CHAPITRE I L ’histoire du droit administratif 2 Traité de droit administratif «

CHAPITRE I L ’histoire du droit administratif 2 Traité de droit administratif « Un droit n’est jamais mieux connu que lorsqu’on l’aperçoit dès son origine ». Cette affi rmation de l’un des administrativistes les plus célèbres du XIXe siècle, Jean- Baptiste Proudhon, incite à rechercher les origines du droit administratif français. Pour y parvenir, il nous paraît préférable d’adopter une démarche pragmatique consistant à rechercher les racines des règles qui sont considérées comme « adminis- tratives » depuis que le droit administratif a fait expressément l’objet d’enseignements et de publications. Car cette démarche qu’a suggérée en 1968 Francis-Paul Bénoit (Le Droit administratif français, Dalloz, 1968) est la seule qui puisse rendre à ce droit tout son passé et éclairer l’ensemble du processus de sa formation. On peut toutefois adresser deux objections à cette démarche. On peut d’abord relever que les juristes de l’Ancien Régime n’ont pas reconnu de façon formelle l’existence d’un droit administratif. Ils ignoraient cette expression, qui ne s’est répandue qu’au début du XIXe siècle, à la suite de la Révolution. Mais cette lacune ne doit pas être considérée comme décisive. Elle est invoquée à l’encontre du droit administratif alors qu’elle ne l’est pas à propos du droit civil, auquel on le compare si souvent. Pourtant, l’expression « droit civil » n’a pris que tardivement le sens qui nous est familier et qui se rattache au Code civil de 1804. Encore au XIXe siècle, elle était parfois utilisée dans son sens antérieur : elle dési- gnait le droit de la cité, le ius civile romain. Cette ambiguïté terminologique n’a pas empêché de retracer l’histoire du droit civil, au sens actuel de l’expression, en remontant jusqu’à l’Antiquité sans susciter de réserves et ce, à juste titre. Que les juristes des temps anciens n’aient pas connu les qualifi cations actuelles des disciplines juridiques ne doit pas empêcher l’historien du droit de faire usage de celles-ci quand il dégage les évolutions des règles elles-mêmes, dès lors qu’il en avertit son lecteur. Il peut faire usage de ces qualifi cations actuelles d’abord pour une raison didactique, pour mieux se faire comprendre de son lecteur. Ensuite, parfois, pour une raison de fond : l’attribution à une branche du droit d’une qualifi - cation particulière ne coïncide pas forcément avec sa naissance. Elle peut traduire simplement la prise de conscience de l’originalité d’un ensemble de règles déjà existantes, d’un droit resté jusque-là innomé. Or, tel nous paraît bien être le cas du droit administratif français. On peut toutefois avancer une seconde objection à l’encontre de la démarche pragmatique. Elle consiste à dire que, pour qu’« un droit administratif soit constitué, il faut une administration indépendante de la justice ». Or, tel n’était pas le cas avant la Révolution, justice et administration se trouvant mêlées (G. Bigot, Intro- duction historique au droit administratif depuis 1789, PUF, 2002). Parler d’adminis- tration pour l’Ancien Régime revient à procéder à « la transposition du vocabu- laire du droit public du XIXe siècle aux siècles antérieurs » (S. Soleil et C. Camby, « Histoire du droit et linguistique », in J. Poumarède [dir.], Histoire de l’histoire du droit, 2006, p. 457 s.). Cette objection apparaît incontestablement plus profonde que la précédente. Elle repose sur une argumentation d’ordre sémantique. Sous l’Ancien Régime, fait-on valoir, le mot administration est rarement employé comme substantif : « C’est l’élément d’une formule qui dans un sens qualifi e… le gouvernement de la 3 L ’histoire du droit administratif chose publique à la manière d’un administrateur de biens ». Administrer la justice ou la police, c’est « fournir ou distribuer la justice ou la police. En revanche, l’admi- nistration, au sens des personnes morales qui réglementent et gèrent les services publics n’appartient pas encore au vocabulaire des offi ciers du roi ». Il est indéniable que c’est le sens organique qui vient le premier à l’esprit quand on parle aujourd’hui de « l’administration ». Apparu au cours du XVIIIe siècle, ce sens organique a dû jouer un rôle essentiel dans la reconnaissance formelle de l’existence du droit administratif à partir de la Révolution. Mais l’absence de ce sens organique n’empêchait pas l’existence de règles dans « l’administration du royaume (ou) de l’État » entendue au sens matériel, au sens traditionnel de gestion qui était celui du mot latin administratio. Que l’administration — au sens orga- nique — soit indépendante de la justice n’est pas non plus indispensable : le cumul des fonctions de juge et d’administrateur par des organes tels que les Parle- ments n’empêcha pas l’application de règles de fond distinctes dans l’exercice de ces fonctions. Les Parlements jugeaient