Tracés. Revue de Sciences humaines #09/2009 Hors-série 2009. À quoi servent les
Tracés. Revue de Sciences humaines #09/2009 Hors-série 2009. À quoi servent les sciences humaines (I) Mémoires, justice et sciences sociales Quand les sciences sociales se font expertes : le cas de la justice administrative Johann Morri p. 87-98 https://doi.org/10.4000/traces.4371 Résumés Français English Le recours aux sciences sociales pour comprendre les causes de l’explosion du contentieux administratif en France est un phénomène récent. Les premiers trav aux de sociologie du contentieux administratif ont permis de mettre en év idence la spécificité du contentieux administratif par rapport au contentieux civ il et la nécessité de distinguer, au sein du contentieux administratif, des dy namiques très différentes selon les ty pes de contentieux. Malgré les limites auxquelles elle se heurte, le dév eloppement de la sociologie du contentieux administratif ouv re de nouv elles et intéressantes perspectiv es. Using social sciences to understand the reasons for the dramatic increase in administrativ e litigation is a recent phenomenon. Recent studies hav e underscored the unique nature of administrativ e law litigation, as compared to civ il law litigation, and stressed the importance of distinguishing between the v ery different dy namics which can be observ ed in each category of litigation. Although it may encounter hurdles, the use of legal sociology to understand administrativ e litigation offers new and interesting possibilities. Entrées d'index Mots clés : sociologie du droit, droit administratif, contentieux administratif, usages sociaux de la justice Keywords : legal sociology , administrativ e law, administrativ e law litigation, social uses of justice QpenEdition \ I Journals O Texte intégral Hier : la justice administrative avant les sciences sociales L’explosion du contentieux administratif Dans le champ de la justice administrative, l’idée de faire appel aux sciences sociales est apparue dans un contexte particulier : un mouvement important d’augmentation du contentieux, dont on a essayé de traiter les conséquences pendant des dizaines d’années, et pour lequel l’analyse des causes était, jusque-là, très rudimentaire. 1 L’histoire du contentieux administratif au cours des quarante dernières années est avant tout celle d’une augmentation continue du nombre d’affaires portées devant les tribunaux, qui a entraîné des transformations profondes de la justice administrative. 2 Le terme d’« explosion » du contentieux est souvent utilisé par les acteurs de la justice administrative eux-mêmes (encore récemment par le vice-président du Conseil d’État dans un entretien donné à une revue spécialisée), et il ne semble pas trop fort pour désigner la très forte augmentation de la « demande » à laquelle a été soumise la justice administrative. 1968 : environ 20 000 requêtes devant les tribunaux administratifs 1980 : 40 000 requêtes 1991 : 80 000 requêtes 2004 : 160 000 requêtes 3 Cette vague contentieuse a entraîné de très importantes transformations de la justice administrative. Pour en donner quelques exemples : – sur le plan institutionnel : elle a été à l’origine de la création des cours administratives d’appel en 1987 (et de la transformation progressive du Conseil d’État en juridiction centrée sur la cassation) et de nombreux tribunaux supplémentaires ; – sur le plan des effectifs : elle est à l’origine d’importants recrutements de magistrats (qui ont eux-mêmes entraîné une modification des filières de recrutement, la voie de l’ENA étant progressivement devenue minoritaire au profit du concours direct) ; – sur le plan procédural : le modèle procédural unique (la collégialité avec commissaire du gouvernement1) a fait place à une diversification très importante des modes de traitement des litiges (juge unique, ordonnances, etc.), et on a aussi tenté, avec plus ou moins de succès (voir l’échec de l’instauration d’un droit de timbre), de rendre moins facile l’accès à la justice. 4 Globalement, elle a surtout donné lieu à un traitement budgétaire et procédural, fondé sur le triptyque augmentation des moyens / augmentation de l’offre, limitation de l’accès à la justice / entrave à la demande, et diminution des garanties procédurales / limitation des coûts, dans le cadre de ce qu’on pourrait appeler une « économie de pénurie relative » : dans l’ensemble, les moyens consacrés à la justice administrative ont augmenté, mais il subsiste toujours un décalage avec la montée du contentieux, qui a été traité par toute une série de procédés ou d’expédients. 5 Pour l’essentiel, la montée du contentieux a été appréhendée en termes de gestion publique et l’on a cherché à répondre à ses conséquences davantage qu’à en comprendre les causes. 