1 Patrick Wachsmann Sur la composition du Conseil constitutionnel L e 1er mars
1 Patrick Wachsmann Sur la composition du Conseil constitutionnel L e 1er mars 2010 est entrée en vigueur une réforme attendue depuis longtemps par ceux qui souhaitaient que la protection des libertés constitutionnellement garanties contre les lois qui y porteraient atteinte puisse aussi s’exercer à l’égard des lois en vigueur et d’une manière qui n’exclue ni les titulaires des droits et libertés ni les juridictions dites ordinaires du « procès fait à la loi » quant à sa conformité à la Constitution. Cette innovation, réalisée, après deux échecs successifs, par la révision constitutionnelle de juillet 2008 ne va pas sans timidités ni sans précautions, en particulier avec l’institution d’un fltrage des questions soumises au Conseil constitutionnel, en toute hypothèse par le Conseil d’État ou la Cour de cassation. Du moins cette réforme permet- elle à la France de s’apparenter avec plus de vraisemblance qu’auparavant aux États qui connaissent une juridiction constitutionnelle et en font un instru- ment de protection des libertés. La rupture était nette par rapport à la tradition républicaine française, fondée sur le refus d’admettre qu’un organe quelconque puisse faire obstacle, fût-ce au nom de la Constitution, à la libre volonté des représentants élus du peuple. La pratique d’un contrôle préventif de consti- tutionnalité des lois, à la seule initiative d’autorités politiques limitativement désignées par la Constitution (article 61 de la Constitution de 1958) avait certes débouché sur une jurisprudence relativement abondante du Conseil consti- tutionnel, mais les conséquences, pour les justiciables et pour les juridictions ordinaires, en restaient, à tous égards, abstraites, faute précisément du moindre accès des uns et des autres à un débat qui ne pouvait concerner que les lois non encore en vigueur, durant le bref intervalle de temps qui sépare l’adoption défnitive du texte de sa promulgation par le président de la République. L’explication essentielle de l’extension enfn réalisée de l’ofce du juge consti- tutionnel pourrait bien être, par un de ces paradoxes dont l’histoire des libertés ofre maint exemple, une réaction nationaliste à l’expansion prise par ce que l’on appelle désormais couramment le « contrôle de la conventionnalité des lois », exercé sur les lois promulguées par les juges judiciaire (depuis 1975) et administratif (depuis 1989) au regard des traités internationaux garantissant Jus Politicum - n° 5 - 2010 2 les droits et libertés, au premier chef la Convention européenne des droits de l’homme à laquelle la France est partie depuis 1974. La possibilité de contester devant tout juge français la conformité des lois aux exigences de ces traités rendait difcilement explicable l’impossibilité de soutenir que ces lois étaient contraires aux dispositions de la Constitution, alors même que bon nombre des droits et libertés font l’objet d’une consécration à la fois constitutionnelle et conventionnelle. L’afrmation de la supériorité, dans l’ordre interne, de la Constitution1 s’accommodait mal de la moindre protection procurée par cette dernière aux droits et libertés 2. De sorte que l’institution de la possibilité de soulever à l’encontre d’une loi promulguée une question de constitutionnalité ne s’accompagne pas par hasard de l’afrmation de cette question comme prio- ritaire 3 – prioritaire dans l’ordre d’examen des questions de constitutionnalité et de conventionnalité par le juge judiciaire ou administratif. Les revues juridiques, les colloques scientifques, les séminaires destinés aux avocats ne cessent de scruter tous les aspects de cette réforme, abondamment vantée par ses promoteurs, en particulier le président de la République, qui tint à en marquer l’importance en parlant, le 1er mars 2010, jour même où entrait en vigueur la nouvelle procédure, d’ « une véritable révolution juridique »4. Mais à braquer aussi exclusivement le projecteur sur cette innovation procédurale, ne perd-on pas de vue ce qui aurait dû en constituer un préalable, c’est à savoir la composition de l’instance désormais investie de cette nouvelle et importante responsabilité ? On relèvera que dans les années 1970, la gauche souhaitait la transformation du Conseil constitutionnel en Cour constitutionnelle 5, ce qui supposait un tout autre mode de désignation des membres de cette instance. Sur ce point comme sur beaucoup d’autres, la conversion de la gauche aux institu- tions actuelles a été totale : à aucun moment, les projets de révision élaborés alors que François Mitterrand était président de la République ne se sont occupés de cette question. L’importance de cette dernière ne saurait pourtant être mésesti- mée, tant elle conditionne la possibilité même pour l’institution de s’acquitter des missions qu’on lui confe. Or, les trois nominations de membres du Conseil 1. Elle est appuyée, dans la jurisprudence récente du Conseil d’État (Ass., 30 octobre 1998, Sarran et Levacher et autres, Rec., p. 369), reprise par la Cour de cassation (Assemblée plénière, 2 juin 2000, Mlle Fraisse, Bull. Ass. pl., p. 7). 