1 COMPTABILITÉ CRÉATIVE Hervé Stolowy La comptabilité créative a fait l’objet d

1 COMPTABILITÉ CRÉATIVE Hervé Stolowy La comptabilité créative a fait l’objet d’une littérature très abondante au cours des vingt dernières années1. Ainsi dans un contexte de difficultés économiques et de résultats en baisse, les journalistes de la presse économique de grande diffusion se sont rués sur ce thème, ce qui a donné lieu à la publication d'une pléthore d'articles, souvent critiquables au regard des connaissances comptables des auteurs, mais néanmoins intéressants car ils traduisent l'opinion du lecteur « non comptable » des états financiers2. La comptabilité a été ainsi qualifiée d’art : « L'art de truquer un bilan » (Bertolus, 1988) ; « L'art de calculer ses bénéfices » (Lignon, 1989) ; « L'art de présenter un bilan » (Gounin, 1991) ; « Les provisions ou l'art de mettre de l'argent de côté » (Pourquery, 1991). Ledouble (1993) n'hésite pas à qualifier la comptabilité d'art plastique. Les comptes3 ont également fait l'objet de nombreux rapprochements avec l'être humain. L'un des premiers articles français portant, à notre connaissance, sur ce qui allait devenir la « comptabilité créative » (Bertolus, 1988), représentait un commissaire aux comptes ventripotent tenant dans ses bras une danseuse dont la tenue vestimentaire (fort légère) était agrémentée de chiffres. Cette image a finalement fait son chemin puisque de nombreux articles ont voulu montrer que, à l'instar d'une danseuse, les comptes doivent être : (plus ou moins) habillés (Audas, 1993 ; Agède, 1994), après avoir été nettoyés (Feitz, 1994a et b ; Silbert, 1994) et toilettés (Polo, 1994). Ils peuvent être maquillés (rimmel d'amortissements, fard de provisions - Agède, 1994), embellis (Loubière, 1992), ou avoir le visage fiscal lifté (Agède, 1994). Notre danseuse se transforme en bête de foire si l'on admet que les amortissements puissent être musclés et les provisions galbées (Agède, 1994). Le parallèle avec notre danseuse cesse d'être pertinent pour remarquer que les comptes sont éventuellement plombés ou, au contraire, dopés (Groussard, 1992 ; Feitz, 1994c). Enfin, la comptabilité est devenue « stratégique » puisque, afin d'ennoblir cette technique (et peut- être de mieux la « vendre » ?), certains articles introduisent un lien avec la politique (Tabuteau, 1993) ou la stratégie (Jacquin et Ramadier, 1994). C'est ainsi que l'on a vu fleurir des séminaires de formation à la stratégie, politique ou optimisation comptable4. A la lumière de ces nombreuses publications, il nous semble nécessaire de mener une réflexion tendant à définir le concept de « comptabilité créative » (section 1) qui repose sur de très nombreuses techniques (section 2). 1 Voir la bibliographie (non exhaustive) à la fin de cet article. 2 La presse française n'est pas la seule à faire preuve d'un vocabulaire imagé. Griffiths (1986) rappelle que les expressions suivantes sont très en vogue outre Manche : to fiddle its profits (bricoler ses résultats), to cook the books (the accounts) (truquer les comptes - littéralement « cuire » les comptes), to massage the accounts (« masser » les comptes). 3 Sauf précision, le concept de comptes est utilisé dans cet article au sens de comptes annuels ou comptes consolidés. 4 Voir en ce sens l'introduction de Gélard à l'article de Bernheim (1993b), ainsi que cet article. 2 1. Le concept : en quête d’une définition Paradoxalement, tandis que la littérature académique, professionnelle et la presse économique utilisent abondamment ce concept, peu d'articles et ouvrages en donnent une définition. Lorsque c'est le cas, les définitions font apparaître des approches parfois divergentes. Nous pensons que la comptabilité créative peut être définie selon deux plans : il faut distinguer les objectifs recherchés et les procédés ou moyens mis en œuvre. En outre, il existe une pluralité d'objectifs et de procédés. 1.1. Des objectifs de la comptabilité créative De manière synthétique, on peut dire que la comptabilité créative vise à modifier les comptes, essentiellement dans un souci d’amélioration, mais parfois dans un but de « détérioration », notamment lorsqu’il s’agit de minimiser le résultat afin de réduire la participation des salariés ou un intéressement. C’est pourquoi, plutôt que d’affirmer qu’il s'agit de donner la représentation comptable la plus favorable possible des performances et de la situation financière de l'entreprise, il est possible d’estimer que la comptabilité créative a pour but de modifier le niveau de résultat ou la présentation des états financiers. Dans un contexte d’optimisation, on peut citer Colasse (1992), selon lequel il s'agit de pratiques imaginées pour donner des comptes d'une entreprise l'image la plus flatteuse possible. Caudron (1993) ajoute qu'il ne faut pas confondre les adaptations nécessaires aux évolutions juridiques, économiques, financières... et les abus plus ou moins conscients et les tromperies délibérées. Audas (1993), quant à lui, évoque la technique dite du window-dressing, consistant à effectuer des opérations génératrices de profits ou de pertes ou bien entraînant des réévaluations d'actif, selon les objectifs recherchés, et en toute légalité. Paradoxalement, la comptabilité créative peut également s'exercer en l'absence d'objectif précis, lorsqu'un nouveau montage, qui n'est pas recherché à des fins comptables, est adopté et que des textes comptables n'ont pas prévu de solution pour en traiter (voir § 1.2). Notons enfin que la comptabilité créative doit être distinguée du lissage des résultats1 qui, selon Chalayer (1995, p. 90), consiste en un ensemble de pratiques qui sont délibérément appliquées afin de publier une série de résultats présentant une variance réduite. 