24 R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • A O Û T - S E P T E

24 R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • A O Û T - S E P T E M B R E 2 0 1 0 • N 0 6 3 Informatique I Médias I Communication (1) TGI, Paris, 3e ch., 4e sect., 6 mai 2010, n° 09/01554. (2) TGI Bordeaux, réf., 17 déc. 2007, n° 07/02557. (3) TGI Paris, 3e ch., 4e sect., 6 mai 2010, précité. (4) TGI Paris, 3e ch., 4e sect., 6 mai 2010, précité. Par Frank VALENTIN Avocat au Barreau de Paris Cabinet de Gaulle Fleurance & Associés Par Xavier PRÈS Avocat au Barreau de Paris Cabinet de Gaulle Fleurance & Associés 2065 R L D I La protection des jeux de société par le droit d’auteur À l’heure de la libéralisation des jeux de paris sur internet et du développement des consoles de jeux en ligne multifonctions, l’analyse d’une décision récente du Tribunal de grande instance de Paris – le 6 mai 2010 (1) –, rappelant qu’un jeu de plateau peut donner prise au droit d’auteur, autorise un tour d’horizon des principes de protection par la propriété artistique de ces jeux de société qui, bien que surannés, n’en sont pas moins dignes. Le caractère artisanal et parfois simpliste des jeux de société par rapport à la « jeune génération » des jeux vidéo les éloigne un peu de l’actualité, y compris juridique. Pourtant, leur mérite doit demeurer indifférent. TGI Paris, 3e ch., 4e sect., 6 mai 2010, n° 09/01554 L e litige à l’origine de cette décision concerne le jeu « Jungle Speed », créé par les auteurs Thomas Vuarchex et Pierric Yakovenko (alias « Tom & Yako »), édité et distribué par la société Asmodée éditions. Après avoir découvert l’existence d’un jeu quasi identique commercialisé sous le nom « Jungle Jam », les auteurs, ainsi que l’éditeur volontairement intervenu à l’instance, ont agi en contrefaçon en utilisant classiquement les outils procéduraux à leur disposition en matière de droit d’auteur. Ils ont ainsi d’abord agi en référé puis au fond, après avoir fait procéder à une saisie-contrefaçon dans un magasin de jouets et à un constat d’huissier sur internet (2). Saisi au fond, le Tribunal s’est prononcé, tout d’abord, sur le caractère protégeable du jeu « Jungle Speed » avant de déter- miner l’existence d’une contrefaçon. Il a en l’occurrence décidé que le jeu de société « Jungle Speed » constitue effectivement une création de forme originale bénéfi ciant par conséquent de la protection au titre du droit d’auteur. Selon le Tribunal, « le jeu Jungle Speed résulte d’un effort créatif de Thomas Vuarchex et Pierric Yakovenko et que ceux-ci sont bien fondés à se prévaloir de droits de propriété intellectuelle (3) ». Ceci posé, les juges parisiens se sont logiquement pronon- cés sur l’existence d’une contrefaçon. Pour ce faire, ils ont fait application du principe général du droit d’auteur selon lequel la contrefaçon s’apprécie en fonction des ressemblances et non des dissemblances. La règle signifi e que la contrefaçon existe en dépit des éventuelles différences dès lors que les ressemblances portent sur un ou plusieurs éléments caracté- ristiques. Le Tribunal de grande instance de Paris a considéré en l’espèce que « les éléments caractéristiques du jeu Jungle Speed sont présents dans le jeu Jungle Jam » pour en conclure logiquement « qu’il y a lieu d’admettre que le jeu Jungle Jam est une contrefaçon du jeu Jungle Speed (4) ». La décision pourrait donc être assez classique. En réa- lité, derrière cette apparente banalité se cache une décision véritablement originale en ce qu’elle reconnaît, enfi n et sans ambiguïté, que les jeux de société sont protégeables au titre du droit d’auteur comme toute autre création de l’esprit (I). Tel n’était pas nécessairement le cas jusqu’à présent (II). I. – LE PARADOXE DES JEUX DE SOCIÉTÉ OU L’ABSENCE DE PROTECTION PAR LE DROIT D’AUTEUR MALGRÉ LEUR APTITUDE À UNE PLURALITÉ DE PROTECTION Les jeux de société sont au cœur d’un paradoxe : souvent traités avec mépris ou condescendance, ils n’en jouent pas moins un rôle essentiel. Sur le plan pédagogique, social et psychologique, ils occupent une place importante dans le développement et la construction de la personnalité, spé- cialement de l’enfant. Économiquement, ils représentent Informatique I Médias I Communication N 0 6 3 • A O Û T - S E P T E M B R E 2 0 1 0 • R E V U E L A M Y D R O I T D E L ’ I M M A T É R I E L 25 CRÉATIONS IMMATÉRIELLES ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE > (5) L’ensemble du seul marché français des jeux et jouets (hors jeux vidéo) représentait en 2009 2,95 milliards d’euros (<www.lefi garo.fr/fl ash-actu/2010/01/25/01011-20100125FILWWW00511- jeu-et-jouet-le-marche-en-progression.php>). Le Monopoly s’est par exemple vendu à plus de 250 millions d’exemplaires dans le monde depuis 1935 sous plus de 200 éditions différentes selon <lejournaldunet.com> (<www.journaldunet.com/economie/services/classement/les-plus-gros-fabricants-mondiaux-de-jouets/5e-hasbro-4-milliards-d-euros-de-chiffre-d-affaires.shtml>). (6) TGI Paris, 3e ch., 4e sect., 6 mai 2010, précité. (7) Précité. (8) Voir toutefois Gautier P.