Finance Contrôle Stratégie – Volume 7, N° 4, décembre 2004, p. 87 – 106. Les dé
Finance Contrôle Stratégie – Volume 7, N° 4, décembre 2004, p. 87 – 106. Les déterminants de la stratégie de « capitalisation » des frais de recherche et développement en France Yuan DING* Hervé STOLOWY Michel TENENHAUS HEC School of Management, Paris Classification JEL : M410, O320 Correspondance : Hervé Stolowy, HEC Paris, Département Comptabilité – Contrôle de gestion 1, rue de la Libération, 78351 Jouy-en-Josas Cedex. Tel. : 01.39.67.72.94 E-mail : stolowy@hec.fr * Les auteurs sont membres du Groupement de Recherche et d’Études en Gestion (GREGHEC), unité CNRS, FRE-2810. Ils remercient la Fondation HEC et la Direction de la recherche du Groupe HEC pour le financement qu’ils ont obtenu (projet F013). Ils tiennent également à remercier pour leurs commentaires Thomas Jeanjean ainsi que les deux évaluateurs anonymes qui leur ont permis d’améliorer sensiblement cet article. Résumé : Selon les règles comptables françaises, les sociétés ont la possibi- lité de « capitaliser » leurs frais de R&D sous certaines conditions. En analysant les rapports annuels 2000 des sociétés non financières apparte- nant à l’indice SBF 250, nous avons tenté de comprendre pourquoi certai- nes sociétés françaises utilisent cette possibilité. Nos résultats montrent que les sociétés qui « capitalisent » la R&D sont celles qui sont les plus « risquées », c’est-à-dire qui appar- tiennent au secteur de la haute tech- nologie ou ont un coefficient bêta plus élevé. Mots clés : France – R&D – capitali- sation – immatériels – régression lo- gistique – analyse factorielle. Abstract : According to French ac- counting standards, companies have the possibility to capitalize their R&D expenses under certain condi- tions. By analyzing the annual reports of non-financial companies listed on the Paris stock exchange and in- cluded in the SBF250 index (annual reports 2000), we try to identify which firm characteristics can help predict this accounting choice. Our results provide evidence that compa- nies capitalizing R&D are those be- longing to hi-tech industries or hav- ing a high beta. Key words : France – R&D – capi- talization – intangibles – logistic re- gression – factor analysis 88 Les déterminants de la stratégie de « capitalisation »… La recherche et développement (R&D dans la suite de cet article) peut être considérée comme un actif à part entière (Lev 1999). Néan- moins pour des raisons diverses, les règles comptables dans différents pays limitent souvent, voire interdisent, la capitalisation de la R&D. Précisons que l’utilisation en français du terme « capitalisation » est une traduction peu heureuse de l’expression américaine « capitaliza- tion ». Il faudrait plutôt évoquer « l’inscription au bilan » ou « l’activation » des frais de R&D. Mais par souci de simplification, nous utiliserons ce terme dans la suite de cet article. La présente étude a pour objectif de comprendre pourquoi certaines sociétés françaises capitalisent leurs frais de R&D, possibilité offerte par la réglementation française. En analysant les rapports annuels 2000 des sociétés non financières appartenant à l’indice SBF 250, nous avons constaté que 76 d’entre elles publient des dépenses annuelles de R&D. Au sein de cet échantillon, 18 sociétés capitalisent des frais de R&D. Nous analysons les caractéristiques des firmes permettant de prédire un tel choix stratégique qui a, selon nous, des répercussions à la fois sur les aspects financiers et sur la communication vis-à-vis des marchés des capitaux. Cette recherche n’a pas, à notre connaissance, été entreprise en France et s’inscrit dans un courant visant à mieux comprendre les choix comptables. Elle se situe également dans le champ de l’opposition entre fiabilité (ou prudence) (passage en char- ges) et pertinence (capitalisation), évoquée par plusieurs auteurs pour la R&D (Lev et Sougiannis 1996, Zhao 2002) ou pour les marques (Stolowy et al. 2001). En effet, passer en charge empêche le dirigeant de capitaliser les projets à faibles chances de succès, et constitue une approche parfaitement objective et vérifiable. En revanche, cela dimi- nue la pertinence des états financiers, l’effort de R&D n’étant pas considéré comme un investissement. Inversement, la capitalisation ac- croît la pertinence des états financiers, mais laisse la possibilité de gé- rer les résultats. En utilisant la méthode de la régression logistique, nous essayons d’identifier quelles sont les caractéristiques permettant de déterminer la capitalisation de la R&D et de créer ainsi un modèle de prédiction. Nos résultats montrent que les sociétés qui capitalisent la R&D sont celles qui sont les plus « risquées », au sens où elles appartiennent au secteur de la haute technologie ou ont un coefficient bêta plus élevé. Le reste de notre article se présente de la manière suivante. Il est important de formuler nos hypothèses sur la base de la littérature (§ 1) Yuan Ding, Hervé Stolowy, Michel Tenenhaus 89 puis de les appliquer à un échantillon de groupes français (§ 2). Notre étude statistique fournit des résultats qui nous semblent intéressants (§ 3) mais fait l’objet de plusieurs limites (§ 4) qui ne nous empêchent cependant pas de conclure. 