Azouz Begag : Le gone du Chaâba, Paris, Le Seuil, Coll. Points Virgule, 1986. E

Azouz Begag : Le gone du Chaâba, Paris, Le Seuil, Coll. Points Virgule, 1986. Extraits pour des commentaires de textes L’attaque des prostituées (pp. 54-55) Le maître et les bouquets de lilas (pp. 74-76) Le gant de toilette, le chritte et la kaissa (pp. 98-99) Les chaussettes de Moussaoui (pp. 100-104) La visite de la mère à l’école (p. 190-191). Le « baiser obscène » à la télévision (pp. 198-199) M. Loubon et le livre de Jules Roy (pp. 215-218). La meilleure note (pp. 224-227) L’attaque des prostituées (pp. 54-55) Sur le trottoir, le commerce de bonheur éphémère va bon train. Deux putes travaillent à l'intérieur des voitures, tandis que les mâles qui attendent leur tour trépignent d'impatience dans leur véhicule. Bien camouflés, les guerriers du Chaâba attendent « leur hache ». Soudain, Rabah porte deux doigts à sa bouche et siffle. Tous les gamins se redressent vigoureusement sur leurs jambes, parfaitement synchrones. Je me baisse. Mes genoux s'entrechoquent sous l'effet de la peur. Une pluie de cailloux s'abat sur les voitures comme de la grêle. Les carrosseries encaissent le choc. Des pare- brise volent en éclats. Les hommes et les femmes sortent des voitures, à découvert, sont accueillis par une radée de pierres, s'enfuient dans toutes les directions, les mains sur la tête. La pute qui a joué les gros bras avec la Louise a pris elle aussi ses jambes à son cou. Dans sa fuite, son sac à main s'est ouvert et son contenu s'est répandu sur la chaussée. Trois gamins se roulent par terre pour se disputer des pièces de monnaie. Soudain, un homme intrépide d'une quarantaine d'années fait face aux assaillants, leur crie - Bande de p'tits bougnoules ! Vous croyez que je vais vous laisser faire les caïds dans notre pays ? Il regarde dans ma direction, précisément où je me suis fait lilliputien. Décidément, je n'ai pas de chance, l'homme s'approche. Son visage est crispé. Il fallait bien que ça tombe sur moi! - Rabah ! Rabah ! Le bonone veut me choper! Au secours! Quatre guerriers accourent dans son dos et le fusillent. Il s'enfuit enfin loin de moi. Le combat cesse et le chef ordonne le repli au Chaâba. - Allez! Courez tous! A ce jeu-là, je suis toujours le premier, surtout quand il s'agit de s'éloigner d'un danger. Exténué, j'arrive le premier au Chaâba. Depuis son jardin, la Louise a suivi le déroulement du combat. En constatant les ravages causés à l'ennemi, elle se frotte les mains. - Bravo! bravo les gones. Vous avez tous mérité un grand café au lait. Allez! Que tout le monde me suive! Devant son portail, on se bouscule. Chacun revendique sa part au combat. A Hacène qui se tient à côté de moi, je lance : - T'as vu le bonone qui s'est approché de moi? - Non. - Eh ben, il voulait me choper. Je lui ai fait peur tout seul. J'lui ai balancé une bôche en plein dans la tête, à ce hallouf. Il s'est sauvé. - T'as pas eu peur? - Peur? C'est lui, ouais, qu'a eu peur... Le maître et les bouquets de lilas (pp. 74-76) - Donnez-moi deux bouquets! me dit une vieille dame en s'arrêtant brusquement devant moi. Je me baisse pour saisir les fleurs déposées à terre. Alors elle met la main dans mes cheveux, tripote une bouclette et me félicite - Quels jolis cheveux vous avez! Je reste perplexe devant son sourire. Les bouquets à la main, elle poursuit son chemin en se retournant tous les trois mètres. - Donnez-moi deux bouquets, s'il vous plaît! - Oui, m'sieur ! Lesquels vous voulez? Je choisis deux bouquets au hasard et les tends à l'homme en le regardant dans les yeux, encore sous le choc du compliment de la vieille dame. Soudain, mon bras tendu, au bout duquel sont accrochés les deux bouquets, fléchit sous un second choc. M. Grand, mon maître, là, juste en face de moi. Je vacille. Il s'empare des bouquets, en souriant. Rouge de honte, je baisse mon regard et me fais tout petit dans mon pantalon de velours trop large. Le maître n'a pas de mal à deviner mon émoi. - Bonjour, Azouz ! Combien je vous dois? Que faire? Me sauver, peut-être? Non. Il va croire que je n'ai pas ma raison. Je suis coincé de bas en haut, incapable de sortir le moindre mot. Il me prend la main, y dépose trois pièces de 1 franc