1 Le contrôle de constitutionnalité des lois en France Le contrôle de constitut
1 Le contrôle de constitutionnalité des lois en France Le contrôle de constitutionnalité des lois a longtemps suscité en France une réticence certaine de la part des hommes politiques comme des juristes, tous persuadés que son introduction conduirait à une profonde altération des souverainetés législative et populaire au regard de l’article 6 de la Déclaration du 26 août 1789 («La loi est l’expression de la volonté générale»). Ils rejoignaient à cet égard la conception dégagée par Jean-Jacques Rousseau dans son ouvrage majeur «Du Contrat Social» (1762) au cours duquel cet auteur confère une supériorité juridique à la loi. Cette conception «rousseauiste» de la loi, faisant de cette dernière un acte inconditionnel, irrésistible, incontestable et irréprochable, a toujours été invoquée pour dénier à toute autorité juridictionnelle le pouvoir de contrôler la conformité de la loi à la Constitution dans le cadre d’une activité de collation des textes. D’ailleurs, comme le reconnaissait sentencieusement l’article 3 de la Section Ière (De la Royauté et du Roi) Chapitre II (De la Royauté, de la Régence et des Ministres) de la Constitution du 3 septembre 1791, «Il n’y a point en France d’autorité supérieure à celle de la Loi. Le Roi ne règne que par elle et ce n’est qu’au nom de la Loi qu’il peut exiger l’obéissance». Cette supériorité législative avait d’ailleurs déjà été posée dans l’article 12 de la loi des 16 et 24 août 1790. Dans ces conditions de sacralisation syncopée de la loi, la création d’un Conseil constitutionnel en 1958 par la Constitution du 4 octobre (Titre VII Le Conseil constitutionnel) constitue une innovation institutionnelle majeure que la pratique du régime a considérablement développée. En dépit des propos peu amènes assénés par certains au début du régime (François Mitterrand le qualifiait d’organe qu’«une simple poignée d’avoine fera rentrer à l’écurie», «Le coup d’Etat permanent», 1964), le juge constitutionnel est parvenu à occuper une place centrale, à jouer un rôle d’acteur à part entière au sein des institutions de la Ve République. Le juge constitutionnel a diligenté à travers sa jurisprudence un mouvement de «constitutionnalisation» du Droit en dégageant des principes à valeur constitutionnelle (ou des objectifs à valeur constitutionnelle) que les pouvoirs publics ne sauraient négliger. La France rejoint ce faisant les autres grandes démocraties occidentales déjà accoutumées à la «culture constitutionnelle», comportant toutes une juridiction constitutionnelle suprême (Cour suprême américaine, Tribunal constitutionnel allemand, Cours constitutionnelles espagnole et italienne). Seule la Grande-Bretagne échappe à cet ensemble, ce pays ne s’organisant pas autour d’une Constitution écrite mais de «constitutional conventions». Toutes ces institutions juridictionnelles sont donc destinées à assurer, à protéger la supériorité du texte constitutionnel et des nombreux principes qu’il recèle, afin d’empêcher l’édiction de loi liberticide et inconstitutionnelle. La présence d’un juge constitutionnel apparaît dès lors comme la condition d’un Etat de droit dans lequel l’Etat, dans 2 ses relations avec ses sujets et pour la garantie de leur statut individuel, se soumet lui-même à un régime de Droit. Ce contrôle de constitutionnalité a connu en France une consécration tardive (I). Celle-ci une fois acquise, le juge constitutionnel est entré dans une dynamique de contrôle croissant (II). I) Une consécration tardive Au-delà des oppositions doctrinales désormais dépassées, la suspicion à l’encontre du juge constitutionnel trouve son fondement dans le spectre du «Gouvernement des juges» (A), ce qui explique les échecs des premières tentatives d’institutionnalisation dudit juge (B). A) Le spectre du «Gouvernement des juges» Cette notion, répondant à une définition précise (1), emporte des conséquences dès plus contestables (2). 1) La notion du «Gouvernement des juges». Dégagée par Edouard Lambert dans sa thèse «Le Gouvernement des juges et la lutte contre la législation sociale aux Etats-Unis» (1921), cette notion inquiète en ce sens qu’elle confère un pouvoir décisionnel totalement discrétionnaire au juge constitutionnel alors même que ce dernier ne bénéficie d’aucune légitimité électorale, ni ne connaît de contrôle de quelque nature que se soit. Comme l’indiquait le Doyen Georges Vedel, «le Gouvernement des juges commence quand les juges ne se contentent pas d’appliquer ou d’interpréter des textes, mais imposent des normes qui sont en réalité des produits de leur propre esprit». C’est ce qu’énonçait le «Chief Justice» Charles Hughes en 1908 lorsqu’il affirmait: «Nous sommes régis par une Constitution, mais la Constitution est ce que les juges disent qu’elle est». Le Conseil constitutionnel français s’est cependant toujours défendu de pratiquer un tel détournement en avançant notamment «Considérant que la Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d’appréciation et de décision identique à celui du Parlement ... Il ne lui appartient pas de substituer sa propre appréciation à celle du législateur» (décision