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Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 1 1/7 Libérer un fils Kadhafi : le projet fou au service de Sarkozy PAR FABRICE ARFI, KARL LASKE ET ANTTON ROUGET ARTICLE PUBLIÉ LE VENDREDI 5 NOVEMBRE 2021 Le Parquet national financier (PNF) a élargi le champ de l’affaire Mimi Marchand/Takieddine à des soupçons de corruption de magistrats au Liban. Le but : faire libérer l’un des fils Kadhafi, afin que la famille de l’ancien dictateur libyen dédouane Nicolas Sarkozy. Noël Dubus, Mimi Marchand, Nicolas Sarkozy et Hannibal Kadhafi © Photomontage Sébastien Calvet / Mediapart avec AFP L’histoire de la fausse rétractation de Takieddine dans l’affaire des financements libyens prend une nouvelle ampleur judiciaire. Le dossier tournait jusqu’ici autour de soupçons de « subornation de témoin » et d’ « association de malfaiteurs » en lien avec les déclarations de l’intermédiaire Ziad Takieddine en faveur de Nicolas Sarkozy, que la justice suspecte d’avoir été monnayées par des proches de l’ancien président français. Il est en train de déboucher sur un possible scandale international. Selon les informations de Mediapart, le Parquet national financier (PNF) a élargi, le 14 septembre, le champ des investigations à deux nouveaux délits, et non des moindres : la corruption, passive et active, de personnel judiciaire d’un État étranger. D’après des éléments récemment découverts par l’enquête, plusieurs personnes déjà mises en cause dans le volet Takieddine du dossier sont en effet suspectées d’avoir pris part à un projet fou : faire sortir de prison Hannibal Kadhafi, l’un des fils de l’ancien dictateur libyen, moyennant le paiement de magistrats au Liban, où il est incarcéré. Le but ? Obtenir de lui, en contrepartie, des déclarations d’innocence au profit de Nicolas Sarkozy. Nicolas Sarkozy lors du 76e congrès de l'Association nationale française des experts-comptables à Bordeaux, le 8 octobre 2021. © Photo Philippe Lopez / AFP Des messages de la femme d’affaires Michèle Marchand, surnommée « Mimi », patronne de l’agence de paparazzis Bestimage et intime des couples Sarkozy et Macron, semblent indiquer que Nicolas Sarkozy était informé du projet de libération de Hannibal Kadhafi. Mais au-delà de ce nouveau front judiciaire qui s’ouvre, les investigations ont également considérablement progressé sur l’un de ses aspects les plus cruciaux : le financement des différentes étapes de la rétractation de Ziad Takieddine au profit de l'ancien chef d’État français. Mediapart fait le point sur les avancées d’une enquête explosive. • I. Libérer un fils Kadhafi pour Sarkozy : les secrets de l’opération Hannibal Tout est parti de la découverte d’une série de messages confidentiels entre deux hommes, Noël Dubus, l’un des architectes de l’opération Takieddine, et un certain Ali S., présenté par Dubus comme un général du renseignement libanais, fils d’un membre éminent du Hezbollah. Déjà impliqué dans la rétractation de Ziad Takieddine, Ali S. a ensuite été mobilisé pour une seconde opération autrement plus périlleuse visant, là encore, à affaiblir l’accusation dans l’affaire des financements libyens de Nicolas Sarkozy. Fin 2020, Noël Dubus s’est en effet mis en tête de faire libérer Hannibal Kadhafi, l’un des fils de l’ancien dictateur libyen, actuellement en détention au Liban. En échange de quoi l’intermédiaire français, en contact avec la famille Kadhafi en Égypte et Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 2 2/7 en Tunisie, comptait obtenir des déclarations visant notamment à expliquer qu’un document révélé par Mediapart en 2012 sur la promesse de financement libyen de la campagne Sarkozy était un faux, bien que les tribunaux français aient définitivement jugé du contraire. Restait donc à faire libérer Hannibal Kadhafi pour enclencher la machine. Noël Dubus a organisé le paiement de juges libanais avec Ali S., selon des échanges de messages entre les deux hommes. « Aux alentours du mois de mai 2021, Noël Dubus, avec qui je travaille sur le dossier libyen “Hannibal Kadhafi”, a eu besoin de 100 000 euros pour payer des juges au Liban », a d’ailleurs admis devant des policiers la communicante Anne Testuz, proche de Noël Dubus, avant de rectifier en parlant ensuite de frais d’avocats. Contacté, l’avocat de l’intermédiaire français n’a pas répondu à ce stade à notre sollicitation. Devant les enquêteurs, son client avait expliqué que les fonds étaient destinés à payer la défense de Hannibal Kadhafi. Le 30 décembre 2020, Ali S. explique à Noël Dubus qu’« aujourd’hui, [il] a rencontré le juge pour le saluer. Il m’a interrogé sur notre ami libyen qui est en prison ».