1. Les déterminants des choix comptables en matière de R&D La comptabilisation de la R&D relève d’un choix comptable qu’il convient de préciser. À ce titre, elle permet la réalisation d’une étude qui s’inscrit dans le courant des nombreuses recherches portant sur les déterminants des choix comptables. Il existe également une littérature, certes moins abondante, portant spécifiquement sur la R&D. La conjonction de ces deux champs de recherche nous permettra de déve- lopper et justifier nos hypothèses. 1.1 Capitalisation de la R&D et choix comptable Selon les normes comptables françaises, les sociétés ont la possibi- lité de capitaliser leurs frais de R&D sous certaines conditions : – Les projets en cause doivent être nettement individualisés et leur coût distinctement établi pour être réparti dans le temps. – Chaque projet doit avoir de sérieuses chances de réussite techni- que et de rentabilité commerciale (Plan comptable général, art. 361-2). – Ces frais doivent être amortis dans un délai qui ne peut dépasser cinq ans (Plan comptable général, art. 361-3). La réglementation comptable française offre donc une certaine sou- plesse permettant la présente recherche. L’application des normes comptables internationales (IAS/IFRS) à partir de 2005 ne devrait pas réduire l’intérêt de l’étude. En effet, ces normes ne s’appliqueront qu’aux sociétés cotées et, probablement sur option, à leurs filiales. De nombreuses sociétés resteront, au moins à court terme, en dehors du champ d’application des normes internationales. Mais surtout, bien que la norme internationale IAS 38 « Actifs incorporels », même dans sa version révisée (IASB 2004), qui traite de la R&D, prévoit une capita- lisation obligatoire des frais de R&D, si certaines conditions sont rem- plies, il nous semble que le respect de ces conditions demeurera subjec- tif et permettra à de nombreuses sociétés de considérer la capitalisation 90 Les déterminants de la stratégie de « capitalisation »… comme un choix stratégique, et non comme une obligation comptable. Rappelons enfin que les normes comptables américaines ne permettent pas la capitalisation de la R&D. Outre le débat entre fiabilité/prudence (passage en charges) et perti- nence (capitalisation) mentionné ci-dessus, la capitalisation de ces frais entraîne une amélioration du résultat comptable pour l’année où cette pratique est mise en place. Cependant, en raison du principe de perma- nence des méthodes comptables, le choix capitalisation/charge n’a d’impact sur le résultat que si les frais de développement varient d’une année à l’autre. Si l’activité de R&D est parfaitement régulière, le ré- sultat est le même quelle que soit la méthode utilisée. Néanmoins, par rapport à celles les mettant en charge, les sociétés capitalisant la R&D ont un retard temporel systématique dans le passage en charge de ces frais, ce qui constitue une approche comptable moins conservatrice. 1.2. Recherches sur les déterminants des choix comptables Les décisions comptables au sens large ont fait l’objet de plusieurs revues de la littérature, soit dans le cadre d’études généralistes sur la recherche en comptabilité financière (Raffournier 1990, Dumontier et Raffournier 1999, Dumontier et Raffournier 2002), soit à travers des revues spécifiquement consacrées à ce thème (Fields et al. 2001). La plupart des recherches se situent dans le cadre conceptuel de la théorie politico-contractuelle de la comptabilité (Jensen et Meckling 1976, Watts et Zimmerman 1978, Watts et Zimmerman 1986), qui explique les décisions comptables à partir de la théorie de l’agence et des coûts politiques. La conjonction de ces théories a donné naissance à trois hy- pothèses que les chercheurs tentent de vérifier : la rémunération des di- rigeants (décisions tendant à augmenter le résultat), les clauses restric- tives d’emprunt (décisions réduisant le risque de violation de ces clau- ses) et les coûts politiques (décisions diminuant le résultat). À l’intérieur de ce champ, plusieurs décisions comptables ont été étudiées. En reprenant la classification de Dumontier et Raffournier (1999), les études empiriques dans ce domaine ont notamment porté sur les choix de méthodes comptables, les changements de méthodes comptables, les prises de position sur les projets de normes, la rapidité d’adoption des nouvelles normes, la manipulation des résultats, la pu- blication volontaire d’informations et le choix des auditeurs. Yuan Ding, Hervé Stolowy, Michel Tenenhaus 91 La présente recherche s’inscrit uploads/Finance/ capitalisation-des-frais-de-r-amp-d.pdf
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- Publié le Jan 26, 2022
- Catégorie Business / Finance
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