1 Idées fausses et faux débats à propos de la monnaie Réflexion à partir de la
1 Idées fausses et faux débats à propos de la monnaie Réflexion à partir de la « loi de 1973 » Alain Beitone 24 mars 2012 Introduction : En 1988, dans leur bilan critique du débat sur la « courbe de Laffer », Bruno Théret et Didier Uri 1 utilisaient la distinction entre les discours « exotériques » (ceux du grand public, des politiques et des médias) au sein duquel la fameuse courbe a eu un grand succès et les discours ésotériques (la littérature scientifique) qui permettent de montrer la très faible pertinence empirique et théorique de la thèse de Laffer. On rencontre aujourd’hui le même problème (amplifié par internet) à propos de la « loi de 1973 ». On ne peut qu’être frappé par le fait qu’aucun des grands manuels ou ouvrages de référence sur la monnaie (Plihon, Patat, Goux, De Mourgues, Ottavj, Bordes, Jacoud, Aglietta, Allegret et Courbis, Coupey-Soubeyran, Delaplace, etc.) ne fait la moindre référence à un bouleversement majeur qui serait intervenu en 1973 et qui marquerait une rupture décisive dans l’histoire monétaire et l’histoire du financement public. On ne trouve pas non plus de publication scientifique (recherche dans Google Scholar, dans Persée, dans Cairn) qui traiterait de cette question sous cet angle. Par contraste, il y a une immense production exotérique, sur internet avec des sites consacrés à la question, des vidéos, des forums, des interventions multiples du divers militants « anti loi de 1973 » sur des forums parfois sérieux (A. Holbecq est inscrit comme « économiste » sur le Cercle des Echos où il côtoie donc H. Sterdyniak, J. Stiglitz, etc.). Certaines vidéos (« L’argent dette de Paul Grignon, des conférences d’Etienne Chouard, des interventions de N. Dupont-Aignan, Marine Le Pen ou A. Soral) ont été vues des milliers de fois et sont diffusées par divers canaux. Par exemple la vidéo « La dette expliquée en quelques minutes » a eu un énorme succès, s’est retrouvée sur des sites militants progressistes, a été utilisée comme point de départ de réunions publiques sur la dette organisées par des mouvements de la gauche radicale, etc. Au point que, dans certains milieux militants, la culpabilité de la « loi de 1973 » appartient au domaine des évidences. Faut-il se réjouir de cette participation d’un public très large au débat sur les questions monétaires ? Pas sur de telles bases. Certes, les économistes n’ont pas le monopole des débats sur la monnaie, pas plus que les physiciens n’ont le monopole des débats sur le nucléaire. En dernière instance, les questions politiques doivent être tranchées par les citoyens. Mais encore faut-il que les citoyens soient éclairés par une information de qualité et par une présentation claire des enjeux. Or, en l’occurrence, c’est un rouleau compresseur de contre-vérités, d’approximations et de confusions qui conduit à présenter comme évidentes des « solutions » dont la portée politique se révèle des plus suspectes. 1 B. Théret et D. Uri, La courbe de Laffer dix ans après : un essai de bilan critique, Revue économique, Année 1988, Volume 39, Numéro 4, pp. 753-808. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/reco_0035-2764_1988_num_39_4_409096 2 I. Ce qu’est la loi de 1973 et ce qu’elle n’est pas La « loi de 1973 » reste d’actualité. Dans son « non débat » avec Jean-Luc Mélenchon (23 février 2012), c’est le seule « argument » avancé par Marine Le Pen. Dans le numéro de mars d’Alternatives économique, un lecteur reproche à la rédaction de ne pas avoir fait « une seule allusion à la loi Giscard du 3 janvier 1973 » dans le numéro hors-série consacré à la dette2. Essayons de faire rapidement le point sur cette fameuse loi. a) Abroger une loi déjà abrogée ? D’innombrables textes et déclarations (et même plusieurs pétitions) exigent l’abrogation de la loi de 1973…qui a été abrogée en 1993. Certes, ajoutent les mieux informés, la loi a été abrogée mais remplacée par le Traité de Maastricht. Ce dernier, selon Nicolas Dupont-Aignan, aurait « sacralisé » la loi de 1973. Cet « argument » appelle deux objections. D’une part, si c’est le Traité de Maastricht qui est en question, pourquoi continuer à dénoncer la loi de 1973 ? D’autre part, il y a une différence majeure entre ces deux textes : la loi de 1973 maintenait un financement direct du Trésor par la Banque de France, ce qui disparait dans le Traité de Maastricht. Raison de plus, donc, pour dénoncer le Traité de Maastricht plutôt que la loi de 1973. Pourquoi cette fixation sur cette loi ? Je ne vois