des 19 et 20 janvier 1981) ou encore que «L’objectif du contrôle de constitutionnalité est non de gêner ou de retarder l’exercice du pouvoir législatif mais d’assurer sa conformité à la Constitution» (décision du 23 août 1985). Selon les principes classiques, l’interprétation du Droit ne devrait pas entraîner la création du Droit. De plus, en vertu de la démocratie législative, le Droit n’existe que dans la loi votée et le juge n’a qu’un pouvoir limité. Par application de la séparation des pouvoirs, le juge ne peut poser le Droit d’où une interdiction des arrêts de règlement. Il reste que certains des principes contenus dans les décisions du Conseil, s’ils ne 3 traduisent pas l’exercice d’un «Gouvernement des juges», présentent toutefois des coïncidences troublantes comme nous le constaterons ultérieurement. 2) Les conséquences de la notion. La loi ne serait alors plus l’œuvre du pouvoir délibérant, à savoir les députés et les sénateurs élus, mais celle de sages, aux compétences certes reconnues par tous mais dépourvus de toute légitimité électorale. Le contrôle de constitutionnalité permettrait en conséquence à son titulaire de concurrencer les élus de la nation et au total, de substituer sa propre décision à celles des parlementaires. Les arguments dégagés par ce juge ne reposeraient sur aucun support écrit mais illustreraient une sorte de Droit naturel (néo jusnaturalisme) dont il aurait la garde et dont il serait le seul interprète. L’exemple américain illustre parfaitement cette crainte dans la mesure où la Cour suprême des Etats-Unis, véritable «pouvoir judiciaire», s’est elle-même octroyée un pouvoir de contrôle de constitutionnalité à l’occasion de son célèbre arrêt Marbury vs Madison (1803) et a dégagé des principes non contenus dans la Constitution en vertu de la théorie des «pouvoirs inhérents» («implied powers»). Le Conseil constitutionnel français, en reprenant notamment les techniques d’interprétation de son collègue administratif (erreur manifeste d’appréciation, réserves d’interprétation, proportionnalité), s’inscrit dans une démarche comparable même si la limitation quantitative de ses interventions interdit de parler de «Gouvernement des juges» (entre 1974 et 1994, sur les mille six cent lois votées par le Parlement français, seules deux cent sept ont fait l’objet d’un recours devant le juge de la rue de Montpensier). Cette propension du juge constitutionnel à intervenir et à affecter l’équilibre institutionnel comme juridique a longtemps constitué le motif principal de son refus en France. B) Les vicissitudes existentielles du juge constitutionnel français Après quelques expériences dénaturant la finalité de la technique du contrôle de constitutionnalité (1), le régime institutionnel de la France a intégré un juge constitutionnel en 1958 (2). 1) Les expériences passées. L’abbé Emmanuel-Joseph Sieyès avait certes envisagé la création d’un «jury de constitution» de cent huit parlementaires («jurie constitutionnaire») dès l’An III (discours du 2 thermidor) mais son initiative osée pour l’époque fut repoussée sans ambages, notamment par Antoine Thibaudeau pour qui «ce pouvoir monstrueux serait tout dans l’Etat et en voulant donner un gardien aux pouvoirs publics, on leur donnerait un maître qui les enchaînerait». L’époque était surtout marquée par le souci d’établir un contrôle de constitutionnalité assuré par l’opinion 4 publique elle-même dans le cadre du droit de résistance à l’oppression. L’idée fut reprise et concrétisée lors des deux Empires avec les Sénats qui assuraient un contrôle de constitutionnalité des lois. Toutefois, ces instances politiques ne sauraient être perçues comme d’authentiques juges constitutionnels réellement indépendants. Il s’agissait dans ces deux hypothèses d’un simple contrôle politique qui dénaturait assurément l’objectif du contrôle de constitutionnalité. Le texte législatif était déclaré inconstitutionnel non en raison de son incompatibilité avec la Constitution, plutôt en raison de sa non conformité avec la volonté impériale. La Constitution de la IVe République instaura pour sa part, et donc pour la première fois, une entité juridictionnelle chargée de procéder au contrôle de la conformité de la loi à la Constitution (l’article 33 du projet de Constitution du maréchal Pétain indiquait déjà que «La sauvegarde de la Constitution et l’exercice de la justice politique sont assurés par la Cour suprême de Justice» mais ce texte ne fut jamais promulgué). Le Comité constitutionnel, prévu à l’article 91, était présidé par le Président de la République, composé de sept membres élus par l’Assemblée nationale au début de chaque session annuelle à la représentation proportionnelle des groupes choisis en dehors de ses membres et trois membres du Conseil de la République élus dans les mêmes conditions. Il comprenait enfin les Présidents des deux Chambres. En fait, ce Comité possédait une composition éminemment politique uploads/S4/le-controle-de-constitutionnalite-des-lois-en-france.pdf
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- Publié le Mar 26, 2021
- Catégorie Law / Droit
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