2. V. en ce sens les remarques critiques de Denys de Béchillon, « De quelques incidences du contrôle de la conventionnalité internationale des lois par le juge ordinaire », RFD adm., 1998, p. 225. 3. On parle désormais de « question prioritaire de constitutionnalité », en vertu de la loi organique du 10 décembre 2009 relative à l’application de l’article 61-1 de la Constitution. 4. Le Monde, 3 mars 2010. 5. V. ainsi la proposition de loi constitutionnelle n° 2856, déposée par G. Deferre le 20 décembre 1970 à l’Assemblée nationale, tendant à la création d’une Cour suprême constitutionnelle. P . Wachsmann : Sur la composition du Conseil constitutionnel 3 constitutionnel faites en février 2010 ont illustré d’une manière préoccupante les faiblesses du système actuel, de sorte qu’il nous paraît indispensable d’insister sur ces graves carences, auxquelles il devient urgent de remédier. Rappel des règles régissant la composition du Conseil constitutionnel L’article 56 de la Constitution dispose que « Le Conseil constitutionnel com- prend neuf membres, dont le mandat dure neuf ans et n’est pas renouvelable. Le Conseil constitutionnel se renouvelle par tiers tous les trois ans. Trois des membres sont nommés par le Président de la République, trois par le Président de l’Assemblée nationale, trois par le Président du Sénat (…) En sus des neuf membres prévus ci-dessus, font de droit partie à vie du Conseil constitutionnel les anciens Présidents de la République. » Le Conseil est ainsi composé de deux catégories bien distinctes de membres : ceux qui sont nommés et les membres de droit en vertu de la Constitution. Il comprend ainsi 9 + x membres 6, selon les efectifs, nécessairement variables, de la dernière catégorie. L’article 63 de la Constitution prévoit qu’ « Une loi organique détermine les règles d’organisation et de fonctionnement du Conseil constitutionnel (…) ». Or, il est singulier que ce texte ne pose pas la moindre condition de fond à laquelle devraient répondre les personnes nommées au Conseil : partout ailleurs en Europe, la Constitu- tion et/ou la loi organique applicable subordonne à des conditions strictes de capacité la nomination aux fonctions de juge constitutionnel. Il faut certes se souvenir que Hans Kelsen, qui fut à l’origine de la création en Autriche, en 1920, d’une cour constitutionnelle ensuite largement imitée, de l’Italie et l’Allemagne aux pays d’Europe centrale et orientale libérés du joug du parti unique, en passant par l’Espagne et le Portugal, avait précisément imaginé une juridiction spéciale chargée de contrôler le législateur au regard des dispositions de la Constitution parce qu’il se défait du conservatisme des juges ordinaires et craignait qu’ils n’utilisent leurs pouvoirs pour s’opposer aux réformes vou- lues par la majorité issue des élections. Une telle préoccupation interdisait de reprendre purement et simplement la solution résultant de l’arrêt Marbury v. Madison rendu en 1803 par la Cour suprême des États-Unis d’Amérique et confant à tout juge, en tant que tel, la mission de vérifer la conformité à la Constitution des lois invoquées devant lui. Mais de cette spécifcité de la cour constitutionnelle, il ne saurait nullement résulter que ses membres n’aient pas 6. De sorte qu’est mathématiquement inexacte la formule constitutionnelle selon laquelle « Le Conseil constitutionnel se renouvelle par tiers tous les trois ans. » : ce renouvellement par tiers ne peut concerner que les seuls membres nommés. Jus Politicum - n° 5 - 2010 4 à satisfaire à des conditions de compétence en matière juridique. Autrement dit, il ne s’agira pas ici de critiquer le mode de désignation adopté en France en raison de la « politisation » qu’il induit. Ce reproche serait vain et l’on pourra toujours lui opposer que les juridictions étrangères n’y échappent en aucune manière 7. Ce qui est hautement critiquable, en revanche, c’est l’absence de mention de la moindre condition de compétence juridique des membres du Conseil constitutionnel et l’ampleur des pouvoirs conférés aux trois présidents. Comme le résume Jean-Marie Denquin : « le droit comparé montre qu’il n’est jamais possible de couper tout lien entre les dirigeants, démocratiquement donc politiquement élus, et le mode de désignation des juges constitutionnels. Le mieux que l’on puisse attendre est un système qui exige, sinon un consensus des acteurs politiques, du moins l’accord de plusieurs tendances (élection par les assemblées à la majorité des deux tiers par exemple) et un choix limité à des juristes uploads/S4/ wachsmann-1299772371.pdf
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- Publié le Mar 19, 2022
- Catégorie Law / Droit
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