et me rend les bouquets de lilas avant de disparaître au milieu du marché. J'ai dû perdre au moins dix de mes vingt kilos. Lorsqu'il a disparu derrière les étalages, je cours voir Moustaf : - Je m'en vais. J'arrête. Je retourne au Chaâba, lui dis-je. - T'es devenu fou ou quoi ? Tu vas retourner à ton coin - Non, je m'en vais! Et je m'enfuis en direction de la maison, abandonnant mes fleurs sur le marché. Comment vais-je faire, lundi, en retrouvant mon maître à l'école ? Que faut-il lui dire ? Va-t-il parler de ce qu'il a vu devant tous les élèves de la classe ? La honte! Je crois que le hasard m'a joué un très mauvais tour. Est-ce que c'est bien, pour la morale, d'aller vendre sur le marché des fleurs qu'on a seulement cueillies dans la forêt ? Non. Quand on est bien élevé, on ne fait pas des choses comme celle-là. D'ailleurs, au marché, il n'y a pas de petits Français qui vendent des lilas, seulement nous, les Arabes du Chaâba. J'ai passé l'après-midi à me tourmenter l'esprit. Je n'ai pas vu le dimanche s'enfuir. Le lundi matin, après une nuit terrible,. j'ai retrouvé M. Grand, non sans avoir pris garde de contourner le directeur et son équipe. Avant d'entrer dans la salle, il m'a glissé quelques mots gentils à l'oreille pour me mettre à l'aise. Je sais maintenant que je lui ai fait pitié. Il a dû se dire : « Ce petit étranger est obligé d'aller travailler sur les marchés pour aider ses parents à s'en sortir! Quelle misère et quel courage! » J'ai été très heureux, conscient d'avoir marqué des points alors que je craignais d'avoir tout perdu. J'ai eu envie de rassurer mon maître, de lui dire : « Arrêtez de pleurer, monsieur Grand, ce n'est pas pour gagner ma vie que je vais vendre mes bouquets au marché, mais surtout pour fiche la paix à ma mère. Et puis je me marre bien quand je vois les Français dépenser leur argent pour acheter des fleurs que la nature leur offre à volonté. » Mais je me garde bien de changer l'image que le maître a désormais de moi : un garçon courageux, plein de bonne volonté. En somme, un enfant bien conforme à la morale. Le gant de toilette, le chritte et la kaissa (pp. 98-99) - Que faut-il pour bien se .laver ? demande à nouveau le maître. Trois élèves lèvent le doigt. - M'sieur ! M'sieur ! gazouillent-ils comme des nouveau-nés dans un nid d'oiseau. M. Grand attend un instant que d'autres demandent la parole, puis il reformule sa question - Avec quoi vous lavez-vous tous les matins ? - M'sieur ! M'sieur ! sifflent toujours les téméraires. - Jean-Marc, fait le maître en le désignant du doigt. Il se lève - Une serviette et du savon ! - C'est bien. Et quoi d'autre ? - Du shampooing ! dit un autre. - Oui. Quoi d'autre encore ? Une idée jaillit dans ma tête. Instinctivement, je lève le doigt au ciel, ignorant les reproches que m'ont adressés les cousins il y a quelques minutes. - Azouz ! autorise M. Grand. - M'sieur, on a aussi besoin d'un chritte et d'une kaissa ! - De quoi ? ? ! fait-il, les yeux grands ouverts de stupéfaction. - Un chritte et une kaissa ! dis-je trois fois moins fort que précédemment, persuadé que quelque chose d'anormal est en train de se passer. - Mais qu'est-ce que c'est que ça ? reprend le maître, amusé. - C'est quelque chose qu'on se met sur la main pour se laver... - Un gant de toilette ? - Je sais pas, m'sieur. - Comment c'est fait ? Je lui explique. - C'est bien ça, dit-il. C'est un gant de toilette. Et vous, vous dites une kaissa à la maison ? - Oui, m'sieur. Mais on l'utilise seulement quand on va aux douches avec ma mère. - Et un chritte, alors, qu'est-ce que c'est ? - Eh ben, m'sieur, c'est comme beaucoup de bouts de ficelle qui sont entortillés ensemble et ça gratte beaucoup. Ma mère, elle me frotte avec ça et je deviens même tout rouge. - Ça s'appelle un gant de crin, conclut-il en souriant. Je rougis un peu mais il m'encourage - C'est bien de nous avoir appris ça, en tout cas ! Un bref silence s'ensuivit. Puis il se mit à nouveau à nous exposer la théorie de l'hygiène. Je me rendis compte qu'au Chaâba uploads/Finance/ azouz-begag.pdf

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  • Publié le Oct 02, 2022
  • Catégorie Business / Finance
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