La dette publique du Maroc: lecture critique d’articles académiques Abdelkader

La dette publique du Maroc: lecture critique d’articles académiques Abdelkader Berrada, économiste Revisiter des écrits académiques portant sur la dette publique au Maroc dans le but d’y voir clair, tel est l’objectif premier de cette chronique. Quelle que soit la forme qu’elles revêtent (articles publiés dans des revues à comité de lecture, ouvrages collectifs, mémoires de Masters, etc.), les recherches sur cette question capitale durant les deux dernières décennies laissent perplexes et suscitent de graves interrogations. Le périmètre autant que les composantes et le chiffrage de la dette publique ne ressortent pas clairement des textes étudiés, ce qui fausse la compréhension d’une problématique aussi importante qui interpelle les économistes et les politiques. On comprend par là que les fondamentaux de la recherche scientifique ne sont pas toujours respectés. Trois principales raisons intimement liées semblent être à l’origine de ce dévoiement: 1. Les auteurs de ces travaux présentés dans l’ordre chronologique n’ont pas cherché à se documenter correctement, d’autant plus qu’au Maroc l’accès à des informations en nombre suffisant et fiables n’est pas chose aisée. 2. La soumission des écrits publiés à l’appréciation de lecteurs/éditeurs peu versés dans le domaine ou complaisants. 3. L’encadrement de recherches par des professeurs à tout faire. Qu’est ce que la dette publique? 1 Une lecture attentive des articles publiés durant les deux dernières décennies par des universitaires marocains ne permet pas d’y apporter une réponse claire et pertinente. Dans ces conditions, donner un coup de pied dans la fourmilière s’impose comme un impératif scientifique. Après tout, il n’y pas de raisons pour que les lecteurs fassent les frais de manquements volontaires ou involontaires. I. Mohamed Boussetta, économiste Mohamed Boussetta, professeur universitaire, s’est livré à une analyse de la dette publique au Maroc en rapport avec le déficit budgétaire sur les périodes 1970-1992 (premier article1) et 1983-1999 (deuxième article2). L’idée centrale qui ressort de ses deux articles qui se chevauchent en grande partie est que «l’accumulation de la dette publique» s’explique par «la persistance de déficits budgétaires considérables». A partir du moment où il a fait largement appel à des données chiffrées «labélisées» (Bank Al Maghrib, Ministère de l’économie et des finances) et pris soin d’indiquer les sources bibliographiques sur lesquelles il s’est appuyé pour argumenter ses propos, il semble difficile de balayer d’un revers de la main le lien établi par l’auteur entre le déficit budgétaire et la dette publique. Cela étant, il reste cependant à préciser ce qu’on entend par dette publique. Dans le corpus de l’économie et des finances publiques, la dette qui se nourrit des déficits budgétaires successifs porte un nom, la dette intérieure et extérieure du Trésor ou publique directe. Est-ce bien 1 Boussetta, M. (1995), «Financement public, déséquilibres budgétaires et accumulation de la dette publique au Maroc», Annales Marocaines d’Economie, revue de l’Association des économistes marocains, n°11, troisième année, pp.71-82. (Voir notamment le tableau 3 : «Evolution de l’encours de la dette publique au Maroc 1970-1974», p.74. Source: rapports de Bank Al Maghrib ; et le tableau 5 : « Evolution des encours de la dette extérieure 1975- 1982», p.76. Source : Ministère des finances). 2 Boussetta, M. (2000), «La dette publique au Maroc: évolution, contraintes et perspectives», Critique économique, n°2, pp.71-80 (Voir notamment le tableau 8 : «Evolution de l’encours de la dette extérieure 1983-1993», p.81. Source: Ministère des finances). 2 le cas? La réponse est non. Plusieurs dérapages méthodologiques sont à relever. 1. Mis à part de nombreuses erreurs de chiffrage de la dette en valeur absolue ou relative, l’auteur confond dette publique et dette extérieure publique. Dans les deux articles cités, au Maroc l’encours de la dette publique rapporté au PIB s’élève à 14% en 1974 (1995, P .74), 97% en 1983 et 59,4% en 1999 (2000, p.75). En réalité il s’agit plutôt de la dette extérieure dont la composition diffère d’un tableau statistique à l’autre sans la moindre indication. La «dette externe» présentée dans le tableau 3 (p. 74, 1995) correspond à la dette extérieure du Trésor. Par contre, «l’encours de la dette extérieure» présenté dans les tableaux 5 (p.76, 1995 et 2000) et 8 (p. 81, 1995) englobe la dette directe (Trésor) et garantie (établissements et entreprises publics notamment). 