aussi au pénal et au civil : on ne peut en déduire que droit pénal et droit civil n’étaient pas distingués. « Faire le procès des mots services publics et fonction publique » parce qu’ils « renvoient aux catégories du droit administratif du XIXe siècle » demande de la prudence, car ces deux expressions étaient employées depuis des siècles. Certes, à notre connaissance, l’expression service public n’était pas employée au sens orga- nique sous l’Ancien Régime, mais elle était utilisée depuis au moins le XVIe siècle avec des signifi cations matérielles qui ont persisté. Si l’on ne parlait pas de « la fonction publique » de façon synthétique, on utilisait couramment l’expression pour désigner un offi ce public. L ’expression offi cium publicum se trouvait elle- même au Digeste. Courant depuis le Moyen Âge était l’usage d’autres expressions romaines, comme utilitas publica ou necessitas publica. À simple titre d’exemple, on peut citer une charte montpellieraine de 1 197 qui interdit, en s’appuyant sur le droit romain, à une femme d’exercer une « puissance publique » ou une « admi- nistration publique » (publicam potestatem, publicam administracionem). À partir de 1202, les consuls de Montpellier se qualifi ent de « recteurs et administrateurs » de leur ville (rectores et administratores universitatis). Même si les autorités munici- pales avaient souvent obtenu la concession du pouvoir de juger certaines affaires, leurs attributions judiciaires ne prévalaient pas sur leurs autres tâches au point de leur faire concevoir leur rôle comme un rôle de juge en toutes circonstances. À notre sentiment, ce qu’il convient de rechercher dans le passé, c’est l’exis- tence de règles propres à la gestion des affaires publiques. Si de telles règles n’ont pas existé, si cette gestion était totalement livrée à l’arbitraire des détenteurs du pouvoir politique, il n’y avait évidemment pas de droit administratif. Il n’y en avait pas non plus, à proprement parler, si l’on appliquait à cette gestion des affaires publiques les mêmes règles qu’à la gestion de celles des particuliers. Mais si de telles règles existaient, il faut les inclure dans l’histoire du droit administratif sans poser d’autres conditions, telles que la nécessité, pour l’administration, de disposer d’un pouvoir discrétionnaire ou de pouvoir procéder à une projection dans l’avenir. Or, dès le Moyen Âge, de telles règles ont existé en France. 4 Traité de droit administratif Rendre son passé lointain au droit administratif français a pour effet de remettre en cause la conception selon laquelle il ne serait qu’un droit mineur au regard du vénérable droit civil. En réalité, les nombreuses et diverses règles du droit civil, au sens actuel de l’expression, qui ne s’est imposé, comme on l’a dit, qu’au XIXe siècle, ont coexisté avec les multiples règles administratives du Moyen Âge à la Révolution. À partir de celle-ci, le « droit administratif » s’est substitué à cette multitude de règles administratives, les unes nationales, les autres locales. Il est devenu une véritable discipline juridique, à une époque où le droit civil a été unifi é par la codifi cation napoléonienne. Les conceptions révolutionnaires ont à l’évidence apporté des changements considérables, mais le droit administratif n’a pas surgi ex nihilo en 1789 ou en l’an VIII. Cette constatation, qui n’enlève rien à l’intérêt que présente l’étude des évolutions de ce droit aux XIXe et XXe siècles, permet de se rendre compte de ce que le droit administratif n’est pas apparu subi- tement pour dissimuler la volonté de puissance d’un homme — Napoléon — ou d’une oligarchie ploutocratique. Ce qui ressort, au contraire, c’est l’ancienneté d’un élément fondamental de la civilisation française : l’existence de règles pour limiter l’arbitraire des détenteurs de la puissance publique. Certes, il est extrêmement diffi cile d’apprécier l’écart qui séparait, dans un lointain passé, les règles fi gurant dans les documents écrits et la pratique quotidienne. Mais l’existence même de ces règles constitue un phénomène majeur, d’autant plus qu’elles étaient au cœur de véritables procès devant les juridictions de l’époque. C’est donc à l’élaboration de règles administratives sous l’Ancien Régime que sera consacrée la première section de ce chapitre. La seconde traitera de l’affi rma- tion du « droit administratif » de 1789 à 1889. SECTION 1 LA FORMATION DES RÈGLES ADMINISTRATIVES SOUS L’ANCIEN RÉGIME Pour retracer la formation de ces règles, il convient de suivre l’ordre chronolo- gique. Il faut se pencher sur leurs racines médiévales, avant d’évoquer leur déve- loppement à l’époque moderne. La généralisation uploads/S4/l-x27-hitoire-du-droit-admininstatif.pdf

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  • Publié le Jui 14, 2021
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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