1.2. Des procédés de la comptabilité créative Afin d'atteindre les objectifs définis ci-dessus, plusieurs moyens sont à la disposition des entreprises et de leurs dirigeants. Tout d'abord, il faut mentionner l'existence de nombreuses « options » possibles en matière comptable, correspondant soit à de véritables choix comptables (options au sens strict), soit à une liberté d'appréciation dans le contexte de l'établissement des comptes annuels ou consolidés. Ces options peuvent influer sur le niveau de résultat ou sur la présentation des états financiers (tableau 1 ci-dessous, ligne A, colonnes 1 et 2). Il peut également s'agir de traduire en comptabilité des innovations juridiques, économiques et financières pour lesquelles la normalisation n’a pas prévu, lors de leur émergence, de traitements ou de solutions explicites ou implicites. Dans ce contexte, la créativité comptable va traduire la comptabilité juridique et financière (tableau 1, ligne B, colonne 3). Ainsi, d'après Pasqualini (1993), appliquée à la comptabilité, cette idée de créativité consisterait à se fier à l'imagination ou, plus 1 Cette expression est la traduction de income smoothing (voir Breton et Chenail, 1997 ; Belkaoui et Picur, 1984 ; Trueman et Titman, 1988). 3 exactement, à s'en remettre à elle, pour conférer à la comptabilité les moyens de suivre la sophistication sans cesse croissante des marchés et des produits financiers. Concrètement, de nouveaux mécanismes (montages) juridico-financiers sont créés (sans visée comptable particulière) : la comptabilité doit « suivre » et traduire ces montages. Dans de nombreux cas, ces opérations complexes n'ont pas été prévues et la créativité comptable doit effectivement s'exercer pour trouver de nouvelles solutions. Ces circonstances nous paraissent toutefois limitées, car l'ingénierie financière ne crée pas de nouveaux mécanismes à chaque instant. Cependant, l'existence de vides laissés par les textes comptables peut conduire l'entreprise à inverser le raisonnement en réalisant un montage en fonction de son incidence sur les états financiers (tableau 1, ligne B, colonnes 1 et 2). La defeasance (transmission d’une dette à un trust) en constitue un exemple. Ainsi, pour Pasqualini et Castel (1993), l'idée maîtresse de la comptabilité créative est de faire preuve d'une imagination comparable à celle dont les financiers ont fait preuve en créant les nouveaux instruments financiers. On peut parler de créativité financière à objectif comptable. Dans le même sens, Barthès de Ruyter et Gélard (1992) estiment que l'imagination de l'ingénierie financière moderne crée sans cesse de nouveaux produits ou montages qui sont proposés aux dirigeants de groupes. ... Parfois, ils ont pour objectif, principal ou non, de contourner des règles comptables, jugées pénalisantes en regard principalement du résultat, des capitaux propres ou de l'endettement. D'où une comptabilité imaginative. Pour synthétiser la différence existant entre les deux catégories de montages présentées ci-dessus, Hoarau (1995) oppose les opérations à finalité réelle et les opérations à finalité d’habillage (par exemple, financements hors bilan, structures de cantonnement ou defeasance, reconditionnement des actifs sous forme de titrisation, apports partiels d’actif destinés à permettre une réévaluation ou l’inscription d’un fonds de commerce au bilan, opérations de portage). Tableau 1 - Une double approche de la comptabilité créative Procédés Objectifs Modification du niveau de résultat Modification de la présentation des états financiers Pas d'objectif comptable (1) (2) (3) Options (A) x x ////////////////////////// Montages (B) x x x 1.3. Les facteurs expliquant la comptabilité créative Comment le développement de cette pratique a-t-il été permis ? En fait, il conviendrait de distinguer les facteurs ayant généré le besoin de créativité comptable de ceux l’ayant autorisée. 1.3.1 Les facteurs générant un besoin Les éléments suivants peuvent être cités, sans ordre de priorité : l’acuité de la concurrence dans un contexte de crise ; le poids de la conjoncture : dégradation des résultats et de la situation ; les besoins de financement : fonds propres insuffisants, nécessité de respecter certains indicateurs uploads/Finance/ comptabilite-creative.pdf

  • 28
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager
  • Détails
  • Publié le Oct 12, 2022
  • Catégorie Business / Finance
  • Langue French
  • Taille du fichier 0.0604MB