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HAL Id: hal-01647240 https://hal.parisnanterre.fr//hal-01647240 Submitted on 23 Nov 2020 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. Le juge administratif, protecteur des libertés Danièle Lochak To cite this version: Danièle Lochak. Le juge administratif, protecteur des libertés. Association française pour la recherche en droit administratif. Les controverses en droit administratif, Dalloz, pp. 61-74, 2017, Thèmes et commentaires, 978-2-247-17033-3. hal-01647240 Le juge administratif, protecteur des libertés ? par Danièle Lochak, professeure émérite de l’Université Paris-Nanterre in Association française pour la recherche en droit administratif, Les controverses en droit administratif, Dalloz, coll. Thèmes & Commentaires, 2017, pp. 61-74 L’exercice qui m’incombe ici est délicat en raison de son aspect un peu convenu. Dans le prolongement de ma thèse, soutenue en 1970, sur Le rôle politique du juge administratif fran- çais, j’ai consacré une part importante de mes travaux universitaires à analyser, de façon cri- tique, la jurisprudence administrative en matière de libertés. À la critique académique, nuan- cée sinon feutrée, s’est ajoutée la critique associative, plus virulente, axée en particulier sur la défense des droits et libertés des étrangers. Dire d’emblée « d’où je parle » n’est pas hors de propos puisque c’est la raison même de l’invitation qui m’a été faite de venir débattre avec Jean-Marc Sauvé. Les rôles sont distribués d’avance : il me revient de démontrer que le juge administratif pourrait mieux faire dans le domaine de la défense des libertés, je me sens donc autorisée à insister principalement sur ce qui va mal. Après avoir été encensé par la majeure partie de la doctrine comme le plus sûr gardien des libertés publiques1, le juge administratif s’est trouvé confronté, dans les années 1970-80, à une contestation multiforme2. Pour rétablir une légitimité qu'on lui déniait, il a été conduit à fournir des preuves de son indépendance, à se préoccuper de l’efficacité de la justice qu’il rend, à reprendre l’initiative sur le terrain des droits de l’Homme, notamment pour prévenir les désaveux de la cour de Strasbourg. En dépit de ces évolutions positives il reste des motifs d’insatisfaction quant à la façon dont la justice est rendue ; et on peut regretter que le juge se montre parfois trop compréhensif à l’égard du pouvoir et trop influençable par l’opinion do- minante. I. Comment la justice est rendue Une série d'évolutions jurisprudentielles marquantes et un mouvement de réformes accélé- ré ont permis une meilleure adaptation de la justice administrative aux attentes des justiciables et aux exigences de l'État de droit. Mais tout n’est pas réglé pour autant : le soupçon de com- plaisance à l’égard de l’exécutif demeure latent ; l’accélération des procédures destinée à écluser les contentieux de masse débouche parfois sur des procédures expéditives ; l’intensification du contrôle juridictionnel ne joue pas forcément au profit des libertés. A. Indépendance et impartialité : la persistance du soupçon de complaisance La question de l’indépendance et de l’impartialité se pose avec une acuité particulière s’agissant d’un juge chargé de contrôler l’exécutif alors qu’il entretient avec lui des relations organiques. On connaît l’argument classique en faveur du système existant : la connaissance intime qu'a le juge de l'administration active lui donnerait une plus grande audace pour censu- rer les décisions administratives ; et l'administration, de son côté, accepterait plus facilement le contrôle d’un juge qui est proche d'elle. 1 Au moment de l’affaire Canal, Jean Rivero louait ainsi, dans Le Monde, le Conseil d’État qui, « depuis plus de cent cinquante ans, réussit ce singulier tour de force : servir à la fois l'autorité vraie du pouvoir en le gardant contre sa naturelle propension à l'arbitraire, et la liberté des citoyens ». 2 D. Lochak, « Quelle légitimité pour le juge administratif ? », in Droit et politique, CURAPP-PUF, 1993, p. 141-151. 