ainsi les principes européen invoquent le « besoin d'une infrastructure communautaire au droit du contrat » susceptible de permettre, au-delà des directives spécifiques prises pour tel ou tel secteur, la promotion du commerce transfrontalier et le renforcement du marché unique (Principes, p. 15). Reflet du « fonds commun des systèmes européens » (Principes, p. 18), et « passerelle entre le système romaniste et la common law » (Principes, p. 16) ces règles se proposent de réconcilier les divergences des législations nationales. Imprégnés d'une forte méthodologie de droit comparé (chaque article est suivi de commentaires et de notes restituant sur la question traitée, l'état des législations de chaque Etat membre mais aussi des Restatements américains ou des principales conventions internationales) les Principes renouent avec le grand mythe d'Edouard Lambert qui observait dans la discipline qu'il initiait le moyen d'accéder au droit commun législatif, reflet de la règle juridique universelle, en tout cas européenne au cas présent (E. Lambert, La fonction du droit civil comparé. Etudes de droit commun législatif, 1re série, LGDJ, 1903). Le résultat tient pourtant davantage du compromis que de la synthèse annoncée (en ce sens, V. Ch. Jamin, Un droit européen des contrats, in Le droit privé européen, colloque Reims, 30 janv. 1997, spéc. p. 54, éd. Economica, 1998). La lecture du texte proposé révèle encore l'influence déterminante de la Convention de Vienne relative à la vente internationale de marchandises sur le travail de la Commission Lando, le fort magistère de cet instrument du commerce international sur le droit européen des contrats ayant déjà été observé à l'étude de la proposition de directive sur la vente et les garanties des biens de consommation (RTD civ. 1997.1020 et s. ). Le développement contemporain de telles règles, à l'autorité toute virtuelle, doit aussi, sans doute, à l'acculturation progressive de la notion de lex mercatoria, au moins dans la jurisprudence française (V. Civ. 1re, 22 oct. 1991, Cie Valenciana, Rev.crit. DIP 1992.113, B. Oppetit), et à la prise de conscience concomitante de la consistance parfois vaporeuse de cette référence : ainsi les Principes se revendiquent « formulation moderne de la lex mercatoria ». Concrètement, ceux-ci ont vocation à jouer sans doute lorsque les parties y auront fait référence, en tant que corps de règles directement applicables, mais aussi « lorsque les parties sont convenues que le contrat serait régi par les principes généraux du droit, la lex mercatoria, ou une expression similaire » ; enfin lorsque les parties n'ont pas choisi de système juridique applicable à leur contrat, indice encore couramment privilégié par les arbitres du commerce international pour justifier le recours à la lex mercatoria (art. 1.101). Si les Principes ont donc vocation à gouverner les contrats internationaux (où l'on voit que l'enjeu n'est plus seulement européen), leur influence sur le droit des contrats internes est tout autant affirmée. En effet, la visée des rédacteurs de ce texte est double : élaborer un 1 corps de règles immédiatement à la disposition des parties contractantes, tout comme des tribunaux judiciaires ou arbitraux ; à plus long terme, inspirer les législateurs nationaux, spécialement ceux des démocraties de l'Europe centrale. Aujourd'hui limités aux questions tenant à l'exécution, l'inexécution du contrat et ses suites, les Principes se présentent comme les prémices du futur code européen des obligations, prôné par les autorités européennes (V. Résolution du Parlement, 26 mai 1989, JOCE C 158/401, 26 juin 1989, demande réitérée le 6 mai 1994, JOCE C 205/518, 25 juill. 