Si certains jugent indispensable que le législateur se prononce sur « ce qu’il

Si certains jugent indispensable que le législateur se prononce sur « ce qu’il faut faire quand il n’y a plus rien à faire », il ne revient en revanche pas au Conseil constitutionnel d’en décider, ainsi que l'a rappelé le Conseil d’Etat le 10 octobre 2022. Le choix portant sur la fin de vie est de nouveau sur le devant de la scène avec le lancement de la convention citoyenne sur la fin de vie. Dans ce contexte, les recours se multiplient devant nombre de juridictions que cela soit la Cour européenne des droits de l’homme(1), le Conseil constitutionnel(2) ou, comme c’est le cas en l’espèce le Conseil d’Etat. En effet, l’association « DIGNITAS – Vivre dignement – Mourir dignement » a été à l’origine d’une demande de renvoi de question prioritaire de constitutionnalité (QPC) afin de contester l’absence légale d’un droit à mourir donnant lieu à l’arrêt n°465977 rendu le 10 octobre 2022. Fin de vie : l’incompétence négative comme instrumentalisation de la QPC Novembre 2022 1 Cette demande intervient après que des requêtes similaires ont été déposées en Allemagne(3) et en Autriche(4), où les cours constitutionnelles ont censuré les lois En l’espèce, l’association DIGNITAS a formé un recours contre la décision du Premier ministre refusant d’abroger les articles R.4127-37 à R.4127-38 du Code de la santé publique et d’édicter de nouvelles dispositions prévoyant « le droit pour chacun de pouvoir mettre fin à ses jours consciemment, librement et dans la dignité ». Par un mémoire distinct, l’association a également formulé des conclusions tendant à ce que soit renvoyée au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions des articles L.1110-5 à L.110-5-3 du Code de la santé publique. Ces articles garantissent une fin de vie digne. Conseil d'Etat, 10 octobre 2022, association " DIGNITAS - Vivre dignement - Mourir dignement ", n°465977 QPC : Fin de vie en France Mots-clés : Question prioritaire de constitutionnalité - conditions de renvoi - incompétence négative - fin de vie digne - code de la santé publique Veille juridique AJCP Décembre N° 2 1 L'ASSOCIATION DES JURISTES DE CONTENTIEUX PUBLIC VEILLE JURIDIQUE N° 2 www.master2contentieuxpublicparis1.fr Décembre 2022 I. La démonstration implicite de l’inapplicabilité de la disposition au litige Après avoir classiquement vérifié si le Conseil constitutionnel avait déjà déclaré conformes les dispositions litigieuses, ce que ce dernier a fait s’agissant de certaines parties des dispositions sans qu’aucun changement de circonstances ne puisse être invoqué, le Conseil d’Etat concentre sa motivation sur ce qui fonde cet arrêt, à savoir l’applicabilité (ou plutôt l’inapplicabilité) des dispositions au litige, sans toutefois le dire explicitement. Ils permettent d’arrêter les soins lorsqu'ils résulteraient d’une obstination déraisonnable à la demande du patient ou à l’issue d’une procédure collégiale lorsque celui-ci n’est pas en mesure d’exprimer sa volonté. L’association argue que ces dispositions, en s’abstenant d’instituer des garanties légales permettant, en dehors des hypothèses de fin de vie et d’obstination déraisonnable de mettre fin à ses jours « consciemment, librement et dans la dignité », méconnaissent différents droits tels que le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, le droit au respect de la vie privée ainsi que d’autres droits que le Conseil constitutionnel n’a à ce jour pas reconnus. De plus, et surtout, le législateur aurait méconnu l’étendue de sa compétence en n’organisant pas l’exercice d’une telle faculté dans des conditions affectant par elles-mêmes ces droits. La question de la conformité des articles L.1110-5 à L.110-5-3 du Code de la santé Publique aux droits et libertés que la Constitution garantit remplit-elle les critères permettant son renvoi ? Le Conseil d’Etat estime que ce n’est pas le cas et ne procède pas au renvoi de la question. Refusant une instrumentalisation de la procédure QPC, il démontre de manière implicite l’inapplicabilité de la disposition au litige (I) justifiant ainsi l’inopérance de tout moyen et notamment le moyen contestant l’inapplicabilité des dispositions au litige : l’incompétence négative (II). Pour cela, le Conseil rappelle en premier lieu que l’incompétence négative du législateur ne peut constituer un moyen opérant dans le cadre de la QPC que sous réserve de deux conditions. Ainsi, ce moyen ne peut être invoqué qu’à l’encontre de dispositions résultant d’une loi promulguée et à la condition que leurs insuffisances aient eu pour effet de porter atteinte aux droits et libertés garanties et non pas pour contraindre le législateur à légiférer sur un autre sujet que celui traité par ces dispositions. Le Conseil va considérer que la question posée en l’espèce porte sur un tout autre sujet. La juridiction va se prononcer implicitement sur l’applicabilité au litige par le biais des conditions reconnues permettant