La Revue des droits de l’homme Revue du Centre de recherches et d’études sur le
La Revue des droits de l’homme Revue du Centre de recherches et d’études sur les droits fondamentaux 5 | 2014 Revue des droits de l'homme - N° 6 Propos introductifs : la politique des droits de l'homme et le "révolutionnarisme" Eric Desmons Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/revdh/667 DOI : 10.4000/revdh.667 ISSN : 2264-119X Éditeur Centre de recherches et d’études sur les droits fondamentaux Édition imprimée Date de publication : 1 juin 2014 Référence électronique Eric Desmons, « Propos introductifs : la politique des droits de l'homme et le "révolutionnarisme" », La Revue des droits de l’homme [En ligne], 5 | 2014, mis en ligne le 26 mai 2014, consulté le 08 juillet 2020. URL : http://journals.openedition.org/revdh/667 ; DOI : https://doi.org/10.4000/revdh.667 Ce document a été généré automatiquement le 8 juillet 2020. Tous droits réservés Propos introductifs : la politique des droits de l'homme et le "révolutionnarisme" Eric Desmons « Loin de l'engourdissement satisfait qu'on eût pu craindre, la société de l'individu marche à l'intégration protestataire ». Marcel Gauchet, Quand les droits de l'homme deviennent une politique. 1 Articuler la définition formelle de la révolution - mutation irrégulière et souvent violente des autorités politiques conduisant à l'avènement d'un nouvel ordre1 , avec la question des droits de l'homme revient à lui conférer une place particulière dans ce que l'on peut convenir de nommer la philosophie de l'histoire. Non seulement parce que le XVIIIe siècle occidental conjugue les deux termes (la Révolution de 1789 est portée par une philosophie des droits de l'homme, qui eux-mêmes enclenchent une dynamique révolutionnaire), mais aussi parce que l'on peut tenir, plus généralement, le phénomène révolutionnaire comme ayant été le procédé propre à l'affirmation des droits de l'homme - comme reconnaissance d’égale dignité et de liberté2 - dans l'Histoire universelle3. 2 On aura reconnu ici - en forme de vulgate - la thèse de Hegel. Telle qu'elle a été prolongée et réinterprétée par Kojève et Francis Fukuyama4, cette thèse peut inviter à se poser une question simple : puisque la Révolution française, en consacrant les droits de l'homme comme égale reconnaissance de tous les individus, a accompli la fin de l'Histoire (ceci signifiant que l'idéal de la démocratie ne peut pas être amélioré sur le plan des principes), le phénomène révolutionnaire, qui a été le moteur de ce mouvement, aurait-il par conséquent perdu toute pertinence dans les sociétés démo- libérales5? Pour le dire autrement, là où les droits de l'homme ont été juridiquement déclarés et garantis, l'idée de révolution qui les a fait éclore serait-elle devenue sans objet ? De surcroît, on pourrait admettre, avec Francis Fukuyama, que la faillite Propos introductifs : la politique des droits de l'homme et le "révolutionnar... La Revue des droits de l’homme, 5 | 2014 1 politique du communisme au XXe siècle a scellé définitivement le sort de la matrice révolutionnaire dans le monde capitaliste, et plongé l'hypothèse marxiste, avec sa critique des droits bourgeois, dans les trappes de l'histoire6. La fin de l'Histoire entendue comme victoire de la démocratie libérale serait bien, ainsi, la fin de l'idée et du fait révolutionnaire dans les sociétés ayant atteint ce stade... 3 Une telle conclusion a certes le mérite de la simplicité, mais peut-être aussi le prix du simplisme. Certes, il est incontestable qu'une certaine mythologie révolutionnaire a disparu avec la chute du bloc soviétique, entraînant avec lui l'idéologie sur laquelle il reposait7. Mais le mot n'a pas, loin s'en faut, déserté l'univers politique des sociétés démocratiques. Une certaine nostalgie, un certain romantisme, un certain effet rhétorique incantatoire, n'expliquent ici pas tout. Car l'on peut estimer que le discours des droits de l'homme, autour duquel s'est d'ailleurs retrouvée une bonne partie des militants anticapitalistes d'hier8, constitue en soi une théorie révolutionnaire de substitution ou ; plutôt, nourrit un esprit du même ordre9. En effet, les droits de l'homme, tenant lieu « tout à la fois d'idée du politique, de science de la société et de boussole de l'action historique »10, font autant consensus quant à leur principe qu'ils invitent à une critique sociale permanente quant à leur réalisation : parce qu'ils constituent un horizon de sens jamais atteint, parce qu'ils sont eux-mêmes en révolution conceptuelle constante (que l'on pense aux différentes "générations" de droits dont les juristes révolutionnent sans cesse la production), ils permettent une critique infinie de la démocratie11 et résonnent indéfiniment comme une promesse de liberté et d'égalité12. Ainsi que l'écrit Marcel Gauchet, « les droits de l'homme introduisent un substitut d'utopie futuriste dans le présent : la foi dans l'avenir est remplacée par l'indignation ou la culpabilité devant le fait qu'il ne soit pas déjà là »13. Pour certains, cette politique des droits de l'homme - impliquant un écart entre le droit et les faits « purement et simplement injustifiable »14 - leur confèrerait un potentiel révolutionnaire ou, à tout le moins, insurrectionnel (le mot serait d'ailleurs plus juste), inépuisable15. Serait alors engendrée, a minima, une sorte de contestation structurelle que l'on pourrait nommer, en détournant une formule de Claude Lefort, le « révolutionnarisme »16, considéré comme une morale de l'indignation17 et une pratique de la désobéissance civile (Etat de droit oblige). 