1 L’usure comme mort sûre de La communauté La Torah interdit de prêter avec int
1 L’usure comme mort sûre de La communauté La Torah interdit de prêter avec intérêt1. Diverses raisons ont été avancées pour le justifier. Si l’objet de la Torah est avant tout moral, il semble naturel de l’associer à une dénonciation de la cupidité. Nous verrons qu’une telle raison n’est pas soutenable. On sera donc amené à analyser ce qu’est un prêt, et à en distinguer différents types : prêt à la consommation, prêt à la production et prêt au logement. Il faudra alors justifier les prises d’intérêt dans chaque cas, et d’en discuter leurs légitimités. En particulier nous montrerons que le prêt à la consommation ne peut en aucun cas prétendre à une perception d’intérêts. Le Ritva voudra, à partir de cette prise de profit abusif, comprendre l’interdit du profit usuraire visé par la Torah. Cette thèse retrouvera un lointain écho chez Jorion. Nous montrerons que cette interprétation n’est pas tenable et n’est globalement pas tenue par les auteurs les plus classiques. Nous montrerons enfin que cet interdit pourra se comprendre à l’aide d’une analyse précise du prêt à la production. Le cas du prêt au logement sera alors pris comme une introduction à un vaste problème : celui de la prise de gage en contrepartie d’un prêt. I- L’interdit du prêt à intérêt comme interdit moral : la cupidité. La Torah nous interdit de prêter avec intérêt à trois reprises. כב פרק שמות ספר כד )אִם כֶּסֶּף ַּ לְוֶּה ת אֶּת ִ י עַּמ אֶּת הֶּעָנִי ָ ְך עִמ ֹלא ִ הְ יֶּה ת לֹו ֶּ ה כְנש ֹלא ִ ימּון ְ ש ת עָלָיו ֶּך נֶּש Si tu prêtes de l’argent à ton peuple, au pauvre qui est avec toi, ne soit pas pour lui comme un créancier, ne lui prenez pas d’intérêt. כה פרק ויקרא ספר לה )וְכִי יָמּוְך ָאחִ יָך ָ טָה ּומ יָדֹו ָ ְך עִמ ְָ ת וְהֶּחֱזַּק ּבֹו גֵּר ָ ב וְתֹוש וָחַּי ָ ְך עִמ: לו )ַאל ַּ ח ִ ק ת ֵּ אִתֹו מ ֶּ ְך נֶּש ְ ּבִית ַּ ר וְת ֵָּ את וְיָר ֵּ אֱֹלהֶּ יָך מ וְחֵּי ָאחִיָך ָ ְך עִמ: לז )אֶּת כַּסְפְָך ֹלא ֵּ ן ִ ת ת לֹו ֶּ ְך ּבְנֶּש ְ ּבִית ַּ ר ּובְמ ֹלא ֵּ ן ִ ת ת ָאכְלֶָּך: Si ton frère s’écroule, si tu vois chanceler ses biens, soutiens-le, fut-il étranger et nouveau venu et qu’il vive avec toi. N’accepte de sa part ni profit ni intérêt, mais crains ton Dieu, et que ton frère vive avec toi. Ne lui donne pas ton argent avec intérêt, ni tes aliments pour en tirer profit. כג פרק דברים ספר כ )ֹלא ִ יְך ַּ ש ת ִלְָאח יָך ֶּ ְך נֶּש כֶּסֶּף ֶּ ְך נֶּש אֹכֶּל ֶּ ְך נֶּש כָל ָ בָר ד ֶּ ר אֲש ָ ְך יִש 1 Dans la suite le mot usure ne sera pas à comprendre comme un intérêt démesuré pris en contrepartie d’un prêt, mais comme un synonyme d’intérêts sur un prêt. Nous ne distinguerons pas non plus un intérêt pris sous forme de somme forfaitaire ou d’un pourcentage. 2 ִ י לַּנָכְר ִ יְך ַּ ש ת ּולְָאחִ יָך ֹלא ִ יְך ַּ ש ת Ne demande pas d’intérêt de ton frère, ni pour de l’argent ni pour de la nourriture, ou pour toute chose susceptible d’accroissement. A l’étranger tu prêteras avec usure. Bien que ce dernier verset indique que l’on pourra prêter à l’étranger avec usure, le Talmud tentera (BM2 70b) de le comprendre de la façon suivante : ‘ à l’étranger tu n’emprunteras pas avec usure’. Cependant que Maïmonide affirmera : רמב"ם הלכות מלוה ולוה פרק ה הלכה א העכו"ם א וגר תושב לוין מהן ומלוין אותן ברבית שנאמר לא תשיך לאחיך לאחיך אסור ולשאר העולם מותר On emprunte et on prête avec usure à l’idolâtre et à l’étranger résidant, comme il est dit : « Tu ne prêteras avec usure à ton frère. », de là on comprend qu’il est autorisé de prêter avec usure à tout autre personne. Cette conclusion sera reprise dans le Tour (159 de Yoré Déa). Il n’est pas nécessaire ici, de justifier la conclusion légale – ce qui a déjà fait couler beaucoup d’encre - retenons simplement qu’il n’est pas interdit de prendre de l’usure à un non-juif d’après la Torah. Cependant les sages limiteront cette permission en précisant que le profit usuraire avec les non-juifs ne sera permis que pour se nourrir, mais non pour s’enrichir. D’après le Torah, pourquoi serait-il permis de prêter avec intérêt à un non- juif ? Il me semble que fondamentalement l’usure ne transgresse pas la morale universelle : l’emprunteur ne se fait pas forcer la main, même s’il est dans la difficulté, c’est de son plein gré qu’il accepte de payer un intérêt3 ! La Torah n’y voit pas là un excès de violence, comme