83 B/ La contribution variable des Scop et Scic aux « dispositions à coopérer »

83 B/ La contribution variable des Scop et Scic aux « dispositions à coopérer » sur un territoire Nous commencerons d’abord à voir le lien qu’ont établi les économistes spécialistes du territoire entre la qualité des relations entre les acteurs au sein d’un territoire et sa performance (1°). Nous montrerons ensuite que les Scop et Scic sont susceptibles de contribuer de façon importante aux « dispositions à coopérer » et de ce fait, à activer ce qui constitue une ressource territoriale majeure (2°). Nous finirons en introduisant de la nuance quant à l’importance de cette contribution et de la diversité quant à sa nature selon les cas (3°). 1°) Performance des territoires et qualité des relations entre les acteurs La discipline de l’économie territoriale a connu une vraie mutation depuis quelques décennies en apportant de nouvelles vues sur les dynamiques territoriales à travers des notions comme le « système productif localisé » (SPL). Elle a mis en avant, pour ce qui nous intéresse ici, l’activation des ressources comme déterminant de ces dynamiques et explications des inégalités de développement territorial. Nous renvoyons à des lectures académiques ceux qui sont intéressés par cette présentation d’ensemble63. Un auteur, entre autres, symbolise bien ce point de vue. Il s’agit de Pierre Veltz qui met en rapport l’analyse des transformations productives, en particulier le nécessaire dépassement de la dichotomie classique entre industrie et service, et les ressorts des dynamiques propres aux territoires. Ce que nous retenons de cet auteur, par exemple dans son dernier ouvrage sur « la société hyper- industrielle »64, est l’accent mis sur la qualité des relations entre les acteurs comme source de performance économique. « Les acteurs d’une filière productive ont besoin de durée, de mémoire, d’expériences partagées construisant des formes d’assurance mutuelle et de confiance qui accélèrent les apprentissages et créent progressivement une performance collective. Cela explique largement le rôle croissant des tissus territoriaux dès lors qu’ils mettent en jeu de véritables tissus de relations et d’expériences partagées et pas seulement une proximité passive » (p. 11, chapitre 5). L’argumentation n’est certes pas nouvelle et les « théories de la proximité » développées au sein de l’école grenobloise y ont grandement contribué depuis les années 199065. Sans vouloir en retracer une généalogie exhaustive, il est bon de rappeler qu’un grand économiste de la fin du 19ème siècle, Alfred Marshall, avait déjà mis en avant à l’époque ce qu’il appelait l’« atmosphère industrielle », expliquant les effets d’agglomération sur un espace géographique des entreprises par les avantages mutuels qu’elles trouvent à être situées à proximité les unes des autres. Cette perspective est donc bien argumentée aujourd’hui et on peut encore citer une étude économétrique récente66 qui compare les performances économiques de deux villes similaires en termes de taille, d’infrastructure, de ressources humaines, etc. dont l’une est en plein dynamisme tandis que l’autre est en déclin. Pour l’auteur de cette étude, 40% du différentiel de dynamisme s’expliquent par la qualité des relations entre les acteurs locaux, publics et privés, ce qui renvoie à une sorte de « capital social » que les territoires réussissent à accumuler plus ou moins. C’est une façon de comprendre ce que les économistes territoriaux appellent le développement en « peau de léopard » 63 Courlet C., Pecqueur B. (2013), L’économie territoriale, Collection L’économie en +, PUG, Grenoble. 64 P. Veltz (2017), La société hyper-industrielle, collection La République des idées, Seuil, Paris. 65 Pecqueur B., Zimmermann J.-B. (ss. La dir.) (2004), Economie de proximités, Hermès science publications : Lavoisier, Paris. 66 F. Vallerugo (2012), Les variables explicatives de la dynamique des territoires, Institut des Villes et des Territoires, Essec. Référence trouvée dans G. Lacroix, R. Slitine (op. cit.), p. 87. 84 pour désigner la coexistence de territoires « vides » et « pleins », sans que leurs différences de dotation en capital naturel, productif ou même humain ne semblent en être la cause. C’est bien un « capital » que constitue la capacité des acteurs à se coordonner et à coopérer, capital qui demande des « investissements » pour être accumulé et qui peut être utilisé pour un résultat productif, au même titre que le capital humain ou matériel. De plus, c’est un des déterminants des phénomènes d’agglomération des acteurs sur des espaces géographiques délimités du fait des externalités cumulatives procurées par la proximité, ce qui est à l’origine des écarts importants de développement entre les territoires67. « La coopération intelligente entre les acteurs joue un rôle décisif dans la réussite économique territoriale » synthétisent Lacroix et Slitine (op. cit., p. 87). Or, tous les acteurs sur un territoire ne favorisent