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1 www.lautreprepa.fr Corrigé proposé par Christophe André CONCOURS ENM 2015 Droit civil L’intervention du juge dans les rapports de voisinage Lorsqu’on songe à l’intervention du juge dans les rapports de voisinage, c’est la figure traditionnelle du juge de paix qui apparaît prima facie. En effet, de 1790 à 1958, c’est le juge de paix qui a eu à traiter de ce contentieux, étant appelé à répondre à des souhaits qui se manifestent encore de nos jours : proximité de la juridiction, volonté de prévention et de pacification des conflits entre voisins. Qu’en est-il aujourd’hui ? Quel est exactement le rôle du ou des juges qui ont à connaître des rapports de voisinage ? S’interroger sur les rapports de voisinage suppose au préalable de bien cerner les contours du sujet, ce qui implique trois séries de précisions, tant d’un point de vue terminologique qu’historique. D’abord, la question n’a de sens qu’au regard de la propriété foncière, car le voisinage d’une propriété mobilière est inconcevable. En effet, le voisinage se définit comme l’ensemble des personnes et des biens se situant à proximité d’un bien approprié, à quelque titre que ce soit. Ensuite, les rapports de voisinage ne doivent pas être réduits à un simple esprit de chicane, car ils impliquent souvent la mise en œuvre des notions les plus fondamentales du droit privé, qu’il s’agisse de propriété, de vie privée, ou plus largement de conflits de droits subjectifs. A Rome, le statut éminent qu’occupait le géomètre arpenteur en dit long sur l’importance qu’accordaient les romains au bornage et, plus largement, aux limites entre voisins. Enfin, les rédacteurs du Code de 1804 n’ignoraient pas cette question, mais ils la posaient en tenant compte essentiellement du voisinage entre propriétaires (bornage, clôture). Le droit de propriété exerce en effet une véritable fascination sur le législateur républicain : la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen en a fait un droit « naturel et imprescriptible » (article 2), « inviolable et sacré » (article 17). Défini à l’article 544 du Code civil, le droit de propriété y apparaît comme « le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements ». L’absolu du droit de propriété est ainsi au cœur de sa définition et des prérogatives conférées au propriétaire. Droit réel, opposable erga omnes, la propriété confère à son titulaire des prérogatives très étendues, comme en attestent notamment le droit de suite et la revendication. Il s’agit aussi d’un droit exclusif, c’est-à-dire, au sens propre, un droit d’exclure. A cette aune, le sujet renvoie, à titre principal, à la nécessaire protection de la propriété contre le voisinage. Cependant, le droit ne saurait consacrer sans limites l’égoïsme, fût-il celui du propriétaire. D’abord, la formule « de la manière la plus absolue » contenue dans l’article 544 du Code civil paraît aujourd’hui anachronique. En effet, il s’agissait aussi, dans l’esprit des rédacteurs du Code civil, de condamner définitivement la féodalité et les droits concurrents sur un même bien, tout en stabilisant la Révolution : les propriétaires de biens nationaux se voyaient conforter dans leurs droits. Ensuite, l’évolution du droit va dans le sens d’une réduction du domaine des droits discrétionnaires, au profit d’un contrôle judiciaire des prérogatives attribuées. Comme le soulignait Josserand, dans son ouvrage classique « De l’esprit des droits et de leur relativité » (1939), certains individus tendent à détourner les droits de leur fonction sociale en poursuivant une finalité antisociale. Enfin, et précisément, les données sociologiques de la question ont profondément évolué depuis 1804 : il ne s’agit plus seulement d’arbitrer un conflit entre voisins propriétaires, car à l’heure de la crise du logement, nombreux seront les voisins qui ne seront pas propriétaires, mais locataires, parfois au sein d’une copropriété. Comment dès lors traiter le contentieux des rapports de voisinage en cherchant à les pacifier comme le faisait autrefois le juge de paix ? Comment concilier harmonieusement la volonté individualiste du « chacun chez soi » et les exigences du vivre ensemble qui commandent d’éviter le « chacun pour soi » ? Nous verrons que notre droit est travaillé par une tension entre les appréciations objectives de ces rapports qui raisonnent en termes de limites et de seuils (I) et les appréciations plus subjectives qui tiennent compte des comportements des voisins (II), tant au regard du droit interne que du droit européen, puisque la fondamentalisation du droit civil se signale désormais ici, comme ailleurs. 