2 En face, on conteste précisément cette proximité. Le statut des membres de la juridiction administrative n’est pas le problème essentiel : leur indépendance organique est à certains égards mieux assurée que celle des magistrats de l’ordre judiciaire, car l’emprise de l’exécutif sur les nominations et l’avancement est plus faible, le corps vivant en autogestion. Faute de temps et de place, on s’abstiendra d’évoquer ici les nominations au tour extérieur qui permet- tent, certes, d’ouvrir le corps… sur l’extérieur, mais dont certaines peuvent aisément alimen- ter le soupçon de politisation. Le problème réside plutôt dans la nature hybride des organes de la justice administrative et plus encore dans l'interpénétration entre la sphère politico- administrative et la sphère juridictionnelle. Sur le premier point, si la règle de la double affectation à une section administrative et une section contentieuse a été supprimée, ce sont bien néanmoins les présidents de section qui composent l’assemblée du contentieux et c’est la même institution qui donne son avis sur les textes qu’elle est ensuite amenée à contrôler au contentieux. On objectera qu’à cet égard la question est réglée, puisque la Cour européenne a officiellement validé, dans l’arrêt Sacilor Lormines c/ France, en 2006, le cumul des fonctions juridictionnelles et consultatives, avec des réserves que le Conseil d’État s’est empressé de faire introduire dans le code de justice administrative : ses membres ne peuvent participer au jugement d’un recours dirigé contre un acte pris après avis du Conseil d’État s’ils ont participé à la délibération sur cet avis ; et ceux qui ont à juger une affaire n’ont pas le droit de prendre connaissance de l’avis rendu s’il n’a pas été rendu public. Mais, outre qu’on pourrait ironiser sur l’idée qu’une institution comme le Conseil d’État serait tellement cloisonnée que les membres des formations contentieuses n’auraient pas connaissance, au moins de façon informelle, de ce qui s’est dit dans les sec- tions administratives, la situation reste particulièrement choquante lorsque l’acte contesté a été rendu sur avis conforme du Conseil d’État et que la question posée est exactement la même devant la section consultative et devant la section du contentieux. Le cas s’est produit récemment à l’occasion du jugement d’affaires de déchéance de nationalité : le Conseil d’État s’en est tiré ici encore par une pirouette, imaginée quelques années auparavant3, consistant à se réfugier derrière la Constitution4. À supposer même que l’étanchéité soit totale entre les formations administratives et les formations contentieuses, on peut comprendre que les justi- ciables soient amenés à douter, fût-ce à tort, de l’impartialité du juge. Ce qui peut aussi instiller le doute dans leur esprit, c’est l’osmose entre le personnel du Conseil d’État et celui des « sommets de l’État », due notamment à une appartenance com- mune au milieu homogène et soudé de la haute fonction publique et à l’essaimage des membres de la Haute assemblée vers l’administration active pour y occuper des postes de cabinet ou de direction5. Sans faire de procès d’intention ni mettre en cause l’indépendance intellectuelle des juges, il est indéniable que cette proximité entre ceux qui jugent et ceux qui décident est de nature à entretenir dans l'opinion et dans l’esprit des justiciables le sentiment que la justice administrative, c'est encore l'administration qui se juge et à faire peser sur elle le soupçon de complaisance. 3 CE, 16 octobre 2010, Association Alcaly, n° 320667. 4 CE, 8 juin 2016, M. A., n° 394348 : « Il résulte des termes mêmes de la Constitution, et notamment de ses articles 37, 38, 39 et 61-1 tels qu’interprétés par le Conseil constitutionnel, que le Conseil d’État est simultané- ment chargé par la Constitution de l’exercice de fonctions administratives et placé au sommet de l’un des deux ordres de juridiction qu’elle reconnaît ; que ces dispositions n’ont ni pour objet ni pour effet de porter les avis rendus par les formations administratives du Conseil d’État à la connaissance de ses membres siégeant au con- tentieux ». 5 Il n’est pas totalement anodin que ce soit toujours un membre du Conseil d’État qui soit placé à la tête de la DLPAJ, laquelle occupe une place stratégique pour tout ce qui touche aux libertés publiques. Et ce sont les membres du corps des TA et CAA, supposés bien connaître les arcanes et les pièges du contentieux, qu’on choi- sit en priorité pour occuper les postes clés du service du conseil juridique et du contentieux du ministère de l'intérieur. 3 Ces constats, dira-t-on, ne concernent que très marginalement les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel qui jugent désormais l’essentiel du contentieux adminis- tratif. Mais l’emprise organique que le Conseil d’État conserve sur ces juridictions dites, non sans raison, subordonnées, d’une part, son rôle de juridiction suprême joint à une absence de culture de la rébellion telle qu’elle existe (parfois) dans les juridictions judiciaires de première instance et d’appel, d’autre part, font que l’influence uploads/S4/lochak-juge-administratif-libertes-2017.pdf
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- Publié le Sep 03, 2022
- Catégorie Law / Droit
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