pas une telle coopération et ce, pour de multiples raisons. Par exemple, le type d’activité économique dont ils sont à l’origine nécessite plus ou moins de relations externes ; ces relations externes peuvent être basées sur des modalités plus coopératives ou concurrentielles selon la configuration du marché ; ou encore, et ceci est plus proche de notre sujet, leur projet organisationnel est centré sur le seul intérêt de leurs membres ou prend en compte l’intérêt des parties prenantes externes. Si nous osions un néologisme, nous parlerions de « coopérativité » pour désigner cette capacité particulière des acteurs, en reprenant un terme technique, issu de la chimie, qui désigne « une propriété des protéines, enzymes ou des récepteurs, qui possèdent deux ou plusieurs sites permettant de fixer des substrats ou des ligands. Une protéine est dite coopérative lorsque les fixations des différents ligands ne sont pas indépendantes, mais se renforcent mutuellement » (source Wikipédia). Ce terme nous semble adéquat pour mettre en avant le fait que certains acteurs sont susceptibles d’entraîner la coopération autour d’eux, de diffuser une sorte d’« atmosphère coopérative » en reprenant l’expression marshallienne. Ce terme a aussi l’avantage d’admettre un antonyme, l’« anti-coopérativité », qui pourrait correspondre précisément au fait que certains acteurs bloquent au contraire l’entrée dans une dynamique collective d’émergence de la coopération. Au-delà de cette proposition terminologique, ce qui nous importe est d’argumenter sur les apports des Scop-Scic au dynamisme territorial par leur capacité à engendrer de la coopération entre les acteurs, c’est-à-dire leur supposée « coopérativité ». C’est ce que nous allons maintenant voir. 2°) L’apport des Scop et Scic aux « dispositions à coopérer » sur un territoire Notre propos ici va être de relier les capacités d’un territoire à faire émerger de la coopération entre les acteurs à la présence des entreprises particulières que sont les Scop et Scic. Celles-ci sont susceptibles, selon nous, de contribuer de façon importante à activer cette ressource dont on a vu le rôle majeur qu’on lui reconnaît aujourd’hui dans la performance économique territoriale. L’argumentation déployée va reposer sur les constats retirés de nos observations de terrain présentées dans la sous-partie précédente (A). L’honnêteté nous pousse à admettre que nous posons encore beaucoup d’hypothèses et qu’il ne s’agit pas de propositions que notre étude de terrain démontrerait en toute rigueur. L’essentiel du travail reste à faire, mais c’est une première avancée que de mettre au 67 Cf. Chapitre 4 in C. Courlet et B. Pecqueur (op. cit.). 85 jour des pistes montrant de potentiels « effets de levier »68 sur le développement territorial liés à l’action de ces entreprises. La « coopérativité » particulière, ou du moins remarquable, des Scop et Scic est liée à 4 capacités propres qu’on peut leur reconnaître, bien que à des degrés variables, et dont les apports aux « dispositions à coopérer » au sein d’un territoire passent par des voies plus ou moins directes : 1. La capacité à nouer elles-mêmes des relations de coopération Nous avons relevé cette capacité, en particulier à travers les relations inter-coopératives avec des exemples d’actions de soutien, de solidarité, de collaborations entre les Scop, etc. (Cf. chapitre 4/A/2°). Elle s’observe aussi à travers l’appartenance à des réseaux mêlant des acteurs très divers, que ce soit d’autres OESS ou des entreprises classiques (Cf. chapitre 4/A/3°). C’est à mettre en relation avec les valeurs dont elles sont porteuses qui, pour certaines sont directement mises en œuvre à travers des projets de développement local qui reposent sur la mise en action conjointe de différents acteurs locaux (Cf. chapitre 3/A/2°). Les Scic, en elles-mêmes, représentent des organisations multi- partenariales qui créent de la coopération autour d’un projet collectif (Cf. chapitre 3/A/3°). Les illustrations ne manquent pas dans l’ouvrage récent de Draperi et Le Coroller (2016). Cette capacité à la coopération des Scop et Scic est donc impliquée de la façon la plus directe qui soit dans l’accroissement des dispositions à coopérer sur un territoire. De plus, non seulement les Scop et Scic créent ainsi de la coopération directement, mais elles peuvent aussi par capillarité -concrètement mise en œuvre par la circulation des valeurs et des personnes-, diffuser cette modalité de relation. Toutefois, cette capacité à rentrer dans des relations de coopération admet des limitations. Elles résident d’abord dans l’objet social même des Scop et Scic qui peuvent parfois être centrées sur l’intérêt collectif de leurs membres qui ne coïncide pas forcément avec un intérêt plus uploads/Finance/ c33transfocooprde2017-charmettant-p-83-amp-89.pdf

  • 31
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager
  • Détails
  • Publié le Aoû 21, 2022
  • Catégorie Business / Finance
  • Langue French
  • Taille du fichier 0.1987MB