4 On pourrait, à partir de là, rendre compte de la philosophie portant les mouvements sociaux de nos démocraties, qui incarnent au mieux cette pratique contestataire, et dont le propre est d'être vécue sur le mode d'une « radicalité inoffensive »18. La première raison, et non des moindres, est qu'existe une forme de consensus, dans les sociétés démo-libérales, sur ce que réclament ceux qui s'en estiment exclus : une pleine effectivité des droits de l'homme, certes portée par une matrice égalitaire exacerbée, mais non pas, fondamentalement, un autre système que celui des droits de l'homme. Voici qui lève en bonne partie, semble-t-il, l'hypothèque marxiste... C'est d'ailleurs souvent par la création de droits nouveaux (économiques et sociaux)19, dans leur opposabilité tant aux pouvoirs publics qu'aux personnes privées - donc dans l'approfondissement d'une démocratie de plus en plus volontiers qualifiée de constitutionnelle -, que pour beaucoup devrait se régler la question sociale20. Il s'agirait de parfaire le système des droits de l'homme, de l'étendre, de le pousser au terme - toujours fuyant - de sa logique, et non plus de le dénoncer ; il s'agirait d'obtenir une réforme à l'intérieur de l'ordre politico-juridique établi, et non de l'abolir21 : féminisme, Propos introductifs : la politique des droits de l'homme et le "révolutionnar... La Revue des droits de l’homme, 5 | 2014 2 lutte pour les droits civiques, mouvements homosexuels ou contre le racisme veulent exacerber la logique des droits de l'homme, non lui substituer un autre génie. 5 Dans un tel contexte, d'un point de vue tactique, ce n'est pas la notion de révolution qui semble pertinente pour parvenir à la perfection du système des droits de l'homme, mais celle de désobéissance civile, parfaitement cohérente avec les principes de l'Etat de droit. Car, in fine, la désobéissance civile - acte public non violent, décidé en conscience, dont l'auteur accepte les conséquences judiciaires, et commis en vue de changer la loi ou la politique du gouvernement, selon la définition de John Rawls22 - est aussi un moyen d'accéder au juge pour faire du prétoire une tribune politique. La désobéissance civile est ainsi l'outil permettant les progrès, sur un mode réformiste acceptable, de la politique des droits de l'homme. Cette désobéissance civile (ou ses avatars : résistances, dissentiment, grèves, oppositions, luttes, ce que, finalement, Emile Pouget nommait une « gymnastique révolutionnaire »23), c'est donc l'esprit révolutionnaire saisi - ou encadré - par le droit, et, selon certains, le principe même de la vie démocratique24. 6 Même pour le marxisme critique - dont le rapport avec les droits de l'homme peut rester parfois compliqué (une domination de classe) -, qui a tendance à penser le pouvoir comme un ensemble de rapports de pouvoir25, l'idée révolutionnaire semble se réduire à une dénonciation abstraite du réformisme social-démocrate (une philosophie politique) et, au mieux, au soutien à une politique de désobéissance civile26. C'est que la révolution violente (à l'image de la révolution prolétarienne dans un contexte de lutte de classes) peut achopper tant sur le désir hobbesien de la conservation de soi qui taraude l'individu moderne que sur le rejet de toute forme de terreur27, au bénéfice de la pacification des luttes politiques par le droit (les groupuscules ayant prôné la lutte armée - du type Brigades Rouges, Fraction Armée Rouge ou Action directe - bien éloignés du combat pour les droits de l'homme, ont vite été marginalisés dans la sphère du terrorisme). Sans être un dîner de gala, pour être acceptable, la "révolution" pour les droits doit désormais être confectionnée dans une étoffe faite d'une texture plus douce - celle du velours ou de l'hermine - ou prendre la voie des micro-résistances chères à Foucault, Deleuze ou Guattari28... 7 Dès lors, si l'on voulait trouver une actualité plus brûlante à l'idée de révolution, il faudrait certainement se tourner vers les intégrismes religieux porteurs de nouvelles théories révolutionnaires, aux perspectives plus sombres : ce fut, on le uploads/S4/ revdh-667.pdf
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- Publié le Sep 26, 2022
- Catégorie Law / Droit
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