1994). Cette ambivalence du texte proposé repose alors sur le postulat implicite, et très discutable, d'une identité de nature des rapports contractuels internes et internationaux (V. infra). L'un des traits originaux de ce droit potentiel des contrats tient à la très large utilisation de standards, souvent d'origine anglo-saxonne, qui apportent leur lot de souplesse et d'insécurité. Ainsi du principe omniprésent suivant lequel les parties doivent adopter une attitude raisonnable. Les Principes réfèrent notamment à ce standard pour résoudre la question récurrente de l'exigence de déterminabilité du prix. Pour l'essentiel ceux-ci posent en règle la validité du contrat dont le prix ne serait pas fixé par les parties, celles ci étant alors « censées être convenues d'un prix raisonnable » (art. 2.101) ; la possibilité pour un seul des partenaires de fixer le prix, également admise par les Principes, trouve encore sa limite dans le standard du raisonnable (art. 2.102) ; enfin lorsque le prix aura été déterminé par un tiers, désigné à cette fin, une décision déraisonnable de celui-ci ouvre au juge un - redoutable - pouvoir de révision (art. 2.103). Les solutions proposées ne sont au final pas si éloignées de celles posées par la jurisprudence française en référant au critère de l'abus (sur l'octroi à l'une des parties du pouvoir de fixer le montant du prix, par la jurisprudence du 1er décembre 1995, V. L. Aynès, D. 1996.13 ; adde Th. Revet, RTD com. 1997.40 ). Alors même que la caractérisation de l'abus fait problème (V. Ch. Jamin, RTD com. 1997.19 et s. ) les Principes offrent d'intéressantes « pistes » de solutions pour répondre au « manque de cohérence » de la jurisprudence de l'Assemblée plénière (V. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Précis Dalloz, Les Obligations, 6e éd. 1996, n° 279-2), laquelle reste muette, notamment, sur la validité du contrat dénué de prix et le rôle du juge en pareil cas. D'autres standards sont encore directement sollicités. Ainsi du principe de bonne foi, bonne à tout faire de la lex mercatoria (V. F. Osman, Les principes généraux de la lex mercatoria, LGDJ, 1992, p. 35 et s.) dont l'application à l'exécution du contrat est somme toute traditionnelle (V. art. 1.107 des Principes, posant une obligation de coopération inter partes, ou l'art. 4.504, concernant le devoir du créancier de modérer le dommage qu'il peut être amené à subir « en prenant des mesures raisonnables », règle également présente dans la Convention de Vienne, art. 77, les Principes d'Unidroit, art. 4-1, ou la convention dite d'Ottawa du 29 mai 1988 sur le crédit bail international, art. 13-5). La référence à la bonne foi comme règle d'interprétation des Principes (art. 1-104) est de prime abord plus « insolite », mais reproduit là encore directement la méthode d'interprétation de la Convention de Vienne (V. art. 7, § 1er, adde sur ce qualificatif, B. Audit, La vente internationale des marchandises, LGDJ, 1990, p. 49) ; concrètement cette référence devrait amener l'interprète à considérer les règles posées avec souplesse. La faveur pour le contrat, encore présente au coeur des Principes Unidroit (V. art. 3-3 et 7-3-1), s'exprime à travers les Principes européens : tout comme dans la Convention de Vienne, la résolution ne pourra être demandée qu'en présence d'une « inexécution essentielle » (art. 4.301), celle-ci étant celle qui « prive substantiellement le créancier de ce qu'il était en droit d'attendre » (art. 3.103). Le degré d'abstraction des règles jusqu'alors évoquées ne surprendra pas le lecteur. La dialectique qu'entretiennent règles concrètes et principes généraux paraît en effet dépendre du degré de sophistication et d'ancienneté du système juridique considéré. Ainsi en droit civil, les principes tendent à apparaître comme la synthèse de règles précises qui en sont autant d'applications ; le principe intervient alors a posteriori comme pour justifier la règle : ainsi de l'exceptio non adimpleti contractus ou de la théorie de l'enrichissement sans cause (V. R. Rodière, Les principes généraux du droit privé français, RID comp. 1985.309 et s.). Leur énoncé participe d'une « opération d'extraction, puisant dans les fonds et les tréfonds du système juridique les règles qui informent l'ensemble de l'édifice » (D. Simon, Y a-t-il des principes généraux du droit communautaire ?, Droits, n° 14, 1991.73). En revanche, s'agissant d'un système juridique moins achevé, sinon même balbutiant, le principe apparaît en premier, il précède la règle concrète qui lui est conséquente (V. H. Battifol, Problèmes de 2 uploads/S4/ principe-droit-europeen-des-contrats 1 .pdf
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- Publié le Jan 13, 2021
- Catégorie Law / Droit
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