pour ma part qu’une explication : cette loi est aussi appelée loi « Pompidou-Rothschild » ou plus simplement « Loi Rothschild ». Et cette référence permet d’alimenter l’idée (parfois explicite sur certains sites) selon laquelle Pompidou et Giscard sont des traitres à la Patrie qui ont vendu le droit de « battre monnaie » aux banques privées. b) La loi de 1973 attribue-t-elle aux banques privées le droit de créer la monnaie ? Outre qu’à l’époque les principales banques de dépôt étaient publiques, il est bien évident que le pouvoir de création monétaire des banques de second rang est bien antérieur à la loi de 1973. c) Est-ce à partir de 1973 que l’Etat commence à emprunter sur les marchés ? La réponse est évidemment négative ! L’émission de bons du Trésor, vendus par les percepteurs aux paysans et commerçants prospères n’a rien de récent. Au XIXe siècle les chambres de commerce reprochent à la « haute banque » d’opérer sur les « rentes » d’Etat au lieu de financer les petites entreprises et elles revendiquent l’ouverture de nouveaux comptoirs de la Banque de France pour permettre aux entreprises d’accéder au crédit. On se souvient aussi de l’emprunt Pinay. Edwin Le Héron le rappelle aussi : « L'État a depuis plusieurs siècles (c'était déjà vrai sous Louis XIV et même avant) toujours payé des intérêts sur la dette qu'il émettait, tout simplement parce que sinon personne ne lui prêterait »3. 2 Autre exemple récent, Le site de la FNAC annonce la réédition en avril 2012 du livre d’A.J. Holbecq « Argent, dettes et banques ». Ce livre fait l’objet d’un « coup de cœur » d’un vendeur de la FNAC qui écrit : « une révélation : l'Etat (c'est-à-dire nous tous) a perdu le droit de battre monnaie, la monnaie est devenu un outil qui sert d'abord des intérêts privés. Pour résumer ce brillant essai : la dette a commencée le jour ou l'Etat a cédé son droit de permettre à la Banque de France de financer le trésor public, en 1973 ». http://livre.fnac.com/a4062924/Andre-Jacques-Holbecq-Argent-dettes-et-banques 3 E. Le Héron, Questions/réponses sur les emprunts d’Etat, 29 janvier 2012, 3 d) La loi de 1973 marque-t-elle une rupture dans les rapports entre la Banque de France et l’Etat ? Pas du tout. L’acte d’accusation porte généralement sur l’article 25 de la loi4 qui indique : « Le Trésor public ne peut être présentateur de ses propres Effets à l’escompte de la Banque de France ». Cela aurait conduit à soumettre l’Etat aux marchés financiers. Le seul ennui pour cet « argumentaire », c’est que cet article ne change rien à la situation qui existait depuis…1936. L’article 13 de la loi du 24 juillet 1936 (texte signé par L. Blum et V. Auriol) précise en effet : « Tous les Effets de la dette flottante émis par le Trésor public et venant à échéance dans un délai de trois mois au maximum sont admis sans limitation au réescompte de l’Institut d’Émission, sauf au profit du Trésor public ». Ce qui veut donc dire que, dès cette époque, le Trésor ne pouvait pas être le présentateur de ses propres effets à l’escompte. De plus, les contempteurs de la loi de 1973 mettent en avant le fait que si la loi autorise les avances de la Banque de France, ces avances doivent être approuvées par le Parlement5. L’article 19 de la loi précise en effet : « Les conditions dans lesquelles l’État peut obtenir de la Banque des avances et des prêts sont fixées par des Conventions passées entre le Ministre de l’Économie et des Finances et le Gouverneur, autorisé par délibération du Conseil général. Ces Conventions doivent être approuvées par le Parlement ». Mais, là encore, il n’y a rien de nouveau. L’article 135 du décret du 31 décembre 1936 indique le montant total des avances consenties par la Banque de France à l’Etat et la date des conventions et Traités (votés par le parlement) qui ont autorisé ces avances. Au demeurant, le 17 septembre 1973, en application de la loi votée en janvier de la même année, une convention approuvée par le Parlement fixe le plafond des avances que la Banque peut accorder au Trésor à 20,5 milliards de francs (dont la moitié à titre gratuit)6. Par conséquent, lorsque le site « Alterinfo » publie un texte dans lequel on trouve le texte suivant, il s’agit soit d’un grave déficit d’information, soit d’un mensonge délibéré : « 3 janvier 1973, réforme de la uploads/Finance/ alain-beitone-ide-es-fausses-et-faux-de-bats-a-propos-de-la-monnaie-re-flexion-a-partir-de-la-loi-de-1973.pdf
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- Publié le Jan 31, 2021
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