L’authenticité notariale Évoquer et penser l’authenticité, c’est également pens

L’authenticité notariale Évoquer et penser l’authenticité, c’est également penser la garantie collective. L’avenir de l’authenticité conditionne l’avenir de cette garantie collective. Aborder la question de l’authenticité, c’est aborder le cœur de la profession notariale. Je reprendrais une image du doyen Carbonnier lorsqu’il abordait la notion d’ordre public : l’authenticité est le rocher sur lequel repose le notariat. Si l’on tentait de définir très largement ce qu’est l’authenticité, on parlerait d’une qualité, d’une vertu que l’on rattache à un écrit, un fait, ou à un acte. Ramenée à la profession, elle est inextricablement liée à l’acte authentique, avec ses trois caractéristiques principales qui figurent au sein du Code civil : intervention d’un officier public, ici ministériel, qui est un tiers impartial et qui reçoit les actes avec les solennités requises. Art.1369 du code civil : « L'acte authentique est celui qui a été reçu, avec les solennités requises, par un officier public ayant compétence et qualité pour instrumenter. […] » En réalité, l’authenticité n’existe pas en tant que telle : c’est une interface entre un processus (l’authentification) et un résultat (l’acte notarié). L’authenticité est le lien, le trait d’union, entre ce processus et ce résultat. Quand on pense l’authenticité, on pense, au-delà, à la place de la profession notariale dans notre société. On présente le notaire comme étant « l’ombre de la société sur le contrat » (B. Reynis), mais il est davantage l’ombre de l’État sur tous les actes juridiques. En cela il joue un rôle fondamental d’interface entre intérêt général et intérêts particuliers. Ce rôle va s’intensifier dans les années à venir : - L’État a décidé de se retirer, et laisse à d’autres (au notaire notamment) le soin d’opérer un contrôle ; - Le retrait de l’État se traduit aussi par une phénomène de déjudiciarisation, dans le cadre d’une société plus conflictuelle. Tout cela dans un mouvement de pulvérisation des droits subjectifs. Le notaire, dans ce contexte, va être un représentant, un délégué de l’État, mais va aussi alléger les charges des juges. Il endosse un rôle para-judiciaire, voire judiciaire. Le notaire devient le garant de l’effectivité des droits subjectifs. L’authenticité est une vertu reconnue par tous. Cette vertu est cependant aujourd’hui en danger, elle doit aujourd’hui relever de nouveaux défis : - L’empire du marché : tout est réduit à un produit, le modèle étant celui de l’offre et de la demande. Tout a un prix. On prétend qu’il faut en ce sens créer un marché du droit. On rattache à l’empire du marché la concurrence entre les systèmes juridiques, entre common law et civil law, et la concurrence entre les professions (vers la profession unique, avec suppression de ce qui singularise le notariat. La bâtonnière de Paris en fait une priorité). Demain, l’authenticité sera-t-elle partagée, banalisée, marchandisée ? - L’emprise du numérique, avec le phénomène des algorithmes (intelligence artificielle, blockchain, etc.). Le droit lui-même devient l’objet du numérique. Demain, l’authenticité sera-t-elle déshumanisée ? désintermédiée ? De manière naturelle, un premier regard rétrospectif confirme que l’authenticité est une vertu qu’il faut préserver. Un deuxième regard plus prospectif permet de constater que cette qualité est convoitée. I. L’authenticité, une vertu à préserver Deux éléments sont au cœur de cette notion : un homme : le notaire, et un objet : l’acte authentique. A. Le notaire. C’est un officier public et ministériel. Il bénéficie à ce titre d’un statut, inextricablement lié à ce qui fait la force du notariat, l’authenticité. Ce statut et la force de l’authenticité sont reconnus par les instances européennes, malgré ce que l’on a pu en dire, notamment en 2014. En 2011 et 2015, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a considéré que les activités notariales ne participaient certes pas à « l’exercice de l’autorité publique ». (Cf. notamment CJUE, gde ch., Commission c. Belgique et autres, 24 mai 2011). Cependant, en même temps, en 2011, la Cour de justice définissait l’authenticité par le fait que le notaire est tenu de vérifier que toutes les conditions légales exigées pour la réalisation des actes sont réunies. La décision ajoute que « le notaire exerce cette vérification en poursuivant un objectif d’intérêt général, à savoir garantir la légalité et la sécurité juridique des actes conclus entre particuliers. » Cela permet de justifier un certain nombre de dérogations aux libertés fondamentales. Cet aspect ne doit pas être oublié et la Cour de justice n’a pas l’image tronquée du notariat qu’on a bien voulu nous présenter. Pourquoi un tel lien entre l’authenticité et le statut ? Le notaire est un officier public et ministériel délégataire de la puissance publique et il est tenu