« Dans un premier temps, je dois le voir en prison », précise Noël Dubus, en ajoutant : « Après ce sera plus facile car la famille [Kadhafi] me fera confiance. » Alors qu’Ali S. lui demande de venir au Liban, Noël Dubus effectue deux voyages sur place du 27 janvier au 3 février, puis du 7 au 10 février. Pendant ces déplacements, l’intermédiaire rend compte de certains de ses rendez-vous à Hamadi M., présenté comme le directeur du protocole de l’ambassade libyenne à Paris. C’est lui qui met en contact Noël Dubus avec la famille Kadhafi, a indiqué aux enquêteurs une ex-assistante de Dubus. En novembre 2020, déjà, Noël Dubus lui avait envoyé une copie du document libyen publié par Mediapart en 2012, avant de le tenir informé de l’opération Takieddine dans Paris Match. Dans ses échanges avec Noël Dubus, Hamadi M. parle d’un « client », en lien avec un « correspondant » à Tunis, qui attend l’évolution du dossier Hannibal avec « impatience ». Visiblement méfiant, il doute parfois de la capacité de son interlocuteur à parvenir à ses fins, et rappelle qu’il joue sa « crédibilité » sur ce coup. « Tu sais que c’est très sensible », le prévient- il, le 26 janvier. Pour préciser les choses, Noël Dubus lui envoie, le 22 février, un document intitulé « Dossier Hannibal », élaboré « après discussions avec les personnes concernées ». Le plan prévoit notamment de verser la somme de « 350 000 euros + 250 000 euros pour le juge », lorsqu’il « confirmera la libération de Hannibal par une caution ». Ce à quoi devront s’ajouter, dans les 48 heures suivant la libération, « 500 000 euros pour un haut responsable de la Cour suprême de justice », ainsi que « 80 000 euros » afin de « clôturer » un autre dossier visant Hannibal Kadhafi, indique Noël Dubus. Il explique qu’il attend alors l’« accord » d’un membre de la famille Kadhafi. Le 28 février, Ali S. confirme à Noël Dubus avoir « rencontré le procureur général », « il m’a demandé ce qui s’est passé avec vous concernant le travail ». Le 11 mars, Ali S. relance l’intermédiaire français : « Bonsoir, monsieur Noël, pourriez- vous me donner la décision finale concernant M. Hany ? » Dubus répond dans la foulée : « Nous allons le sortir grâce à toi. »« J’espère que tout ira bien », poursuit Ali S., expliquant toutefois être « gêné avec le chef du Conseil supérieur de la magistrature ». L’affaire prend du retard, en raison notamment de la « rotation des juges » sur place, prévient Ali S., le 30 mars. Mais à cette date, Noël Dubus et son acolyte libanais fomentent un autre coup : l’incarcération au Liban de Ziad Takieddine, avec qui les relations semblent s’être rafraîchies. Après l’opération Paris Match à la fin de l’année 2020, M. Takieddine s’était vu promettre des financements en millions d’euros, qu’il n’a finalement jamais vus arriver. « Ziad, il entrera dans la cage au cours de cette semaine », explique ainsi Ali S. à Noël Dubus, le 30 mars. Deux jours plus tard, l’agent libanais se fait plus précis : « Lundi [5 avril] est un jour férié [lundi de Pâques], il va à la police, et mardi, il sera à l’intérieur Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 3 3/7 de la prison. » Le 6 avril, à 14h56, Ali S. confirme : « Ziad est entré dans la cage. Félicitations cher monsieur. »« Bravo !!!! », le félicite Noël Dubus, dans la minute. Ziad Takieddine a bien été incarcéré à cette période, sur des bases judiciaires inconnues à ce jour. Hannibal Kadhafi, assistant à un défilé marquant le 40e anniversaire du régime de son père à Tripoli, le 2 septembre 2009. © Photo Mahmud Turkia / AFP Ce dossier bouclé, Ali S. revient sur le fils Kadhafi : « Demain, je rencontrerai le procureur général… Y a-t-il du nouveau dans le dossier Hannibal ? », demande-t-il. « La famille est OK », répond Noël Dubus. Mais le 19 avril, Ali S. fait part d’un problème : « Nous devons travailler le plus tôt possible sur le dossier Hannibal avant de changer le nouveau système judiciaire. Cela pourrait arriver bientôt. » Deux jours plus tôt, en effet, la ministre de la justice par intérim Marie-Claude Najm s’est publiquement insurgée, après une nouvelle affaire mettant en cause l’instrumentalisation de la magistrature libanaise, contre ce « pouvoir judiciaire (…) incapable de lutter contre la corruption ». « Semaine prochaine tu pourras régler le second uploads/Finance/ 2021-11-05-mediapart-sur-sarkozy.pdf

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  • Publié le Mar 26, 2021
  • Catégorie Business / Finance
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