2. Une lecture erronée du tableau n°3 (p. 74, 1995) qui retrace l’ «évolution de la dette publique au Maroc» durant le quinquennat 1970-1974 est aussi source de confusion. Les indications chiffrées ou non qui s’y rapportent proviennent du bulletin «Etudes et Statistiques » publiés par la Banque du Maroc (n°75, mars 1979, tableau IV-2, p.64). Fondamentalement, il s’agit de la dette intérieure et extérieure du Trésor, c’est-à-dire publique directe. Les commentaires associés à ce tableau statistique nous permettent toutefois de conclure que M. Boussetta s’est fait une fausse idée du type de dette publique dont il est question (cf. 1). Cet auteur ne s’est pas rendu compte que le montant exprimé en dollars US de la dette extérieure publique en 1974 auquel il a fait référence (1.218 millions$) diffère de celui mentionné dans le tableau n° 3 et exprimé en dirhams (4.340 millions DH). Ce montant regroupe non seulement la dette du Trésor (tableau n°3) mais aussi la dette garantie par l’Etat au profit des établissements et entreprises publics (EEP). 3 3. L’auteur de ces deux articles persiste à croire que tout comme la dette intérieure du Trésor, la dette extérieure est la conséquence directe d’une accumulation de déficits budgétaires sans cesse renouvelés. Ceci revient à forcer l’interprétation puisqu’en réalité l’encours de la dette extérieure publique qui se dégage des tableaux statistiques 5 et 8 porte aussi bien sur la dette du Trésor que sur celle garantie par l’Etat. On en déduit donc que le déficit budgétaire n’est pas, en dépit de son importance, le seul facteur explicatif de l’accumulation de la dette publique; les besoins de financement du secteur des EEP, totalement ignorés par M. Boussetta, sont eux aussi à l’origine d’un endettement en constante progression. Il faudrait toutefois souligner qu’il existe deux types de dette garantie: extérieure et intérieure. Les tableaux statistiques mentionnés auparavant ne comportent pas de données relatives à la dette intérieure garantie, ce qui conduit à sous-évaluer la dette publique. Mohamed Karim, économiste (3) Le chapitre 7 consacré à la dette publique présente plusieurs faiblesses et donc peu de valeur (pp.135-150). A cet égard, il convient de mentionner plus particulièrement (1) des intitulés trompeurs, des redondances inutiles ainsi que des erreurs de formulation et de chiffrage, (2) un défaut manifeste de cohérence auquel s’ajoute une définition tronquée de la dette publique. 1. Des erreurs à la pelle 1.1 Il y a lieu de relever de prime à bord que l’intitulé de ce chapitre est trompeur: «Dette publique directe et évaluation de sa soutenabilité» (p. 135). En fait, il s’agit de la dette publique directe (Trésor) et garantie (entités publiques autres que le Trésor). L’encours de la dette intérieure et extérieure garantie est mentionné à deux reprises dans le texte (pp. 140-141). Il est fait également état des montants (tirages) mobilisés en lien avec la dette extérieure garantie (p.142). 4 T out comme pour le chapitre VII, la même remarque vaut pour la première section intitulée «Profil de la dette directe du Trésor» (pp. 135-144). Pour s’en convaincre, il suffit de lire à une exception près (p. 136) les pages correspondantes. La «dette intérieure du Trésor» (pp.137-140) et la «dette extérieure du Trésor» (pp.140-144) qui ont fait l’objet de deux paragraphes consécutifs portent plutôt sur la dette publique aussi bien directe que garantie. 1.2 Ce texte comporte également des redondances, ce qui le rend indigeste. On s’en aperçoit aisément en l’examinant. , Il se singularise en même temps par des erreurs de formulation. Comme l’écrit l’auteur du texte à propos de la charge d’amortissement de la dette publique extérieure (pp.143- 144), en 2008 «la répartition des amortissements par groupe de créanciers montre les indicateurs suivants: *«Les banques commerciales ont réglé 40% ou 5,4 milliards de dirhams dont 4,6 milliards de dirhams au titre de l’Euro-bond de 2003» (souligné par nous); ------------------- (3) Karim, M. (2010 ) Viabilité des finances publiques marocaines, éditions l’Harmattan, pp.135-150. *«Les institutions internationales ont remboursé 33% ou 4,4 milliards dont deux milliards de dirhams pour la Banque Internationale pour la reconstruction et le Développement» (souligné par nous) (souligné par nous); *«Les créanciers bilatéraux ont réglé 27% ou 3,7 milliards de dirhams dont la France qui a reçu un montant de 1,5 milliard de dirhams» (souligné par nous). A vrai dire, les montants indiqués et leurs équivalents en valeur relative ont été remboursés (réglés) par l’Etat chérifien aux banques commerciales et aux (les) créanciers multilatéraux et 5 bilatéraux et non l’inverse. En pareil cas, le verbe régler signifie précisément «payer les montants qui sont dus» ou «ce qu’on doit». Paradoxalement, M. Mohamed Karim a, à une exception près (France), pris les créanciers pour des débiteurs. Les développements consacrés à la question de la répartition de la charge d’amortissement de la dette publique extérieure par groupe de créanciers prêtent de ce fait à confusion. 1.3 Les erreurs de chiffrage uploads/Finance/ berrada-texte-dette-publique.pdf

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  • Publié le Jui 21, 2022
  • Catégorie Business / Finance
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