à un certain nombre de devoirs, qui figurent dans des règles déontologiques de la profession : devoir d’instrumenter, de confraternité, conseil, impartialité, etc. Ces règles constituent le ciment de la profession. En résumé, le notaire est garant de l’accessibilité, de l’intelligibilité et de l’effectivité des règles de droit, et c’est en cela qu’il est reconnu. Des contraintes sont liées à ce statut : tarif réglementé, dépendance économique, obligation de conservation, contrôle de l’Etat, répartition géographique… Tous ces éléments caractérisent l’authenticité, qui n’existe que parce que l’homme qui en est à l’origine exerce un service public. Demain, cette authenticité et cet homme vont répondre aux nouvelles attentes de l’État, qui va déléguer aux notaires de nouvelles fonctions, notamment para-judiciaires (certificat européen de succession par ex.), mais également une justice de l’amiable. Le notariat doit s’emparer de la médiation par exemple, car comme le dit la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) : Le notaire est « un magistrat de l’amiable » (CEDH, 21 mars 2017, n°30655/09). L’expression n’est pas anodine, elle vient insister sur le fait qu’il fait partie de la fonction judiciaire. Sans être un avocat, sans être un juge, mais en tant que notaire. Il sera d’ailleurs lui aussi soumis à l’article 6 § 1 , sur le droit à un procès équitable. B. L’acte notarié L’acte notarié est trop souvent présenté comme un frein à l’activité économique, alors que c’est tout le contraire, puisqu’il garantit la sécurité juridique. En cela, il peut être considéré comme un moteur de l’activité économique. Marie-Anne Frison-Roche (spécialiste du droit de la régulation) insistait sur ce point quand elle parlait d’un « acte de marché ». L’acte notarié n’est pas simplement une preuve, il dit/constate ce qui est vrai, qui devient alors incontestable. C’est un facteur fort de stabilité, au point que certains voient de ce fait dans le notaire un agent régulateur du marché. Comment l’authenticité est-elle liée à ce résultat qu’est l’acte notarié ? En réalité, l’acte notarié n’est pas qu’un résultat. Comme l’authenticité, il est à la fois : - Processus : l’authentification. Le notaire intervient comme contrepoids à l’accélération sociale, il se donne le temps de la vérification, de la rédaction et de la conservation (Cf. L. AYNES, « l’authenticité : droit, histoire, philosophie », La documentation française, 2014) : o Vérification : le notaire vérifie le passé pour garantir l’avenir, s’assure de la validité de l’acte qu’il instrumente. Le devoir de conseil joue un rôle fondamental. Enfin, il a un devoir de vigilance (TRACFIN). Être notaire, ce n’est pas « noter et se taire » ; o Rédaction : il dresse les actes, ce n’est pas qu’un simple témoin, un simple scribe. Il doit maîtriser l’art de la clause ; o Conservation : il conserve les actes, et si les méthodes de conservation changent avec le numérique, le principe demeure. - Résultat : l’acte authentique. L’acte notarié est un acte authentique qui confère date certaine. Cet acte permet la publicité. Il a une force probante exceptionnelle contre lequel il faut engager une procédure en inscription de faux. Il a une force exécutoire, qui n’a de sens que parce qu’elle est inextricablement liée à la force probante, cf. infra. II. L’authenticité, une qualité convoitée L’authenticité est convoitée à la fois par d’autres professions juridiques et par d’autres « prestataires » de services juridiques. A. Convoitée par d’autres professions juridiques On pense essentiellement aux avocats. L’authenticité peut-elle être revendiquée par cet acte symbolique qu’est l’acte contresigné par avocat1 ? L’existence de plusieurs professions juridiques permet-elle de dire que demain, l’authenticité sera une sorte d’authenticité hybride, d’authenticité partagée ? 1. L’acte d’avocat peut-il revendiquer un droit à l’authenticité ? L’acte contresigné est très utile, il a été reconnu au sein même du code civil (art.1374 du code civil) et il sert à régler ou réguler de nombreuses situations (règlements des relations entre fiancés, entre concubins, etc.). Cependant, dès que le législateur entend protéger une institution ou un intérêt particulier, il se tourne vers les actes authentiques, et parmi ces derniers, vers l’acte notarié (consentement à l’adoption, PMA, changement de régime matrimonial, contrat de mariage, etc.). Quoi qu’il en soit, l’acte contresigné ne peut pas être et ne sera jamais un acte authentique. 1 Ensuite « acte d’avocat » ou « acte contresigné ». Tout d’abord, parce que les rédacteurs n’ont pas le même statut : l’avocat ne veut pas des contraintes associées. L’indépendance qui uploads/S4/l-x27-authenticite-notariale.pdf

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  • Publié le Fev 01, 2021
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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