-Y., Propriété littéraire et artistique, PUF, 5e éd., 2004, spéc. n° 75 ; Bruguière J.-M.,, Droit et jeux : le double jeu, Dalloz, 2000, n° 30. (9) Voir toutefois, Cass. com., 27 avr. 1989, n° 86-42566 (protection du « Rubik’s cube ») ; contra, Cass. 1re civ., 6 oct. 1981, Bull. civ. I, n° 273 ; la Cour ayant considéré qu’un contrat de licence sur un jeu télévisé, non protégeable, était dépourvu de cause. (10) CA Amiens, 9 juill. 1984 cité par Edelman B., in La protection des jeux télévisés, D. 1999, p. 417. ces derniers. Aussi ne peut-on qu’inviter les auteurs ou leurs ayants droit à être les plus précis et exhaustifs possible quant aux éléments dont ils souhaitent se ménager la preuve. Et l’on verra en l’occurrence l’importance de la distinction entre « le jeu » et « ses composantes » dans la décision du Tribunal de grande instance de Paris du 6 mai 2010. Auparavant, il convient de noter que malgré leur aptitude à mettre en jeu l’ensemble des règles de la propriété intellec- tuelle, spécialement le droit d’auteur, les jeux de société sont largement ignorés par ce même droit d’auteur. B. – Indifférence du droit d’auteur à la protection des jeux de société Cette indifférence existe dans la doctrine, la loi, la juris- prudence et… parmi les services fi scaux. 1°/ Discrétion de la doctrine Ainsi la doctrine sur les jeux de société est-elle relative- ment discrète alors qu’elle est beaucoup plus abondante sur les jeux télévisés, vidéo ou, plus récemment, sur les jeux de paris en ligne (8). 2°/ Silence de la loi Le Code de la propriété intellectuelle ne fait de son côté nulle référence aux jeux de société. La loi sur le droit d’auteur les ignore superbement : l’article L. 112-2 du Code de la propriété intellectuelle qui cite pourtant à titre d’exemple près d’une quinzaine d’œuvres protégeables par le droit d’auteur ne comporte strictement aucune mention des jeux de société. 3°/ Hésitations de la jurisprudence Cette ignorance des jeux de société existe enfi n et sur- tout en jurisprudence. Plus que d’une ignorance, c’est d’un véritable ostracisme dont il s’agit (9). Les juges ont en effet, pendant très longtemps et jusqu’à très récemment, été très réticents à reconnaître aux jeux de société le statut d’œuvre de l’esprit pouvant à ce titre accéder à la protection par le droit d’auteur. La jurisprudence a longtemps oscillé entre deux tendances, conduisant toutes deux à un refus de protection au titre du droit d’auteur. Un premier courant jurisprudentiel refusait ainsi la protec- tion des jeux de société à raison de l’absence d’originalité de la règle de jeu. Celle-ci était en effet assimilée quasi systéma- tiquement à une idée, à ce titre insusceptible d’être protégée. Ainsi a-t-il été jugé par la Cour d’appel d’Amiens que « le fait de composer un portrait avec des parties de visage de plusieurs personnages pour en faire un jeu n’a pas d’originalité par elle-même, qu’elle procède de la technique du portrait-robot, qui est dans le domaine public et qu’il est banal de penser à l’utiliser comme un jeu (10) ». une part non négligeable du marché des jeux et jouets (5). Juridiquement, les jeux de société sont largement ignorés (B) alors qu’ils relèvent pourtant de l’ensemble des règles de la propriété intellectuelle (A). A. – Pluralité de protection des jeux de société Le litige ayant donné lieu à la décision du Tribunal de grande instance de Paris du 6 mai 2010 était limité à la seule question du droit d’auteur. Les jeux de société sont toutefois susceptibles d’être pro- tégés, au-delà du droit d’auteur, à plusieurs titres, et ce sur le seul terrain du droit de la propriété intellectuelle : (i) par le droit des marques (protection du nom sous lequel ils sont commercialisés), (ii) par le droit des dessins et modèles (protection de leur apparence, de leur aspect extérieur), et uploads/S4/ protection-des-jds-par-le-droit-d-auteur.pdf

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  • Publié le Dec 22, 2022
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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