INTRODUCTION L’avortement peut être appréhendé sous plusieurs angles en ce qu’i
INTRODUCTION L’avortement peut être appréhendé sous plusieurs angles en ce qu’il est à la fois une question de santé publique, d’autonomie et de libre disposition par les femmes de leurs corps, et enfin, d’égalité et de non-discrimination. Chaque année, environ 42 millions de femmes recourent à l’avortement dans le monde entier, dont près de la moitié sont des avortements non sécurisés, à savoir réalisés dans de mauvaises conditions sanitaires et médicales1. Il ressort très clairement des études de l’Organisation mondiale de la Santé qu’il existe un lien intrinsèque entre le contexte légal et le nombre d’avortements non sécurisés. En effet, loin de diminuer le recours à l’avortement, les législations restrictives accroissent le nombre d’avortements clandestins et donc non sécurisés2. De plus, dans un contexte de crise économique et de montée des intégrismes religieux, l’accès à l’avortement peut se voir de plus en plus limité. En témoigne les récentes attaques menées contre l’accès à l’avortement en Hongrie3, Pologne4 ou aux États- Unis5. La montée en puissance des activistes anti-choix se traduit par une multitude de changements législatifs, allant de la protection constitutionnelle du fœtus6 à l’obligation faite à la femme enceinte d’écouter les battements du coeur de ce dernier lors des consultations7. Parmi ces tentatives de restreindre l’accès à l’avortement, l’objection de conscience (ci-après « OC »)est un phénomène de plus en plus dénoncé. Entendue dans une acception large, l’OC consiste en un refus d’exécuter une obligation légale pour des motifs religieux, philosophiques ou moraux8. En pure théorie, un droit à l’OC peut tout à fait être compatible avec un droit à l’interruption volontaire de grosse, il suffit qu’un autre médecin puisse prendre la patiente en charge. Or, notre étude doit s’apprécier dans le contexte sociétal dans lequel l’accès s’inscrit. 1 Organisation mondiale de la Santé, Avortement sécurisé : Directives techniques et stratégiques à l’intention des systèmes de santé, 2e éd., 2012, p. 17. 2 Organisation mondiale de la Santé, op. cit., pp. 24 et suivantes. 3 : J. HEINEN, « État des lieux du droit à l’avortement dans une optique européenne et internationale », Chronique féministe, n° 114, juillet/décembre 2014, p. 18. 4 « Le parti au pouvoir droit et Justice (PiS) du président Kaczinsky a présenté en septembre dernier une proposition de loi visant à interdire totalement l’avortement. Les femmes recourant à l’avortement seraient passibles d’une peine de prison allant de trois mois à cinq ans. Les médecins pratiquant un avortement encourraient une peine de prison de cinq ans, alors que la loi actuelle prévoit deux ans ». Proposition de loi du 13 novembre 2019 visant à assouplir les conditions pour recourir à l’interruption volontaire de grossesse, DOC 55 0158/003. 5 Le gouvernement a « ainsi mis fin au financement des ONG américaines qui, à l’étranger, mènent des campagnes de sensibilisation et œuvrent en faveur du planning familial. Ce faisant, il met en péril l’accès à l’avortement pour de nombreuses femmes en situation précaire. Dans son propre pays, il réduit également le financement des centres de planning familial et touche ainsi à nouveau des femmes en difficultés. Aux yeux du président américain, les femmes ne disposent plus librement de leur corps ». Proposition de loi du 13 novembre 2019 précitée. 6 Voy. par exemple la Hongrie : J. HEINEN, « État des lieux du droit à l’avortement dans une optique européenne et internationale », Chronique féministe, n° 114, juillet/décembre 2014, p. 18. 7 Voy. par exemple la Russie. J. HEINEN, « État des lieux du droit à l’avortement dans une optique européenne et internationale », Chronique féministe, n° 114, juillet/décembre 2014, p. 18. 8 W. CHAVKIN, L. LEITMAN ET K. POLIN, « Conscientious objection and refusal to provide reproductive healthcare : A 8 White Paper examining prevalence, health consequences, and policy responses », International Journal of Gynecology and Obstetrics, 123 (2013), S41. 1 En effet, l’OC n’aura pas le même effet dans un État où la législation sur l’avortement est relativement restrictive ou dans lequel il existe déjà peu de ressources en matière de soins de santé par exemple, ou encore dans lequel la pratique de l’objection se combine à d’autres obstacles. Dès lors que l’articulation entre l’OC et la demande d’IVG se au fur et à mesure, la récente proposition de loi belge sur l’avortement réglemente un peu plus la matière en limitant l’OC aux personnels soignants et non les institutions9. En effet, tout récemment, c’est une majorité alternative qui a repensé la loi sur l’IVG de 2018 afin de pleinement la sortir du Code pénal10. De cette manière, nous pouvons légitimement parler d’un « droit à l’avortement », compris comme un acte médical au sens de la loi de 2002 sur le droit des patients11. Nous allons donc partir de cette situation pour développer notre réflexion en bioéthique. Pour cela, nous allons mettre en balance les deux « droits subjectifs » : droit à l’avortement et droit à la liberté de conscience (en comprit l’OC), afin d’analyser leurs conséquences sur la discussion intersubjective entre le médecin et la patiente. Autrement dit, nous allons nous poser la question suivante : Est-ce que l’objection de conscience en matière d’avortement permet-il l’avenue d’un dialogue égalitaire et intersubjectif ? Pour y répondre, nous allons en premier lieu déployer le conflit entre ces deux droits subjectifs. Ce conflit se place, d’une part, au sein de la hiérarchie des normes, et d’autre part, via l’évolution de la jurisprudence. Ensuite, nous allons développer les conséquences dans la pratique ces choix législatifs, même à portée symbolique. Le choix ou non de conserver l’IVG comme une « exception pénale à l’homicide volontaire » ou « un acte médical » n’est pas neutre idéologiquement. En effet, la forme et la structure du bio droit reflètent les valeurs qu’exprime une société, et une construction juridique fragmentée doit s’évaluer à la lumière de la situation structurelle et sociologique12. À ce sujet, de nombreux auteurs démontrent le lien intrinsèque entre Religion, éthique et biodroit, notamment sur le sujet de l’IVG13. Ici, nous allons nous pencher sur la place, au sein de cette structure du dialogue entre médecin et patient. 9 Proposition de loi du 13 novembre 2019 précitée. 10 Loi du 15 octobre 2018 relative à l'interruption volontaire de grossesse, abrogeant les articles 350 et 351 du Code pénal et modifiant les articles 352 et 383 du même Code et modifiant diverses dispositions législatives, M.B., 29 octobre 2018. Elle avait sorti la réglementation relative à l’IVG du Code pénal vers une loi dite civile. Cependant, il s’agit d’une sortie symbolique, car toutes les dispositions pénales ont été gardées et transposées dans cette même loi. 11 Loi du 22 aout 2002 relative au droit du patient, M.B., 26 septembre 2002. Cette loi a été une véritable avancée pour les droits du patient. Les actes médicaux devaient respecter le consentement libre et éclairé des patients. Cela a été une avancée pour une vision du patient « actif » dans ses soins, mais surtout de l’obligation d’un véritable dialogue d’égal à égal. 12 Le caractère fragmenté est aussi non équivoque : laisser le biodroit comme un droit de « bricolage » montre la volonté de laisser cela en statu quo. 13 B. FEUILLET-LIGER, P. PORTIER, R, BOURDON, Droit, éthique et religion : de l'âge théologique à l'âge bioéthique, Bruxelles, Bruylant, 2012. 2 CHAPITRE 1. SITUATION EN DROIT : CONFLIT ENTRE DEUX DROITS Dans notre lecture, il nous faudra systématiquement travailler en balance de deux droits subjectifs : le droit à l’IVG et le droit à l’OC. Cette analyse va nous faire prendre de la hauteur, car nous allons mobiliser les droits fondamentaux (conventions internationales et édification nationales) on le verra, la liberté de conscience est bien plus protégée. Partons d’une définition14 des Droits de l’Homme : « Prérogatives gouvernées par des règles qu’une personne appartenant au genre humain détient en propre face au Pouvoir et avec les autres. » Nous dégageons plusieurs principes de cette notion : en tant que prérogative : Primo, les droits de l’homme préexistent au droit humain, se déduisant de sa nature humaine. Secundo, les droits de l’homme sont gouvernés par des règles, ils ne sont mobilisables qu’une fois officiellement inscrit dans le droit positif15. Tertio¸ revendiqués face au pouvoir et avec les autres, les droits fondamentaux ont une relation verticale (contre l’autorité publique) et horizontale (contre un particulier). Dans notre perspective, la mobilisation des droits fondamentaux peut s’effectuer contre le médecin en tant que particulier, ou contre la puissance publique (de quelque forme soit-elle : juge, hôpital public, etc.)16. La notion horizontale nécessite dès lors, une forme de relation entre les particuliers, ou chacun est responsable du maintien de l’ordre sociétal indispensable à l’épanouissement de ces droits. Maintenant que la notion des « droits de l’homme » est posée, ce chapitre va étudier la portée de ces droits subjectifs mis face à face. Nous le verrons, le droit à l’OC se targue d’une protection bien plus solide (tant sur le plan national qu’international). SECTION 1. CONTEXTE INTERNATIONAL Dans cette section sera étudiée la protection contraignante (hard law) du uploads/S4/ expose 6 .pdf
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- Publié le Nov 23, 2021
- Catégorie Law / Droit
- Langue French
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