1 LE JUGE CONSTITUTIONNEL FACE AUX ENJEUX DE LA DEMOCRATISATION DANS LES PAYS A

1 LE JUGE CONSTITUTIONNEL FACE AUX ENJEUX DE LA DEMOCRATISATION DANS LES PAYS ARABES A PROPOS DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL MAURITANIEN par Ahmed Salem OULD BOUBOUTT Avant 1991, l’histoire de la justice constitutionnelle en Mauritanie se résume à bien peu de chose. Sous l’empire des premières constitutions du pays, les constitutions du 22 mars 1959 et du 20 mai 1961 et jusqu’en 1978, l’ordonnancement institutionnel comportait, certes, au sein de la Cour suprême, une chambre constitutionnelle compétente en matière de contentieux constitutionnel et en particulier du contrôle de la constitutionnalité des lois. Mais cette chambre fut presque totalement inactive : n’ayant jamais été saisie aux fins du contrôle de la constitutionnalité des lois ordinaires, elle a rendu de rares décisions, d’un apport jurisprudentiel plutôt maigre. Les raisons de cette inactivité sont à rechercher à travers les rigueurs du système du parti unique institutionnalisé en 1965, système par essence peu favorable pour ne pas dire réfractaire au contrôle juridictionnel des actes des autorités publiques. Cette situation ne se modifiera guère le 10 juillet 1978, lorsque les militaires prennent le pouvoir en Mauritanie, à l’issue d’un coup d’Etat : le régime militaire a entretenu – et pour cause – une attitude d’indifférence vis-à-vis de la juridiction constitutionnelle. Cette indifférence est si totale que les militaires au pouvoir n’ont pas daigné supprimer la chambre constitutionnelle de la Cour suprême, au même moment où ils procédaient à la suppression de la Constitution de 19611. En 1991, après bien des péripéties et à la faveur de la poussée du mouvement démocratique et constitutionnel en Afrique2, la Mauritanie renoue avec la tradition républicaine, comme en témoigne l’adoption de la Constitution du 20 juillet 1991. Contrairement à ses devancières, la constitution de 1991 fait bonne place à la 1 Sur l’évolution du système politique mauritanien, v. Notre étude : L’évolution des institutions de la République Islamique de Mauritanie, Rev. d’Etudes du Monde Musulman et Méditerranéen (R.E.M.M.M.), n°54, 1989 /4, p. 130 s. 2 Sur ce problème : G. Conac (sous la direction de ) : L’Afrique en transition vers le pluralisme politique, Economica, Paris, 1993. 2 juridiction constitutionnelle, à travers l’institution d’un conseil constitutionnel (Titre VIII de la Constitution)3. L’analyse de l’institution et surtout de son activité depuis son installation en mai 1992, permet de montrer, à la lumière des enjeux de la démocratisation du système politique mauritanien4, les mérites et limites de la solution apportée par la Constitution mauritanienne au problème de la justice constitutionnelle, tant en ce qui concerne la mesure du choix constitutionnel (I) que la régulation de l’activité juridictionnelle (II). I- UN CHOIX INSTITUTIONNEL MESURE Le choix institutionnel opéré par le Constituant mauritanien en matière de justice constitutionnelle se caractérise par l’ambition (relative) de la formule institutionnelle (A) que contrebalance toutefois la prudence qui caractérise les règles d’encadrement (B). A. La relative ambition de l’option institutionnelle 1. La création d’un Conseil constitutionnel, en tant que juridiction constitutionnelle à part entière, institutionnellement indépendante des rouages de la justice «ordinaire », constitue une incontestable avancée du droit mauritanien vers l’ancrage de l’Etat de droit. En renonçant donc à la formule - trop timorée et, d’expérience, inefficace – de la chambre constitutionnelle au sein de la Cour suprême, le constituant mauritanien qui intervenait, en 1991, dans un contexte particulièrement marqué par les revendications de la société civile – et internationale – en faveur de l’Etat de droit, n’a certes pas ignoré les conséquences de son choix et en a soigneusement pesé les tenants et aboutissants. Compte tenu du processus d’écriture de la Constitution de 19915, caractérisé par la confidentialité6, il reste toutefois difficile de dégager avec certitude les motivations profondes qui ont guidé un tel choix. On s’en tiendra donc sur ce point à de prudentes supputations. On peut estimer, dans un premier temps, qu’en rompant avec la solution précédente de la Chambre constitutionnelle, le chef de l’Etat mauritanien, Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya - qui a dominé tout le processus de 3 Sur la Constitution du 10 juillet 1991, V. Notre étude : La nouvelle Constitution mauritanienne, Recueil Penant, n° 815, 1994, pp.129 s. On trouvera le texte de cette Constitution au Journal Officiel, numéro spécial 763, 30 juillet 1991. 4 Sur les enjeux de la démocratisation en Mauritanie, V. Notre étude : La construction de l’Etat de droit en Mauritanie, Enjeux, stratégies, parcours, Annuaire de l’Afrique du Nord, Tome XXXIV, 1995, CNRS, p. 301s. 5 Sur tous ces points, v. nos études citées supra notes 2 et 4. 