2 www.lautreprepa.fr Corrigé proposé par Christophe André I- L’intervention du juge fondée sur une appréciation objective des rapports de voisinage Lorsque s’élève un contentieux entre voisins, nombreuses sont les dispositions légales qui viennent préciser, de façon objective, les limites entre voisins (A). Ce dispositif est complété par la théorie prétorienne des troubles du voisinage qui s‘attache, de façon tout aussi objective, à contrôler le seuil des nuisances dues à l’environnement des voisins (B). A- Les limites entre voisins De façon classique, l’intervention du juge dans les rapports de voisinage consiste à assurer la protection de la limite de chaque fonds. De là les nombreuses dispositions du Code civil régissant le bornage et l’empiètement (1) mais aussi les servitudes légales de voisinage (2) qui font l’objet d’une application souvent intransigeante de la part du juge. 1- Bornage et empiètement L'article 647 du code civil affirme le droit, pour tout propriétaire foncier, de clore son héritage. La prérogative est inhérente au droit de propriété, défini comme celui « de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue » (article 544 du Code civil). La clôture affirme ainsi la souveraineté du maître sur son bien en interdisant aux autres d'y accéder : elle est la protection, par excellence, de la possession et du rapport d'exclusivité. Comme le droit de propriété, le droit de clore est imprescriptible et il se manifeste par le bornage. Amiable ou judiciaire, le bornage contribue à la détermination de l'objet de la propriété, mais seulement à sa limite avec une propriété contiguë. Le bornage relève assurément des rapports de voisinage. C'est ce qui a conduit les rédacteurs du code civil à le ranger, aux côtés des clôtures, de la mitoyenneté, des distances de construction et de plantation, parmi les servitudes. Quant à la jurisprudence, elle affirme de façon constante que le jugement passé en force de chose jugée qui statue sur le bornage de propriétés contigües constitue pour chacun des voisins un titre de propriété définitif (Civile 21 juin 1944). Or, le tracé des limites de chaque fonds, effectué par un expert, constitue une opération à la fois matérielle et juridique dont la portée est essentielle. C’est ce dont témoigne le contentieux de l’empiètement. En effet, lorsqu'une partie seulement d'une construction est édifiée sur le terrain d'autrui, la jurisprudence refuse d'appliquer l'article 555 du code civil. Considérant qu'un empiètement n'est pas une construction, elle admet en effet que la démolition peut être exigée par le propriétaire du sol sur lequel l'empiètement a été réalisé, quelle que soit la bonne ou mauvaise foi du constructeur (Civ. 1re, 4 mai 1959). Ni le caractère minime de l'empiètement (Civile 3ème 20 mars 2002 : empiètement de 0,5 cm…), ni l'attitude du propriétaire ne peuvent écarter le respect dû à son droit. C'est par référence à l'article 545 du code civil, selon lequel nul ne peut être contraint à céder sa propriété, que la jurisprudence fonde cette jurisprudence intransigeante. Ainsi, la propriété ne se perdant pas par le non-usage, le droit à la démolition de ce qui a été fait par empiètement est considéré comme un droit imprescriptible, non susceptible d'abus (Civile 3ème 30 octobre 2013). Cette appréciation objective, qui tombe comme un couperet, est constante, même si la doctrine dénonce de longue date le caractère antiéconomique des démolitions intégrales qu’elle implique, pour des avancées parfois dérisoires sur le fonds voisin. 2- Servitudes légales de voisinage Parmi les pommes de discorde fréquentes entre voisins, les servitudes légales occupent une place de choix. Tel est le cas notamment des passages et de la mitoyenneté, des vues et jours, mais aussi des plantations. S’agissant d’abord des passages, le juge intervient en suivant à la lettre les prescriptions minutieuses du Code civil. Ainsi, lorsqu’un juge doit déterminer l’assiette d’une servitude en faveur d’un fonds enclavé, il doit se conformer aux prescriptions de l’article 683 du Code civil qui cherchent à minimiser la gêne suscitée par cette servitude en privilégiant le trajet le plus court (Civile 3ème 23 avril 1992). Plus délicate est la question de la mitoyenneté qui, en dépit de la lettre du Code civil, apparaît moins comme une servitude que comme une indivision forcée. La Cour de cassation a déjà eu l'occasion de le mettre en évidence en décidant que la mitoyenneté n'est pas soumise à l'article 706 du code civil qui dispose que les servitudes se prescrivent par le non usage trentenaire (Civile 3ème 19 février 1985) 3 www.lautreprepa.fr Corrigé proposé par Christophe André S’agissant ensuite des vues et jours, ils uploads/S4/ civil-dissertation-2015.pdf
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- Publié le Nov 07, 2022
- Catégorie Law / Droit
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