La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 255-256 – Finance mai

La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 255-256 – Finance mai-août 2012 153 Dossier III Concepts et pratiques alternatives Les produits financiers alternatifs au Maroc : Pratique et perspectives par Bouchra Radi et Imane Bari Bouchra RADI Enseignante de comptabilité, de contrôle de gestion et d’audit à l’École Nationale du Commerce et de Gestion (ENCG), Université Ibn Zohr, Agadir. Maroc. Professeur habilitée à diriger les recherches en « Économie et Gestion », spécialité : Gestion. Chercheur en gestion, finances, développement durable et responsabilité sociale des entreprises. Membre du laboratoire Entreprenariat Finance et Audit, École Nationale de Commerce et de Gestion, Université Ibn Zohr, Agadir Maroc. Imane BARI Enseignante de comptabilité, mathématiques financières et stratégie des entreprises à l’École Supérieure de Technologie d’Agadir (ESTA), Département Techniques de Management, Université Ibn Zohr, Maroc. Doctorante en Sciences et Techniques de Gestion, Labo. : Entrepreneuriat Finance et Audit, École Nationale de Commerce et de Gestion, Université Ibn Zohr, Agadir Maroc. L e nombre d’institutions financières islamiques dans le monde est passé d’une seule en 1975 à plus de 300 dans plus de 75 pays. Elles se sont concentrées dans le Moyen-Orient et l’Asie du Sud-Est (le Bahreïn et la Malaisie sont les principaux centres), mais apparaissent aussi en Europe et aux États-Unis. Le total de leurs avoirs dans le monde est estimé à 1 000 milliards de dollars US et il augmente d’environ 15 % à 20 % par an. Cet essor peut être expliqué par trois raisons : la forte demande du grand nombre de musulmans, qui recherchent des services financiers conformes à la Charia ; l’augmentation de la manne pétrolière, qui fait exploser la demande d’investissements accep- tables dans la région du Golfe et la compétitivité des produits de la finance islamique, qui attire les investisseurs, musulmans ou non. (M. Qorchi, 2005) Toutefois, Les banques islamiques ne sont pas encore autorisées à opérer directement sur le territoire marocain, malgré leurs maintes tentatives. La banque centrale (Bank Al Maghrib - BAM) a néanmoins cédé aux pressions internes, en élaborant, en octobre 2006, le cadre réglementaire pour trois produits conformes à la Charia islamique : Ijara, Mourabaha et Moucharaka. L’objet de notre article est d’étudier l’expérience marocaine en la matière, notamment en analysant les contraintes de commer- cialisation des trois produits à travers la synthèse des études réalisées et le recueil des avis des gestionnaires bancaires et des conseillers et spécialistes en finance islamique. À ce titre, nous allons commencer par examiner le secteur bancaire marocain, les principes et avantages du banking islamique et la situation marocaine avant d’analyser les risques et les difficultés de mise en place ainsi que l’adaptation progressive du contexte. 1. Physionomie du secteur bancaire marocain Aucune économie ne peut véritablement se développer sans être soutenue par un secteur financier jouant pleinement et effica- cement son rôle, particulièrement en tant qu’accompagnateur de l’entreprise et du secteur privé. Au Maroc, le législateur a voulu doter le système bancaire et financier d’un cadre juridique moderne, ouvert, évolutif et adapté La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 255-256 – Finance 154 Dossier III Concepts et pratiques alternatives mai-août 2012 aux différentes mutations. L’objectif est de renforcer son rôle dans la collecte des dépôts et le financement de l’économie, et d’appuyer les efforts d’investissements dans le secteur privé. Cependant, ces aspirations restent encore insatisfaites en raison des facteurs intrinsèques à ce système. 1.1.  Historique du système bancaire marocain La libéralisation du système bancaire a été entamée en 1991 à travers diverses mesures, dont : – la levée de l’encadrement du crédit et le remplacement du contrôle quantitatif direct par des mesures qualitatives indirectes (réserve monétaire, ratio de solvabilité, de liquidité et de division de risque…) ; – la libéralisation des taux d’intérêt créditeurs et la libéralisation progressive des taux d’intérêt débiteurs, avec institution d’un taux de référence variable mensuellement pour les crédits à long terme et annuellement pour les crédits à moyen et long termes ; – la suppression des emplois obligataires, exception faite pour certains qui sont destinés à disparaître progressivement, et la permission donnée aux établissements bancaires d’émettre des certificats de dépôts – titres dont la maturité varie de 10 jours à 7 ans –, qui devrait renforcer leurs ressources longues. La déréglementation bancaire avait pour but l’accroissement de l’efficience, en assurant une meilleure allocation des ressources, en réduisant le coût de l’intermédiation et en renforçant le rôle du système bancaire dans la collecte des dépôts ; ceci afin de soutenir la croissance économique, notamment par le dévelop- pement des crédits d’investissements. La loi bancaire de 1993, qui