elle interdirait le vol d’un non-juif. En revanche l’interdit de prêt avec usure entre juifs, montre que la Torah encourage une relation de fraternité entre juifs, la Torah vise à former un certain lien de communauté et de confiance entre les pratiquants. On le voit clairement : la cupidité n’est pas l’origine de l’interdit du prêt à intérêt. On se demande d’ailleurs si une loi a sérieusement un jour envisagé d’éliminer un tel caractère d’entre les hommes ? N’en déplaise à Zola, qui en décrit si bien les arcanes, mais – comme c’est à chaque fois le cas des chrétiens sécularisés - il ne fait que dire et redire le message chrétien, en s’en prétendant affranchi, il n’est pas interdit de s’enrichir ! 2 Dans la suite BM, AZ et BB désignent respectivement les traités Baba Métsia, Avoda Zara et Baba Batra. 3 A moins que l’on ne dise que l’on n’emprunte avec intérêt que parce qu’on y est forcé. Ce qui me semble un usage abusif du concept « anous », être forcé. 3 C’est ici que commence notre travail : comment cerner le mécanisme du prêt à intérêt ? Mais c’est ici aussi qu’il faut avertir le lecteur que le travail qu’il va lire demande patience et réflexion, car il nous faut faire face à la lourde tache de comprendre ce que la Torah peut bien nous dire, à nous modernes, sur un problème dont les termes semblent avoir été totalement remis en question par la montée du capitalisme. Nous nous proposons donc de montrer que ce qui semble être une problématique inédite dans l’histoire de l’humanité a en réalité été largement discutée depuis fort longtemps…C’est dire qu’il ne faut pas parler de ces sujets comme historiquement datés et dans un contexte particulier, mais d’en cerner les arcanes internes et logiques plutôt que de ressasser le caractère inouï de ‘l’époque qu’il nous est donnée à vivre’ ! II- Trois types de prêts et la perception d’intérêts. Nous nous aidons d’une étude de Paul Jorion « l’Argent mode d’emploi », dont nous donnons les extraits suivants. « Je vais aborder le mécanisme de la génération d'intérêts à partir des cas les plus généraux que j'examinerai par le biais de trois illustrations : un prêt bancaire obtenu en vue d'acquérir un réfrigérateur, un deuxième en vue d'acheter une maison, enfin un troisième pour pouvoir cultiver mon champ l'année prochaine. 1) Le crédit à la consommation La banque me prête de l'argent pour acheter un réfrigérateur. Il ne me faudrait épargner que trois mois pour réunir la somme nécessaire. J'estime néanmoins avoir besoin du frigo dès maintenant. Je vais donc devoir m'acquitter d'intérêts. L'inconvénient du coût supplémentaire me semble justifié par l'avantage de pouvoir utiliser l'appareil ménager dans l'immédiat4. Pourquoi la banque exige-t-elle de moi un intérêt ? D'abord, parce que le taux d'intérêt comprend une prime de risque de crédit: la banque s'assure contre le fait que certains emprunteurs ne rembourseront pas les sommes empruntées, elle me fait aussi payer les frais de gestion que mon prêt implique pour elle, elle s'accorde en outre un profit : la marge bancaire, enfin, et à moins qu'elle ne me prête de l'argent constitué de dépôts sur des comptes courants, il s'agit d'argent qu'elle aura elle-même emprunté et sur lequel elle acquitte elle aussi des intérêts : son cout de financement - ce qui nous ramène accessoirement à la question de savoir pourquoi elle en verse. Comme l'a dit un jour un commentateur sur mon blog : les intérêts sont une commission étalée dans le temps. Où vais-je moi, l'emprunteur, trouver l'argent qui me permettra d'acquitter des intérêts sur l'achat d'un réfrigérateur ? (…)Gardons cette question en réserve et 4 L’argument semble tout à fait recevable et demande une discussion. 4 notons simplement que le réfrigérateur lui-même ne m'aura pas aidé à trouver l'argent nécessaire à son remboursement, ou d'une manière très indirecte, disons en m'évitant de consommer des aliments avariés et en m'aidant, du coup, à rester en vie. Cette dernière remarque peut sembler empruntée à Alice au pays des merveilles, on verra plus tard pourquoi elle est en réalité essentielle. Que se passe-t-il si j'échoue à uploads/Finance/ l-x27-usure-ou-ribit-f-benhamou.pdf
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- Publié le Jan 15, 2021
- Catégorie Business / Finance
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