6 L’absence de véritable analyse du phénomène Face à ce phénomène d’augmentation de la « demande » contentieuse, le recours aux sciences sociales en général et à la sociologie du droit en particulier est demeuré extrêmement limité. On ne peut pas sérieusement dire qu’il n’y ait pas eu de travaux de sociologie ou de sciences politiques sur la justice administrative. Mais d’une part, ils sont restés assez peu nombreux et, d’autre part, ils ont surtout porté sur « l’offre », et, au sein de celle-ci, presque exclusivement sur le Conseil d’État. Parmi les ouvrages les plus importants, on peut citer la thèse de Danièle Lochak (197 2), et le travail de Marie-Christine Kessler (1968). Plus récemment, il faut également mentionner les ouvrages d’Olivia Bui Xan (2000) et l’ethnographie de Bruno Latour (2002). 7 En ce qui concerne la « demande », elle n’a fait pratiquement l’objet d’aucune recherche, à l’exception de deux enquêtes ponctuelles menées sur des tribunaux administratifs (en 1986 et en 1995, sur les tribunaux administratifs de Strasbourg et Grenoble : Villetorte et al., 1986 ; Blais, 1995). Il n’est donc pas exagéré de dire que l’analyse de la demande de justice administrative par les sciences sociales était quasi inexistante jusqu’à l’étude Le recours à la justice administrative, publiée en 2008 par l’équipe Contamin, Saada, Spire et Weidenfeld. Cette étude avait été précédée d’un travail quantitatif de l’équipe Aubusson de Cavarlay, Barré, Zimolag (2005). 8 Confrontés, au quotidien, à la montée du contentieux administratif et à ses conséquences sur le fonctionnement de la justice, les acteurs de la justice administrative n’ont pas manqué d’avancer des explications spontanées. Il est bien sûr impossible de faire le catalogue exhaustif et raisonné de toutes les thèses qui ont pu être formulées, car, à la différence de ce qui peut se passer dans d’autres domaines, comme l’éducation ou la santé, qui donnent lieu à des débats de société largement médiatisés, ces débats ont rarement lieu dans des revues ou dans la presse. Le recueil des explications repose donc plus sur une tradition orale, si l’on peut dire, que sur un procédé rigoureux. Ces réserves étant faites, il est possible de mentionner quelques-unes de ces « théories spontanées », parmi les plus courantes, en s’efforçant chaque fois d’indiquer ce qui a pu les inspirer et sans, à ce stade, en faire un examen critique. 9 « Les gens font des recours pour n’importe quoi » : l’idée que la montée du contentieux s’inscrirait dans une démarche de type consumériste, sur le modèle des États-Unis, est assez classique. Elles présuppose que la propension à contester serait plus forte que dans le passé, et que « les gens » seraient plus procéduriers ou enclins à contester. On ne peut pas dire que cette idée soit nouvelle (songeons aux plaideurs de Racine…). Elle est alimentée par le fait que l’augmentation du contentieux n’a pas de réelle explication démographique, et par des phénomènes tels que l’existence de « requérants d’habitude » ou l’apparition de contentieux dans des domaines nouveaux, considérés ou catalogués comme des « petits litiges », par exemple en matière scolaire. 10 « Les gens connaissent mieux leurs droits » : c’est la version positive de la théorie précédente. Vont dans ce sens l’élévation du niveau d’éducation et de culture juridique, ou les mesures qui ont été prises dans les années 1980 pour mieux informer les usagers de la possibilité de saisir la justice administrative (le décret du 28 novembre 1983 puis la loi du 12 avril 2000). 11 « Les avocats poussent les gens à faire des recours » : l’augmentation du contentieux serait liée à l’influence des professionnels du droit, qui inciteraient les usagers de l’administration à saisir la justice pour développer leur activité. Cette thèse est notamment alimentée par l’augmentation soutenue du nombre d’avocats. 12 « Les gens font des recours parce que c’est gratuit et facile » : l’explication trouve sa source dans des arguments d’ordre économique (gratuité de la justice administrative, pas de ministère d’avocat obligatoire en première instance pour 13 Aujourd’hui : la justice administrative sous le regard des sciences sociales L’augmentation de la « demande » : une spécificité du contentieux administratif ? La nécessité d’une approche différenciée par types de contentieux beaucoup de litiges, aide juridictionnelle), et juridique (l’intérêt à agir en matière de recours pour excès de pouvoir est largement ouvert). « L’augmentation du contentieux est liée à l’augmentation de l’activité administrative » : elle se fonde sur l’idée que le développement du contentieux est fortement lié à certaines politiques publiques (par exemple en matière de droit des étrangers ou de permis de conduire), et que les gens font généralement des recours uploads/S4/ quand-les-sciences-sociales-se-font-expertes-le-cas-de-la-justice-administrative.pdf
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Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Dec 14, 2022
- Catégorie Law / Droit
- Langue French
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