est survenue dans ce contexte, visait la promotion du développement économique par le biais de la mobilisation de l’épargne et de la bancarisation de l’économie. Après l’achèvement de la suppression des emplois des banques en juin 1998, l’effort des autorités monétaires s’est orienté vers le renforcement de la concurrence entre les banques, ce qui s’est traduit par un renforcement de la solidité du système bancaire et une décrue significative des taux d’intérêt débiteurs (F. Oualalou, 2002). La loi n° 34-03, a été adoptée afin de remédier aux lacunes de la loi de 1993, notamment en ce qui concerne le rôle des commissaires aux comptes qui se trouve raffermi et étendu à la vérification du respect des dispositions comptables et pruden- tielles et à l’évaluation de l’adéquation du système de contrôle interne des établissements concernés. Les différentes réformes du système bancaire avaient comme objectif d’accroître l’efficience du secteur financier. Elles comptaient tirer un ensemble d’avantages, tels que l’améliora- tion des circuits de financement suite à un accroissement de la concurrence et une affectation optimale des ressources ; l’aug- mentation des gains de productivité grâce à une rationalisation de l’activité bancaire et financière ; la baisse consécutive des coûts d’intermédiation et la diversification de l’offre. Les effets escomptés peuvent être divisés en deux catégories : les effets liés à la modification des taux d’intérêt et ceux liés à l’allocation des ressources. Grâce à l’effet marge, il est possible d’assister à une diminution des taux d’intérêt réels avec des conséquences favorables sur l’investissement ; en même temps, l’amélioration des circuits de financement de l’économie devrait permettre une meilleure exploitation des avantages comparatifs en favorisant l’affectation des ressources dans les emplois les plus intéres- sants, les plus rentables et, par conséquent, améliorer l’efficacité économique nationale (Centre Marocain de Conjoncture, 2002). 1.2.  Caractéristiques de l’environnement bancaire marocain Actuellement, le système bancaire marocain est diversifié en termes d’actionnariat, incluant des participations étrangères très significatives. Il est aussi caractérisé par un niveau de concentra- tion assez relatif (les quatre premières banques contrôlent plus de 50 % du marché). Les entrées et les sorties dans le secteur sont peu nombreuses et la distribution des parts de marché est relativement stable. En effet, celles-ci sont dominées par peu de banques et la compétition en matière de prix est très faible. L’existence d’un certain contrôle sur le taux et la déficience du marché financier crée un environnement dans lequel les banques n’ont pas de concurrence avec d’autres sources de financement. La supervision des banques est assez forte, que ce soit au niveau du système global (par la banque centrale) ou au niveau de chaque banque. De ce fait, l’organisation interne des établis- sements de crédit souffre d’un excès de centralisation. En effet, les décisions importantes, notamment celles relatives au crédit, sont traités par les services centraux, ce qui réduit les agences régionales à de simples collecteurs de dépôts, alourdit les circuits d’octroi de crédit et désharmonise la redistribution des ressources issues du système. Ceci peut s’expliquer notamment par le fait que les meilleures compétences en matière d’analyse de risques relèvent des sièges, alors que dans les agences il y a un manque de compétences. Ce qui réduit les analyses de risque, lors de la demande d’un crédit, à des procédures de pure forme dont les erreurs éventuelles seront couvertes par une prise de garantie (Conjoncture, 2005). La concentration du système et la faiblesse de concurrence faussent donc le jeu d’un marché libéral et permet de procurer des avantages consistants à certaines entreprises et d’en désavantager d’autres, spécialement les PME. Ces dernières ont des difficultés importantes d’accès au crédit bancaire, elles voient leurs demandes de crédit refusées, principalement à cause du manque ou d’insuffisance de garanties (estimées lourdes), et accessoirement par manque de confiance, soit vis-à-vis de l’activité de l’entreprise, soit vis-à-vis de l’entrepreneur lui-même (F. Mourji, A. Mourji & A. El Gourch, 2001). Par conséquent, elles ne peuvent pas accéder au financement de leurs activités et de leurs investissements. La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 255-256 – Finance 155 Dossier III Concepts et pratiques alternatives mai-août 2012 Plus encore, les PME ont encore un accès très limité aux finan- cements spécialisés (crédit-bail, factoring…) et le capital-risque reste jusqu’à maintenant peu développé et élitiste. D’un autre côté, les banques ont affiché une forte liquidité, (le rapport liquidité/total des actifs a pratiquement doublé entre 1998 et 2004, passant de 62.7 % à 120.8 %). uploads/Finance/ avantage-pdf.pdf

  • 42
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager
  • Détails
  • Publié le Jul 26, 2022
  • Catégorie Business / Finance
  • Langue French
  • Taille du fichier 0.8376MB