3 démocratisation6 – a voulu imprimer, par ce choix, sa marque personnelle au nouveau dispositif institutionnel, en se démarquant, par là même, de ses …prédécesseurs. Au-delà de cet élément subjectif, le Conseil constitutionnel, en tant que juridiction autonome, procède de la volonté de donner un gage de crédibilité au (nouveau) système politique introduit en 1991. Dans ce contexte, il n’est pas indifférent de noter que la «création d’une Cour constitutionnelle» a constitué l’une des revendications de la société civile mauritanienne, dans la phase de gestation du processus de démocratisation, la société civile voyant dans un dispositif de justice constitutionnelle rénové, une garantie de transparence pour les élections pluralistes futures6. 2. Mais l’ambition de choix institutionnel de 1991, par rapport au système antérieur, reste marqué par une relative prudence, car en privilégiant la «solution française de contrôle de constitutionnalité »7, au détriment de la «solution allemande », la Constitution mauritanienne a opté pour un système de justice constitutionnelle, certes complet, mais, somme toute peu audacieux. Si on fait la part, en notre matière, du mimétisme juridique des solutions françaises qui a perdu en acuité mais n’a pas totalement disparu en droit mauritanien, il faut reconnaître que la solution choisie ne manque pas de pertinence. En effet, la prudence qui a caractérisé la Constitution française de 1958 en matière de contrôle de constitutionnalité des lois, en raison de l’impréparation de la société politique française de l’époque à cette technique juridique, ressemble, toutes proportions gardées, à la situation de la Mauritanie au début des années 1990 qui entreprenait la noble mais périlleuse entreprise d’institutionnalisation de l’Etat de droit. L’on sait par la suite que le système français a révélé des qualités d’auto-évolution, le Conseil constitutionnel français actuel ayant développé, de manière souple mais soutenue, le contrôle de constitutionnalité en France, méritant ainsi le label de juge constitutionnel à part entière. B. La prudence des règles d’encadrement 1. Les règles régissant le Conseil constitutionnel sont celles qui régissent, à peu de nuances près, le Conseil constitutionnel français8. Le Conseil constitutionnel se compose de six membres désignés pour un mandat de six ans, non renouvelable. Trois membres sont désignés par le Président de la 6 v. notre étude citée supra note 4 7 Sur le “modèle français de contrôle de constitutionnalité des lois”, par rapport au “modèle allemand” et au “modèle américain” : L. Favoreu et L. Philipi. Le Conseil constitutionnel, Coll. Que sais-je ? PUF, 1980, 2° éd. 8 Sur les règles régissant le Conseil constitutionnel mauritanien, v. notre étude : Le développement de la justice constitutionnelle en Mauritanie, Annuaire International de Justice constitutionnelle, IX, 1993, ed. Economica - PUAM, 1995, p. 31 et s.; Sur le conseil constitutionnel français, v. F. Luchaire : Le Conseil constitutionnel, Economica, 1980. 4 République, deux membres par le Président de l’Assemblée nationale, et un membre par le Président du Sénat. Ce système de désignation (désignation par des autorités politiques) peut a priori susciter la méfiance mais, en dernière analyse, l’expérience montre qu’en la matière, il n’y a pas de formule idéale. On notera donc sur ce plan qu’en dépit de ce système de nomination, les membres du Conseil constitutionnel mauritanien bénéficient de toutes les garanties d’indépendance : outre l’inamovibilité, l’article 79 de la Constitution leur accorde la même immunité reconnue aux parlementaires. Le Conseil constitutionnel exerce plusieurs fonctions juridictionnelles et consultatives. Au titre des fonctions juridictionnelles, le Conseil est compétent pour contrôler la constitutionnalité des actes juridiques fondamentaux : lois organiques, lois ordinaires, traités et accords internationaux, règlements des Assemblées parlementaires. A cet effet, le Conseil peut être saisi, selon les cas, par le Président de la République, le Premier ministre, le Président du sénat, le Président de l’Assemblée nationale. L’article 79 de la Constitution prévoit qu’il peut être également saisi par le tiers des députés ou par le tiers des sénateurs ce qui ouvre, en principe, le prétoire du Conseil à l’opposition parlementaire. En dehors du contrôle de constitutionnalité, le Conseil a reçu mission de contrôler la répartition des compétences normatives entre la loi et le règlement par le biais des procédures de délégalisation (art. 59) et d’irrecevabilité (art. 62). Enfin, le Conseil est juge de la régularité des consultations électorales majeures : élection du Président de la République, élection des députés et sénateurs, contrôle des opérations de référendum. Au titre des attributions consultatives, la Constitution prévoit que le Conseil est consulté en cas de dissolution de l’Assemblée nationale (art. 31) ou en cas de mise en œuvre par le Président de la République des pouvoirs exceptionnels prévus à l’article 39. L’article 7 de uploads/S4/ le-juge-constitutionnel-en-mauritanie.pdf

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  • Publié le Jul 23, 2022
  • Catégorie Law / Droit
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