d’invoquer le moyen d’incompétence négative liant à l’examen du caractère sérieux celui de l’applicabilité de la disposition au litige. Les dispositions en cause n’ayant pas pour effet ou pour objet de reconnaître ou d’organiser l’exercice d’un « droit à chacun à pouvoir mettre fin à ses jours consciemment, librement et dans la dignité », il ne peut être reproché au législateur de ne pas traiter d’un sujet qui est autre que celui visé par les dispositions. Il juge ainsi qu’un grief portant sur l’insuffisance de règles relatives à la possibilité de mettre fin à ses jours dans les hypothèses autres que l’obstination déraisonnable et la fin de vie ne peut être invoqué à l’encontre de dispositions qui portent justement sur l’obstination déraisonnable et la fin de vie. Le Conseil d’Etat reprend ici le raisonnement qu’il avait déjà suivi dans un arrêt du 12 février 2021(5), où le requérant, à l’occasion d’une QPC portant sur les règles relatives à l’établissement, au contenu et à la tenue des actes de l’état civil et aux changements de prénom et nom, arguait de l’incompétence négative dont aurait fait preuve le législateur en ne légiférant pas sur la transmission des titres nobiliaires. Veille juridique AJCP Décembre N° 2 2 II. La déclaration de l’inopérance du moyen d’incompétence négative : une impasse pour les requérants La condition d’applicabilité n’étant pas remplie, les moyens de l’association requérante s’en trouvent inopérants. Ainsi, le Conseil juge que : « Dans ces conditions, cette dernière ne peut utilement soutenir, par la voie d'une question prioritaire de constitutionnalité qui porte sur un autre sujet que celui traité par les dispositions législatives qu'elle conteste, ni que ces dispositions méconnaîtraient le droit qu'elle revendique, ni qu'elles seraient entachées d'incompétence négative faute de comporter des règles permettant l'exercice d'un tel droit ». S’agissant du premier moyen de l’association soutenant que les dispositions, en n’instituant pas de garanties légales permettant l’exercice de ce droit, méconnaîtraient la Constitution, force est de constater que les dispositions ne reconnaissant pas ce droit, il ne peut leur être reproché qu’elles n’instituent pas de garanties légales. Cependant, le rejet du moyen d’incompétence négative porte plus à discussion. Cela est un transfert de la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui avait eu l’occasion de juger ainsi lors du contrôle a priori de la loi de finances pour 2019(6). En l’espèce, les requérants soutenaient que la loi était entachée d’incompétence négative du fait de l’insuffisance des crédits de certains programmes et des emplois de certains ministères sans contester directement des dispositions de la loi. Cette continuité dans la jurisprudence permet dès à présent d’écarter les critiques qui ont été faites soutenant que le Conseil d’État empêcherait de manière injustifiée le Conseil constitutionnel de se prononcer sur ce sujet alors que celui-ci aurait été désireux de le faire. En effet, l’applicabilité du litige et l’opérance du moyen ont un lien plus complexe car c’est justement parce que la disposition n’est pas applicable au litige que le moyen devrait être opérant. C'est que le requérant se trouve démuni en l’absence de dispositions à contester pour dénoncer l’atteinte portée par le législateur qui n’a pas légiféré sur le sujet. Ainsi, l’incompétence négative ne peut être reconnue comme potentiellement inconstitutionnelle que lorsque le législateur a été partiellement défaillant en légiférant sur un sujet de manière insuffisante mais pas lorsqu’il s’est totalement abstenu de légiférer ce qui peut paraître contre intuitif. L’incompétence négative n’est donc pas le moyen le plus facile à soulever pour le requérant puisqu’il convient de rappeler qu’il devra ensuite prouver, si l’applicabilité au litige a été reconnue, que cette incompétence a porté atteinte à ses droits et libertés. En effet, comme le rappelle le Conseil d’État dans cet arrêt et en vertu de la jurisprudence SNC Kimberly Clark du Conseil constitutionnel (7), la seule incompétence négative ne peut constituer un moyen même s’il appartient au législateur d’exercer pleinement sa compétence, encore faut-il que cette méconnaissance affecte « par elle-même »(8) un droit ou une liberté que la Constitution garantit. Cependant, ce raisonnement peut être aisément compris, considérant la tache qui incombe au Conseil constitutionnel qui, gardien de la Constitution, ne bénéficie pas comme il le rappelle régulièrement du pouvoir d’appréciation souverain du Parlement. Il parait opportun que le Conseil d’État rappelle que le nouveau recours constitué par la QPC n’est pas une voie détournée permettant aux citoyens de uploads/S4/ veille-n-2-ce-dignitas-1671566457.pdf

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  • Publié le Jui 30, 2022
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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